Entretien avec Shu Lea Cheang

Entretien avec Shu Lea Cheang

Coup d'envoi de nos entretiens avec les découvertes de la Berlinale ! Première invitée: l'artiste multimédia Shu Lea Cheang, qui a signé l'un des ovnis du festival avec FluidØ. Ce film est une fantaisie SF et sexuelle remplie de sperme (et autres réjouissances) dans un monde où le sida a été éradiqué. La réalisatrice nous parle de ce projet hors normes, de la représentation du sexe et de l'existence d'un tel film dans un contexte de plus en plus réactionnaire...

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Comment est né FluidØ?

En 2000, j'ai montré mon film I.K.U. au Festival de Copenhague et on m'a présentée à Lars von Trier dans son studio de Zentropa. A l'époque, il existait un département particulier intitulé Puzzy Power et dont le but était de produire du porno hardcore. On m'a sollicitée pour que je propose un projet et écrive le scénario de Fluid. En 2001, Puzzy Power a fermé pour des raisons financières, et le film ne s'est jamais fait. En 2014, je suis entrée en contact avec le producteur berlinois Jürgen Brüning pour entamer la production.

FluidØ retrouve la trace du sexe, de la drogue et du clubbing des 80s new-yorkaises, lorsque l'épidémie du sida a touché beaucoup de mes amis. J'ai porté le virus en moi jusqu'à ce qu'il mute en un scénario de science-fiction et de fantaisie sur le virus, le sexe, le piratage, la drogue et la conspiration.  

Comment avez-vous travaillé avec vos acteurs sur ces rôles particulièrement exigeants physiquement ?

Je dois vraiment remercier mes acteurs pour la confiance qu'ils ont eue en moi. Nous nous sommes clairement mis d'accord sur le fait que nous ne réalisions pas un porno mais un film sexuellement explicite. Bien sûr, il y a des capacités physiques à prendre en compte (savoir garder une érection, pisser suffisamment haut). Nous avons parlé à chaque étape, notamment du degré d'exposition, lors des répétitions et avant le début du tournage.

FluidØ est film tout à fait libertaire. Dans quelle mesure le sexe (et sa représentation) sont politiques à vos yeux ?

Le scénario SF de FluidØ envisage ce fluide blanc comme l'hypernarcotique du 21e siècle, s'imposant sur le marché occupé au 20e siècle par la poudre blanche. En fin de compte, pour libérer le fluide, la décharge est incessante, qu'il s'agisse d'éjaculation ou d'urine. L'exposition des organes qui transmettent ces fluides, transmission qui était particulièrement crainte lors de la crise du sida, est en elle-même un manifeste politique. La crise du VIH et son escalade ont beaucoup à voir avec les politiques gouvernementales en matière de soins, qui interféraient avec le programme de l'industrie pharmaceutique.

On a pu assister en France à la progression d'idées réactionnaires qui ont eu des conséquences sur la diffusion des films au cinéma. Vous qui êtes désormais basée à Paris, quel regard portez-vous sur cela ?

Sous la pression du groupuscule conservateur Promouvoir, La Vie d'Adèle a vu son interdiction aux moins de 12 ans remise en question tandis que Antichrist de Lars von Trier a été rétroactivement interdit par décision de justice 7 ans après sa sortie. Je respecte la procédure de classification qui est actuellement en train d'être révisée en France, mais je suis assez inquiète de voir des films ainsi jugés et que leur intégrité artistique subisse de tels assauts.

Ça n'est cela dit pas tout à fait neuf, souvenons-nous de Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Tri qui en 2000 a été répudié sans classement convenable. Mon film I.K.U, qui je désignerais comme un porno SF et qui depuis sa sortie a été célébré comme un classique culte du cyberpunk est sorti la même année que Baise-moi. Nous avons eu notre part de controverses et de furies, ce qui m'a amenée à débattre de ce sujet avec Catherine Breillat dans le cadre du Festival Films de Femmes de Créteil en 2000.

Je suis toujours amie avec Virginie Despentes qui a toujours soutenu mon travail avec passion. Le distributeur de FluidØ travaille actuellement à obtenir une interdiction aux moins de 18 ans en Allemagne. On doit prouver les mérites artistiques du film malgré son contenu sexuel explicite. Alors que I.K.U avait pu être diffusé au MK2 Beaubourg de 2003 à 2004, il me sera peut-être impossible d'être aussi optimiste au sujet de FluidØ en ce qui concerne une vraie sortie dans des cinémas art et essai en France, dans ce climat politique réactionnaire ?

Comment, dans l'idéal, souhaiteriez-vous que FluidoØ soit vu?

Je veux que FluidØ soit vu sur un grand écran de cinéma, avec le fluide qui monte et jaillisse jusqu'à vous. Je veux que la projection soit une expérience collective d'enivrement par le fluide. Je veux que les spectateurs ne soient pas embarrassés par l'exposition des organes sexuels, qu'ils n'aient pas honte d'exprimer leur joie ou leur dégoût lorsqu'ils sont confrontés à des images sexuellement explicites. La distribution en Allemagne, en Autriche et en Suisse alémanique est assurée par Rapid Eye Movies et sa sortie est prévue pour cet automne. Nos ventes mondiales sont gérées à Berlin par Raspberry & Cream et j'espère que le film finira par sortir en France.

Entretien réalisé le 1er mars 2017.

par Nicolas Bardot

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