Entretien avec Robert Eggers

L'Américain Robert Eggers est l'une des grandes révélations de l'année avec son premier long métrage The Witch. Ce film raconte le quotidien d'une famille pieuse, vivant en marge de la société dans la Nouvelle-Angleterre en 1630 et qui va être confrontée à des événements terrifiants. Ce conte féministe sur l'intégrisme religieux, sélectionné à Gérardmer, s'inscrit parmi les meilleurs films d'horreur de ces dernières années. Il sort ce mercredi 15 juin en salles. Rencontre avec son réalisateur...

The Witch est votre premier long métrage. Pourquoi avez-vous souhaité raconter cette histoire en particulier ?

J'ai fait un court métrage qui n'était pas trop mal et qui a intéressé suffisamment de personnes pour que celles-ci veuillent développer un long métrage avec moi. J'avais écrit beaucoup de scénarios mais personne à l'époque n'en voulait. Ils étaient jugés comme trop étranges et pas assez reliés à un genre défini. Alors j'ai décidé de faire quelque chose à l'intérieur d'un genre bien identifié, il fallait que cela se déroule en Nouvelle-Angleterre à partir d'un tout petit budget (je suis de Nouvelle-Angleterre en fait). Et l'idée m'est venue de raconter une histoire horrifique archétypale de la Nouvelle-Angleterre. Et si l'on parle effroi en Nouvelle-Angleterre, on en vient rapidement aux sorcières. Par ailleurs je me suis toujours intéressé à l'Histoire de la Nouvelle-Angleterre, plus particulièrement aux sorcières - en réalité les rêves les plus anciens dont je me souviens sont des cauchemars à propos de sorcières. Cela me semblait donc adéquat.

Quel a été le point de départ de The Witch ?

J'ai tenté de raconter un cauchemar du passé. Comme un cauchemar dont on aurait hérité. J'ai essayé de comprendre ce que pouvait représenter la sorcière à l'aube de cette époque moderne, en quoi la puissance de cet archétype a pu tuer tant de femmes et d'hommes innocents et qui étaient accusé de sorcellerie. Qu'est-ce qui était si effrayant à leur sujet ?

C'est un film sur les sorcières, mais c'est aussi un film sur le pouvoir des femmes et sur la peur que ce pouvoir inspire aux hommes. Dans quelle mesure diriez-vous que The Witch est un film féministe ?

Le féminisme n'était pas l'intention première du film, avant tout j'ai tenté de comprendre le phénomène des sorcières. Mais très vite, en faisant des recherches, la réflexion féministe s'est imposée d'elle-même. On raconte ici l'histoire d'une culture misogyne, sur la suppression et l'oppression du pouvoir féminin. Si l'on parle de sorcières, on parle de féminisme. Et cette lecture du film me convient parfaitement.

Comment avez-vous collaboré avec Jarin Blaschke sur l'aspect visuel du film, sur sa lumière en particulier ? Aviez-vous des références en tête ?

Jarin Blaschke a filmé tous mes courts quelle que soit leur qualité et on a déjà travaillé ensemble sur les films d'autres réalisateurs. Du coup nous avons un langage similaire, des goûts proches et on aime travailler ensemble. Notre approche, tout simplement, c'était d'essayer de retranscrire les souvenirs de notre enfance puritaine, lorsque nous étions des gosses en 1630. Par conséquent la lumière devait être naturaliste, avec un usage autant que possible de la lumière naturelle - et de bougies pour les intérieurs. La Nouvelle-Angleterre du 17e siècle, c'était un monde très sombre et il fallait le montrer.

Je ne pense pas qu'être plongé dans le noir crée particulièrement d'obstacles, même s'il est parfois dommage qu'on ne puisse contrôler chaque projecteur pour qu'il ne soit pas trop faible ou trop lumineux lors des projections. Je regrette de ne pas pouvoir entrer dans vos maisons pendant que vous regardez le film en Blu-Ray ou en streaming pour ajuster votre télévision. Mais sur le tournage, tout cela avait du sens. On avait beaucoup de références en tête, surtout des illustrations de contes de fées datant de l'âge d'or de l'illustration. Mais sur le tournage, on essayait autant que possible de se débarrasser de ces références pour se concentrer sur chaque scène à tourner. Mais évidemment un film est une somme d'influences, c'est inévitable.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l'utilisation de la musique, qui est à la fois ahurissante et perturbante ?

A l'origine, je ne voulais aucune musique pour le film. Je ne voulais que les sons de la nature, mais j'ai réalisé que j'essayais d'atteindre des états émotionnels assez extrêmes et que j'avais besoin de la musique pour les atteindre. J'ai travaillé avec Mark Korven sur la manière de créer une musique basée sur celle du 17e siècle comme celle, dissonante, du 20e siècle. Et on n'a pratiquement utilisé que des instruments du 17e pour créer la bande sonore.