Entretien avec Ruben Östlund

Entretien avec Ruben Östlund

Après avoir réalisé The Guitar Mongoloid, resté inédit chez nous, le cinéaste suédois Ruben Östlund a été révélé dans le cadre de la section Un Certain Regard, en 2008, avec Happy Sweden. Il a fait son retour cette année avec Play, l'un des quelques films marquants de la Quinzaine des réalisateurs, qui raconte une histoire de racket entre quelques enfants à Göteborg. Interview d'un réalisateur qui monte et qui nous parle, notamment, de Frédéric Boyer, de la traduction française farfelue de son précédent film et de l'influence du jeu vidéo Sim City...

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FilmdeCulte: Le point de départ de Play est un fait divers. Quelle distance avez-vous souhaité installer avec celui-ci ?

Ruben Östlund: Le projet est né d’un article de journal que mon producteur, Erik Hemmendorff, m’a montré. Cet article relatait des faits qui ont eu lieu en Suède, à Göteborg, où un groupe de jeunes garçons noirs a racketté d’autres jeunes à plusieurs occasions dans le centre-ville. Dès le printemps 2008, j’ai passé un an à lire les dossiers du procès, à interviewer les victimes, les persécuteurs, la police et des psychologues à Göteborg. Même s’il y a beaucoup de détails du film qui proviennent directement de ces recherches, j’ai plutôt tendance à dire que Play est inspiré de faits réels plutôt qu’une simple reconstitution. C’est cette image de cinq jeunes noirs rackettant trois jeunes blancs qui m’a inspiré. Cela rajoute évidemment un niveau de lecture quand on sait qu’il s’agit d’événements réels à la base, mais ce n’est pas ma priorité ni mon point d’intérêt principal.

FdC: Le film est extrêmement violent, et il n'y a pourtant quasiment jamais de violence à l'écran. Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous avez voulu représenter la violence à l'écran ?

RO: Je suis content que vous disiez ça parce que je voulais justement me servir des attentes des spectateurs sur le contenu du film, notamment sur le fait que ça se termine très mal mais qu’il n’y ait absolument aucune violence physique. Du moins pas dont les blancs soient victimes. Je n’ai pas réussi ce pari à 100% parce qu’à un moment, un des voleurs donne une gifle à une de ses victimes. Si on regarde les dossiers qui ont servi pour le procès, on remarque un truc intéressant : c’est que les racketteurs ont été beaucoup plus violents avec leurs victimes issues de l’immigration qu’avec celles d’origine suédoise. C’était quelque chose que je voulais inclure.

FdC: L'utilisation du plan-séquence, la caméra fixe, le distance avec les personnages, de nombreux choix de mise en scène rappellent votre précédent film. A quel moment de l'élaboration de Play avez-vous décidé de prolonger ce que vous aviez entamé sur Happy Sweden ?

RO: Ce que j’aime beaucoup justement avec le cinéma c’est cette possibilité de recréer ce sentiment de temps réel. Si l’on regarde un film conventionnel, le point d’orgue de la tension du film, c’est quand les personnages sortent leurs armes. Mais si l’on regarde une scène filmée en un seul plan-séquence, la présence des armes se retrouve mise au même niveau que d’autres éléments plus subtils. Filmer en temps réel permet de laisser le spectateur libre de trouver son propre point d’orgue. En ce qui concerne la distance émotionnelle autour de mes personnages, je dirais que j’ai été grandement influencé par un jeu vidéo auquel je jouais il y a une dizaine d’années. Le but du jeu était de créer toute une ville et de la maintenir en vie, avec tout ce que cela implique. Tout était vu de haut, en plongée, et les humains étaient juste représentés par des points. Dans le jeu, l’une des icônes permettait de déclencher des catastrophes naturelles, ou même une explosion nucléaire. En cliquant dessus, on créait un véritable pandémonium parmi les habitants, et vu d’en haut ça ressemblait énormément à ce qui se passe quand on frappe une fourmilière avec un bâton. Je dirais que la distance émotionnelle induite par le jeu m’a donné une nouvelle habilité à observer ; j’étais capable d’observer et d’analyser tout en maintenant cette distance, sans juger ou sans me sentir mal à l’aise (cela vaut également pour les fourmis, d’ailleurs !). Avec du recul, je me dis que ça m’a rendu plus introspectif et plus contemplatif. J’ai le même genre de sensation quand je vois un film où le chef opérateur a réussi à capturer des événements sans pour autant leur donner lui-même une valeur. Je n’arrive pas toujours à faire ça dans mes propres films, mais j’essaie toujours de trouver le meilleur équilibre entre la présence et l’absence de mes propres valeurs.

FdC: La scène du tramway, avec un très long plan-séquence, un cadre fixe, puis l'axe modifié par les ondulations des wagons, est impressionnante. Comment avez-vous préparé cette scène?

RO: On l’a répétée plusieurs fois puis on l’a tournée pendant trois jours. Quand on a commencé le tournage, tout le monde savait qu’on allait passer trois jours sur cette scène, c’était prévu. Cette manière de tourner me permet de faire monter la tension progressivement, et à la fin du troisième jour, quand j’ai annoncé qu’il ne nous restait plus que trois prises, tout le monde était très concentré. C’est comme si on participait tous à un match de foot très important. Quand on a réussi cette prise, celle qu’on voit dans le film, les acteurs étaient aux anges. C’était comme s’ils avaient marqué un but pour la Coupe du monde.

FdC: Votre cinéma est très singulier. Avez-vous malgré tout le travail d'autres cinéastes en tête quand vous réalisez un film comme Play ?

