Entretien avec Shim Sung-Bo
C'est l'une des éclatantes révélations du cinéma coréen. Mais s'il signe avec Sea Fog un impressionnant premier film, Shim Sung-Bo n'est pas totalement un nouveau venu puisqu'il a co-écrit Memories of Murder de Bong Joon-Ho en 2003. Sea Fog raconte l'aventure de quelques hommes qui acceptent de transporter sur leur bateau des clandestins souhaitant entrer en Corée. Ce long métrage sort en salles le 1er avril. Shim Sung-Bo nous parle de son film, de sa collaboration avec Bong Joon-Ho et de l'état du cinéma coréen.
Vous avez co-écrit Memories of Murder il y a dix ans. Pouvez-vous nous raconter ce qui s'est passé entre Memories et la réalisation de votre premier film, Sea Fog ?
En fait en Corée on peut dire qu’il y a un certain processus pour devenir réalisateur. C'est-à-dire que toutes les personnes qui souhaitent travailler dans le milieu du cinéma commencent par être assistants sur le terrain. Puis elles développent elles-mêmes leurs propres scénarios, et ça peut prendre beaucoup de temps. Effectivement dans mon cas, ça a pris plus de temps que la moyenne ! J’ai travaillé dur pour écrire mes propres scénarios. Une fois que je les ai achevés, je les ai soumis à certaines personnes, c’est comme ça que ça se passe. Ces dix dernières années, j’ai beaucoup écrit notamment un scénario sur lequel j’ai travaillé plus de cinq ans mais qui malheureusement n’a jamais abouti.
Quelles questions se pose t-on en tant que scénariste, puis en tant que metteur en scène, pour faire d'une pièce de théâtre un film de cinéma ?
Pour tout dire ce n'est pas parce qu’il s’agit d’une pièce de théâtre que j’ai une certaine méthodologie-type pour en faire un film. Quel que soit le genre, je regarde d’abord le potentiel que cela pourrait avoir en tant que film. C’est sur cette base que je choisis de faire un film ou non. Pour prendre l'exemple de la pièce de Sea Fog, beaucoup de choses se passaient hors de la scène. Ce qui était très intéressant, c’était que lors des changements de scène, le noir était total et on n’entendait que les bruits et la musique. Le spectateur ne pouvait que deviner ce qui se passait. Dans mon film, j’ai essayé d’approfondir ces moments qui jouaient sur l’imagination des spectateurs. Comment les retranscrire au mieux ? J'ai apporté un soin particulier à ces scènes, et sur ce qui restait mystérieux dans la pièce de théâtre.
Quelle a été l'implication de Bong Joon-Ho au niveau de la production et de l'écriture ?
Nous avons à la base énormément discuté du film, et de la direction à prendre sur le scénario. On a parlé des sentiments que les personnages, que des êtres humains peuvent ressentir dans de telles situations. En tant que réalisateur expérimenté, il m’a aidé à simplifier beaucoup de choses, des détails que moi, en tant que novice, je voulais mettre en avant. Il m’a aidé à me concentrer sur ce qui était vraiment essentiel et c’était très intéressant de travailler avec lui. C’est vrai qu’avec le recul, être réalisateur, c’est avant tout devoir choisir. La collaboration avec Bong Joon-Ho m’a montré comment tirer profit des différents choix à faire, analyser le pour et le contre et en tirer le meilleur.
Comment avez-vous collaboré avec votre directeur de la photographie Hong Kyung-Pyo pour les différentes atmosphères visuelles du film ?
En fait en Corée, Hong Kyung-Pyo est la personne emblématique en tant que directeur de la photographie. C’était pour moi un choix tout à fait naturel. C’est aussi le seul directeur de la photographie en Corée qui a autant d’expérience sur des tournages en mer notamment par le film Typhoon de Kyung-Taek Kwak qui n’est pas très connu au niveau international mais aussi Phantom de Byung-Chun Min qui raconte l’histoire d’un sous-marin et durant lequel il a mis au point sa méthode dite du "smog". C’était passionnant de travailler avec lui et c'était primordial. Car il avait vraiment toutes les connaissances nécessaires pour porter le film au niveau qu'on souhaitait atteindre.
