Entretien avec Stefan Haupt
Le Suisse Stefan Haupt signe avec Le Cercle un film singulier et touchant qui mélange documentaire et fiction. Il raconte l'histoire d'Ernst et de Röbi, qui se sont rencontrés par l’intermédiaire du Cercle, une organisation suisse clandestine, pionnière de l’émancipation homosexuelle. Lauréat du Teddy Award, Le Cercle est notre film de la semaine. Rencontre avec son réalisateur...
A quel moment du projet le mélange de documentaire et de reconstitution s’est-il imposé sur Le Cercle ?
Ces sont les producteurs suisses de Contrast Films qui m’ont parlé de cette idée de film. Ce devait être une fiction basée sur une histoire réelle, celle d’Ernst, Röbi et du Cercle. On a trouvé des moyens en Suisse puis cherché une coproduction en Allemagne, en vain. Il fallait prendre une décision : pouvions-nous faire ce film ou non. C’est à ce moment, pour des raisons de budget, qu’on a essayé ce mélange de fiction et de documentaire.
Qu’est-ce qui s’est débloqué ?
C’était meilleur marché de cette façon. Mais on ne pouvait pas aller voir les institutions suisses ainsi, il a fallu proposer un nouveau projet. On a fait des recherches pour trouver des images d’archives, des photos, on a fait des interviews d’Ernst et Röbi et d’autres personnes qui ont vécu à la même époque. Je suis très heureux de tout cela. Par leur témoignage, ces deux hommes aident le public à se rendre compte qu’il ne regarde pas qu’une fiction : c’est la réalité.
Vous êtes-vous accordé quelques libertés pour la reconstitution ?
On a eu assez de libertés pour cette partie fiction. On a parlé avec Ernst et Röbi et on a décidé de ne pas être totalement fidèle à la réalité. La condition étant que si toutes les histoires du film ne sont pas réelles, elles auraient pu leur arriver : c’était un mélange de différentes histoires.
Rohmer disait que la fiction transcende toujours la réalité.
Je pense souvent que faire du documentaire permet aussi de transcender la réalité. Quand je fais une fiction, ça m’aide de connaître la réalité, c’est notre devoir de faire des recherches. Dans le cas du Cercle, c’était très intéressant de décider ce que nous voulions raconter dans la partie reconstitution, et de savoir à quel moment passer au documentaire. Ce ne sont pas toujours les moments d’action qu’on a gardés pour la fiction, et parfois c’était même plus intéressant de commencer dans la fiction et de basculer dans le documentaire pour le climax. L’imagination du spectateur permet peut-être à ce moment-là de toucher à quelque chose de plus grand.
Ces entretiens qui se déroulent aujourd’hui, était-ce aussi pour vous une façon d’ancrer cette histoire dans une réalité très présente, avec le relent d’homophobie observé en Europe, de Russie jusqu’en France ?
Toujours. Et nous étions sûr que les spectateurs y penseraient eux-mêmes. C’était important évidemment, c’était une raison de faire ce film : se rendre compte que pour nous, en Suisse, c’est de là qu’on vient. La société change, et malgré cela on voit que l’homophobie peut regagner du terrain. Par exemple, Ernst, Röbi et les producteurs sont allés à Kiev en octobre 2014. Le film était présenté dans un festival avec une sélection LGBT. Pendant deux heures après la projection, les gens demandaient à Ernst et Röbi comment faire un magazine comme dans Le Cercle, ont parlé de leur expérience en prison. Le jour suivant, le cinéma a été brûlé. Il est détruit. Une douzaine d’hommes masqués ont fait irruption dans une autre salle, ont menacé de battre les spectateurs, et ont brûlé des rainbow flags…
L’histoire racontée dans Le Cercle est-elle connue en Suisse ?
Pas vraiment. Moi-même, je ne la connaissais pas. Ce sont les deux producteurs qui m’en ont parlé.
Le film est sorti en Suisse. Quelles réactions avez-vous observées ?
Les réactions ont été très positives, je suis très heureux. On a été distingué par plusieurs prix importants en Suisse, et le film a été choisi pour représenter le pays aux Oscars. C’est super. En même temps, je dois dire qu’il y a toujours une grande différence entre la tolérance et l’acceptation totale. Un jour, on a reçu des amis. La femme est allée voir le film avec une amie, mais son mari a déclaré que ça ne l’intéressait pas, que ce que racontait le film n’avait rien à voir avec lui. J’ai voulu que la télévision fasse une discussion sur cette question précisé de la tolérance et de l’acceptation. On m’a répondu que ce sujet, c’était du passé ! Mais ce n’est pas vrai du tout. Les gens en parlent en Suisse, par exemple de leurs problèmes rencontrés lorsqu’ils disent qu’ils sont gays au travail. Il y a encore un long chemin à parcourir.
Comment ont réagi Ernst et Röbi au film ?
Ils ont beaucoup, beaucoup aimé le film et ont été très touchés. Ils pleuraient vraiment. Ils ont fini par voir le film une vingtaine de fois et me disent toujours qu’ils découvrent et redécouvrent de nouvelles choses. C’est tellement touchant. Et c’est touchant pour eux aussi : le film leur a rapporté une certaine reconnaissance. Quand on était à Los Angeles ou New York ensemble, et que le consul suisse parlait devant la presse et une cinquantaine de personnes en les prenant comme exemples. Après ça, ils m’ont confié qu’ils n’auraient jamais pu imaginer cela il y a vingt ans. Pour eux, c’était comme un cadeau.
Aviez-vous des références visuelles pour la partie reconstitution ?
Evidemment, on a toujours des influences. On a fait des recherches, on a questionné Röbi et Ernst. Les vêtements de la fête dans Le Cercle sont des vêtements gardés par Röbi dans son armoire. On est aussi allé chercher des maisons de Zurich restées comme avant. Il y a presque trop d’argent en Suisse donc elles sont toutes rénovées ! Et on a regardé des films de l’époque…
Y a-t-il des films à thématique LGBT qui vous ont particulièrement marqué ?
C’est souvent plus facile de ne pas regarder des films trop proches. Je ne veux pas copier, et une fois que j’ai vu et aimé un film, cela peut causer des problèmes. Donc j’ai vu des films de cette époque mais pas exactement sur le même sujet. Mais j’ai vu le documentaire The Times of Harvey Milk, qui m’a fait forte impression.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez remporté le Teddy Award du meilleur documentaire pour un film aussi hybride ? Est-ce que cela fait sens pour vous ?
On a gagné de prix parce qu’on a été mis dans cette catégorie. Nous étions très étonnés car pour nous il s’agit plutôt d’une fiction. Mais évidemment on était très heureux, surtout parce qu’on a gagné le Teddy et le prix du public. C’était le signe que le film pouvait toucher le public en général comme la communauté gay. C’était un de nos buts : faire un film pour tous. Evidemment pour la communauté – mais pas seulement.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Oui, j’ai terminé ce film il y a plus d’un an. Et j’ai une famille de six personnes à nourrir ! (sourire) Je travaille sur l’adaptation d’un auteur suisse, Lukas Hartmann, et d’un livre qui n’a pas été traduit en français, Finsteres Glück. On va tourner en Suisse et en Alsace, au mois de septembre.
Entretien réalisé le 2 mars 2015. Un grand merci à l'équipe d'Outplay.