Entretien avec Roxane Mesquida
La liste des réalisateurs ayant collaboré avec Roxane Mesquida aurait de quoi rendre jalouse plus d'une actrice avide de cinéma personnel et fantastique. Cela tombe bien, la comédienne confirme être aussi une cinéphile exigeante et enthousiaste. À l'occasion de sa présence dans le jury du Festival de Gérardmer et dans le langoureux film de vampire Kiss of the Damned de Xan Cassavetes (disponible en dvd dès le 18 février), rencontre avec une jeune femme qui cite avec le même plaisir Star Trek et Bela Tarr.
Quelle spectatrice de fantastique es-tu , est-ce un genre que tu apprécies ?
Le genre fantastique, c'est tellement large à la base, cela peut autant s'appliquer à un film de vampire qu'un film de zombie ou un film juste angoissant. Cela regroupe tellement de genres que je me retrouve moi-même un peu perdue face à la définition de ce qu'est un film fantastique. Après je ne suis pas là pour privilégier un certain genre du fantastique, je vais plutôt pousser pour que le grand prix aille tout simplement au film que j'ai préféré. Peu importe le genre, c'est la qualité du film qui compte. Le fantastique c'est aussi bien Star Trek que Bela Tarr, et je suis tout autant fan des deux.
Le fantastique tel qu'on le voit à Gérardmer recouvre d'ailleurs un spectre très large allant du plus psychologique au plus bourrin. Est-ce une vision que tu partages pour l'instant en tant que jurée ?
A vrai dire je pensais que le Festival de Gérardmer était un festival de films d'horreur, je pensais que j'allais passer mon temps à crier et avoir peur! Et finalement je n'ai pas encore eu peur. Je n'ai pas encore vu tous les films, mais je n'ai pas ressenti de peur à proprement parler. J'ai ressenti d'autres émotions toutes aussi intéressantes. Mais ça ne me manque pas. Si le film est bon, ça m'est même égal.
Qu'est-ce qui ferait selon toi un bon Grand Prix? Y a t-il des qualités que tu privilégies par rapport à d'autres ?
Pas forcément. L'originalité ? Non, ça ne suffit pas. Je ne saurais pas dire, comment expliquer le mélange d'ingrédients qui fait qu'un film est réussi. De toute façon, regarder un film est déjà une expérience tellement personnelle et intime. (Silence) Je ne sais même pas si ce que j'aime peut être une preuve de qualité, car ça ne veut rien dire. J'aime ne pas être prise pour une conne, surtout quand je regarde un film. Je n'aime pas qu'un scénario nous donne des infos superflues, des détails qui n'apportent rien à l'intrigue. Expliquer pourquoi on aime un film est trop abstrait. Je dis tout cela en tant que cinéphile, pas en tant qu'actrice, d'ailleurs je ne regarde jamais les films en tant qu'actrice. Je ne suis pas tant fascinée par le jeu des acteurs que le travail des réalisateurs. D'ailleurs je suis fan de réalisateurs, jamais d'acteurs.
Quand on regarde ta filmographie, on voit que tu as d'ailleurs toujours travaillé avec des réalisateurs en marge : Breillat, Araki, Dupieux... Ce sont des cinéastes qui n'obéissent qu'à leur propres recettes. Est ce que cela reflète tes goûts de cinéphile ?
Oui! Je suis une vraie amoureuse du cinéma! Je regarde énormément de films, c'est comme de la nourriture pour moi. Quand je vois un film que je n'aime pas en salles, il faut que je sorte et que j'évacue tellement ça m'énerve! Et au contraire quand un film me plait c'est à chaque fois le plus beau jour de ma vie. Et c'est vrai que j'ai envie de travailler avec des gens particuliers. Les films que j'ai faits ne sont pas tous parfaits. Certains spectateurs les aiment et d'autres non, mais les réalisateurs avec qui j'ai travaillé sont entiers! Ce sont des artistes.
Je n'ai pas aimé le dernier film d'Harmony Korine, mais j'ai adoré tous ses autres films. Mister Lonely par exemple, que personne n'a vu, Gummo, Julien Donkey Boy... Je suis fan, j'ai vu tous ses films! Et je sais que même si je n'ai pas aimé son dernier, j'irai quand même envie de voir ses prochains films car c'est un artiste. Ce n'est pas quelqu'un qui se contente d'illustrer un scénario. Les réalisateurs comme lui sont des auteurs. Je suis passionnée d'art, la peinture est ce qui m'intéresse le plus, et c'est ce que je recherche chez un metteur en scène.
Comment est né le projet Kiss of the Damned ?