L'une des marques de fabrique de bon nombre de films coréens, notamment des films populaires, est leur mélange de ton qui rend les films vivants et déroutants. Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous gérer l'humour, par exemple, dans une histoire aussi dure, parfois proche de l'horreur ?
Ce n’était pas totalement volontaire, en tout cas il y a des notes d’humour mais l’idée n’était pas purement de faire rire le public. Quel que soit l’endroit où on vit, plus on s’approche de la vie, plus on peut la trouver drôle, quelles que soient les circonstances. C’est peut-être une forme d'humour tout à fait naturelle qui ressort de la vie humaine telle qu’elle est.
Aviez-vous des modèles en tête pour réaliser votre premier film ? Qu'il s'agisse de cinéma ou de littérature par exemple.
En termes de films je dirais certainement Fargo des frères Coen. Notamment sur la façon dont on traite des personnes qui commettent un crime, et comment on peut avoir de l’empathie pour ses gens-là. En ce qui concerne les œuvres littéraires, je citerais Crime et Châtiment de Dostoievski.
Comment avez-vous tourné les scènes en mer ? Quelle est la part d'effets spéciaux, de scènes tournées en mer ?
Ah ça c’est une part que je ne veux pas forcément dire au public ! (rires) Mais si vous avez des questions, je peux vous en parler personnellement hors interview.
Nous mettons en ligne un dossier consacré au jeunes découvertes du cinéma coréen. Y a t-il des nouveaux cinéastes qui ont particulièrement retenu votre attention ces dernières années ?
Est-ce que je peux vous répondre dans un mois ? (rires) Malheureusement, avec la longue préparation de Sea Fog, je n’ai pas pu faire beaucoup de découvertes ces derniers temps… et j’ai un terrible trou de mémoire. Mais je peux vous parler de Mother, ce n’est pas récent mais c’est un film que j'ai revu récemment et que j’adore. Parce qu'en le voyant, j’ai ressenti ces sensations que j'ai eues en voyant films japonais des années 60 70. Ça m’a énormément touché.
Vous avez participé à Memories of Murder à une époque qui correspond à la résurrection du cinéma coréen, notamment sur la scène internationale. Dix ans plus tard, les grands réalisateurs découverts tournent toujours et de nouveaux cinéastes ont émergé. Diriez-vous que les choses ont changé, qu’il est plus ou moins dur de réaliser un film aujourd’hui ?
Je me demande si ce n’est pas plus difficile aujourd’hui qu’à cette époque-là. Mais je trouve d’un autre côté que sur le plan technique, il y a eu une vraie démocratisation du matériel, des caméras… La grande différence, c’est qu’avant il existait comme je vous le disais tout à l'heure un chemin strict à prendre pour devenir réalisateur. D’abord être assistant et si possible être assistant de certains réalisateurs. Aujourd’hui, avec le bon matériel et de bonnes idées, des jeunes cinéastes peuvent faire de très bons films et la principale différence est peut-être là. J’ai l’impression pour ma part d’avoir traversé un très long tunnel et d'en sortir à peine. Peut-être que la jeune génération ne va pas avoir à le traverser. Je vais essayer de découvrir ces cinéastes-là.
Avez-vous des projets ? L’un de vos anciens scénarios qui pourrait devenir un film par exemple ?
C’est un peu trop tôt pour parler mais j’ai un projet en tant que scénariste, pour un autre réalisateur. Il s'agira d'un film d'animation japonaise dont j’écris scénario. Et pour ma part en tant que réalisateur, je vais sélectionner un thème. Peut-être en cette fin année ou au début de l'année prochaine. Pour revenir sur les scénarios sur lesquels j’ai travaillés, maintenant que je suis devenu réalisateur, je comprends pourquoi ils n’ont pas abouti donc je préfère ne pas revenir sur ces scénarios-là ! (rires)
Entretien réalisé le 29 octobre 2014. Un grand merci à Céline Petit et Clément Rébillat.
Et pour ne rien louper de nos news, dossiers, critiques et entretiens, rejoignez-nous sur Facebook et Twitter !