RO: J’ai subi des influences, bien évidemment, mais pour Play je n’ai pas pensé à un réalisateur en particulier. Avec Marius Dybwad Brandrud, le directeur photo, on tenait absolument à ce que le film donne l’impression de se dérouler en temps réel. Ce genre de contrainte créative me fait redoubler d’énergie, elles font partie intégrante de la création du film. Elles font du film un combat permanent et c’est ce combat qui l’empêche au final de ressembler à d’autres films.

FdC: Vous avez tourné Play avec une caméra RED. Que retirez-vous de cette expérience ?

RO: On a tourné Play avec une camera RED parce qu’on voulait trouver une nouvelle manière d’utiliser la résolution 4K. Il a cinq scènes dans le film où l’on a l’impression qu’on a fait un léger pano, un zoom, ou qu’on bouge la caméra. Tous ces mouvements ont en fait été réalisés au montage. Les zooms numériques et les panos ont été faits à partir d’images fixes grâce au logiciel Final Cut. Grâce à cette technique, je peux maitriser parfaitement le mouvement de ma caméra et le faire concorder précisément avec ce qui se passe dans chaque scène. Ça me permet également de combiner plusieurs prises sans pour autant briser l’illusion qu’il s’agit de plans-séquences. Les images obtenues avec la RED 4K ont une bien meilleure résolution que ce qui se fait actuellement en termes de projection. Le standard de projection reste le 2K, et il reste 2K qu’on n’utilise pas. C’est justement ce qui nous permet de faire des zooms numériques sans pour autant perdre en qualité d’image. Avant Play, j’avais utilisé cette technique dans un court-métrage Incident à la banque, qui a remporté l’Ours d’or en 2010. Essayez de le voir, j’en suis très fier.

FdC: Vous avez été sélectionné à Un Certain Regard avec Happy Sweden, puis à la Quinzaine des réalisateurs pour Play. Comment décririez-vous ces deux expériences? Les avez-vous vécues différemment ?

RO: Je trouve que Frédéric Boyer, le directeur artistique de la Quinzaine des Réalisateurs, a fait du très bon travail en ce qui concerne la promotion de Play. On a eu un écho beaucoup plus international qu’avec Happy Sweden (De ofrivilliga) à Un Certain Regard en 2008. La Quinzaine des réalisateurs s’intéresse un peu moins au tapis rouge et un peu plus au contenu du film, ce qui convenait parfaitement à Play. (Frédéric Boyer a, depuis, été démis de ses fonctions à la Quinzaine des réalisateurs, ndlr)

FdC: Play n'offre pas de clef facile, de réponse toute faite, c'est le genre de film qui peut être mal interprété. Avez-vous été confronté à des réactions inattendues suite à la projection ?

RO: La plupart des journalistes m’ont dit qu’ils avaient compris le film mais qu’ils avaient peur que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Je n’y crois pas vraiment. Pour moi, un journaliste n’est pas forcément plus intelligent que tout le monde. Si une partie du public s’est effectivement sentie provoquée, pour moi c’est surtout parce qu’on déteste ce qui n’est pas équilibré. Personne n’aime être témoin de l’injustice, par exemple. Et tant qu’on montrera des images d’injustices entre noirs et blancs ces images seront fatalement provocantes.

FdC: Pouvez-vous nous parler de Plattform, la société de production que vous avez montée ?

RO: Plattform Produktion est née quand le producteur Erik Hemmendorff et moi-même avons quitté l’école de cinéma de Göteborg vers 2001-2002. Notre ambition était entre autres de créer une plateforme où nous n’aurions pas besoin de demander la permission de mécènes pour faire nos films. Ils pouvaient toujours se joindre à la création du film, mais les films se feraient sans eux quoi qu’il en soit. Je dirais que face à cette attitude, les mécènes ont eu beaucoup de mal à dire non. Pour l’instant, aucun des films passés par Plattform Produktion n’a été rejeté par l’Institut Cinématographique Suédois. On voulait également éviter de se référer aux années 60 avec nostalgie. Pour nous, l’époque la plus fascinante de l’histoire du cinéma, c’est l’époque actuelle.

FdC: Quel regard portez-vous sur la jeune génération de cinéastes suédois ?

RO: Je dirais qu’il y a de quoi être très enthousiaste. Il a des réalisateurs qui font actuellement des choses très intéressantes: Fijona Jonuzi, Mikel Cee Karlsson, Johan Jonasson, Henrik Hellström, Jesper Ganslandt, Axel Petersén, Måns Månsson, Axel Danielsson, Mariken Halle, Elisabeth Marjanovic Cronvall, Marta Dauliute, Fredrik Wenzel, ou encore Mikael Bundsen.

FdC: Votre précédent long métrage a été retitré en France Happy Sweden (De ofrivilliga étant son titre original et Involuntary son titre international, ndlr). Étiez-vous au courant, avez-vous eu un droit de regard sur la traduction de ce titre ?

RO: Oui ! Happy Sweden (De ofrivilliga) est sorti en salles au même moment que Millénium, et la presse française s’est intéressée à la Suède un peu plus que d’habitude. Pour moi ce titre était sans doute une manière de vendre le film en jouant des clichés sur les Suédois. Ça me convient parfaitement, même si j’aurais personnellement choisi quelque chose qui s’approche plus des thématiques du film, Comportement de groupe, par exemple. J’aime beaucoup l’équipe de KMBO (les distributeurs français), et j’espère qu’ils n’ont pas perdu trop d’argent avec ce film.

FdC: Quels sont vos projets ?

RO: Ça s’appellera Tourist, et j’y regèlerai une bonne fois pour toutes mes comptes avec les touristes. J’ai notamment pour ambition de filmer la scène d’avalanche la plus incroyable de l’histoire du cinéma !!!

par Nicolas Bardot

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