En fait Xan Cassavetes est fan de Catherine Breillat. Nous nous sommes rencontrées un jour à un dîner, elle m'a dit qu'elle voulait travailler avec moi mais elle n'avait pas encore de projet. On est devenues amies, les années ont passé et elle m'a envoyé le scénario. Le film allait se faire très vite, elle a facilement obtenu l'argent. Tout le monde à été emballé par ce projet de film de vampires qui était plus proche d'un hommage aux films des années 60 et 70 que de l'espèce de nouvelle vague de vampires que l'on voit en ce moment. On ne citera pas de nom mais il y a une vraie mode actuelle de vampires qui s'éloigne beaucoup trop de l'origine, à tel point que cela ne devient même plus respectueux de l'héritage du genre, c'est du foutage de gueule. Xan au contraire est très respectueuse de cet héritage et avait envie de rendre hommage à ces films-là. J'avais très envie de travailler avec elle. Il me semble que rien qu'en rencontrant un metteur en scène, on peut déjà savoir si son film va être intéressant. Xan a une aura hyper forte, dès qu'elle a une entre dans une pièce on ne voit qu'elle, parce qu'elle a la peau très blanche et les yeux noirs. Elle me mettait mal à ĺ'aise au début car j'étais très très impressionnée, presque en extase devant elle. Elle m'intimidait mais je savais que le jour où elle ferait un film ce serait très particulier.
Le rôle que tu joues, Mimi...
Il est sympa hein!
Oui, et il m'a rappelé un peu le personnage que tu jouais dans Kaboom, cette femme fatale maléfique... Est-ce que ce sont des rôles particulièrement excitants à jouer pour toi?
Ah oui! J'étais ultra fan de Gregg, je rêvais de travailler avec lui. Et lui aussi est fan de Catherine Breillat, il m'a connu comme ça, comme quoi ce sont toujours les mêmes histoires qui se répètent. Je l'ai rencontré dans un dîner et il m'a dit qu'il écrivait un scénario avec un rôle créé spécialement pour moi... Bon parfois les gens disent ça et puis rien ne se passe... Mais là, quelques mois après, j´ai reçu le mail avec le scénario, et je n'avais qu'une envie: c'était de lui répondre OUI! Sans même le lire! Ça m'était égal parce que là encore j'avais envie de faire partie de l'aventure du metteur en scène que j'admirais, pas de jouer un rôle en particulier. Et j'ai de la chance parce que je trouve que c'est un de ses meilleurs films. Kaboom ça donne envie de faire la fête, alors que ça parle quand même de la fin du monde. Maintenant à chaque fois qu'il me voit il m'appelle Lorelei!
Quand Xan m'a fait lire le scénario, elle voulait que je joue Mimi et elle n'avait pas encore trouvé qui jouerait ma sœur. Elle a fini par me demander si ce rôle m’intéresserait , je lui ai répondu que non, je voulais absolument jouer Mimi! On me donne souvent des rôles de méchantes alors ce n'est pas moi du tout, je ne peux même pas écraser une mouche, résultat les gens ont peur de moi... Mimi est carrément folle, elle prend du plaisir à faire du mal. Mais ce qui me plaisait encore plus, c'est que c'est le seul personnage du film à ne pas renier qui elle est, c'est la seule vraie vampire du long métrage, les autres ne boivent même pas de sang humain et croient à l'amour romantique... Je suis là pour leur rappeler qui ils sont.
L'une des choses frappantes du film, c'est que le casting est en grande partie francophone. Xan Cassavettes explique que cela fait entre autre écho à son admiration pour le cinéma de Jean Rollin. C'est quelque chose dont vous avez parlé ensemble ?
Oui, je ne connaissais pas vraiment et elle m'a montré quelques films. C'est barré. Très sexuel.
C'est sexuel et onirique à la fois, et l'on retrouve effectivement dans Kiss of Damned, en filigrane, cette manière de prendre au sérieux la psyché féminine, ce qui reste aujourd'hui encore marginal dans le cinéma fantastique.
C'est complètement le cas ici! Dans ce film il n'y a qu'un seul rôle masculin, il est bien écrit mais c'est clair que dans un film hollywoodien ce serait l'inverse: ce serait lui la fille. J'aime le personnage de Mimi car selon moi elle représente justement le fantasme de Djuna. Elle débarque dans sa vie et elle fait tout ce qu'elle n'oserait pas faire. Comme si Mimi n'existait pas vraiment.
Quand on travaille sur des personnages féminins comme ceux-la, est ce que ça change quelque chose d'être dirigée par une femme ou pas du tout?
Le seul truc qui change c'est peut être lorsqu'il faut faire des scènes de nu. C'est moins angoissant mais c'est aussi parce que les réalisatrices vont avoir un point de vue féminin. Souvent je vois des films et je me dis: "ça c'est vraiment tourné par un mec, ce type ne comprend rien à ce qu'est le désir féminin". C'est rassurant dans ce sens de travailler avec une femme. Je sais que cela va être beaucoup plus proche de ma vision de la sensualité, de mon expérience de femme. Donc oui, ça change!
Entretien réalisé le 1er février 2014. Un grand merci à Clément Rébillat et Céline Petit.
Et pour ne rien louper de nos news, dossiers, critiques et entretiens consacrés à Gérardmer, rejoignez-nous sur Facebook et Twitter !