Entretien avec Rebecca Daly
L'Irlandaise Rebecca Daly signe avec Margaret un étrange portrait familial aux personnages complexes, porté par la qualité de son casting. Ce film sort ce mercredi 8 novembre en salles et nous avons rencontré sa réalisatrice. Entretien.
Comment est né Margaret ?
Quand je me lance dans une histoire, j’aime que celle-ci recèle une idée ou un thème forts. Pour Margaret, c’était le thème d’une mère qui part, une “mauvaise” mere qui permettait d’explorer l’idée que cela ne faisait pas forcément d’elle une personne horrible, et que les choses sont simplement plus complexes que cela. Cela me pose problème que les femmes, en général, soient toujours jugées plus sévèrement que les hommes sur leur façon d’élever leurs enfants. Mais quand on fait un film, on ne peut pas s’en tenir qu’à cette question. Il faut accepter de laisser l’histoire et les personnages se développer à l’écriture et grâce à l’interprétation des acteurs. C’est ainsi que Margaret est devenu une histoire d’amour sur une femme qui tente, un peu trop tard, d’aimer son fils.
Comment avez-vous abordé le style visuel de votre film avec votre directeur de la photographie Lennart Verstegen ?
Le point de départ a été d’éviter tout sentimentalisme – et le reste a suivi. En général, mon style cinématographique est plutôt épuré. Ma mise en scène consiste à observer en évitant de manipuler le regard du spectateur, et ça m'a semblé être le bon choix pour ce film. Il me semblait crucial que le public choisisse sa propre position vis-à-vis de Margaret. Lennart et moi-même étions d'accord sur le fait que les travellings et les amples mouvements de caméra n'avaient pas leur place dans ce film.
Le style visuel est simple et essaie d'être aussi "réaliste", du moins aussi authentique que possible ; néanmoins je voulais qu'il s'en dégage une atmosphère particulière. Nous avons pris la décision d'exclure les couleurs primaires, c'était à peu près notre seule restriction. Les détails, les textures m'importent, par conséquent j'ai une attention particulière pour les affiches, les articles de journaux, le t-shirt que peut porter le fils de Margaret etc...
Vos personnages sont complexes et assez inhabituels. Vos acteurs y sont pour beaucoup dans la réussite du film. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?
J'apprécie les interprétations sobres où les mécanismes d'acteurs s'effacent. Je pense également qu'un acteur ou une actrice est à son meilleur quand il ou elle ne se censure pas, ou n'est pas en train d'"observer" sa propre performance. Pour moi, les meilleurs acteurs peuvent rester dans leur personnage, pas dans le sens où ils le sont tout le temps sur le tournage, mais la clef est là : au moment où ils jouent, ils doivent voir à travers le personnage plutôt que d'être conscient de la façon dont le personnage va être vu.
C'est à mes yeux une partie essentiel du processus de mise en scène que de donner à un acteur toute sa liberté, pour voir ce qu'il peut apporter et ensuite travailler à partir du point de départ. Cela peut être le fruit de différentes prises, ce qui est un grand avantage au moment du montage. Margaret étant le personnage principal, j'ai passé la majeure partie de mon temps avec Rachel. C'était intéressant pour elle de jouer ce rôle, alors qu'elle est davantage habituée aux partitions plus extraverties. Mais elle a parfaitement relevé le challenge. Elle a une approche très cérébrale et analytique du personnage, on a eu beaucoup de discussions sur les motivations de Margaret et sur sa façon de penser. En fin de compte, l'un des éléments les plus intéressants du film réside dans la tension entre la nature de Rachel et le personnage de Margaret. Je n'aurais pas aimé travailler avec une actrice tournée sur elle-même plus que sur le personnage. Margaret, telle que Rachel l'interprète, a parfois des aspects de fille presque immature et cela fonctionne très bien avec le comportement imprévisible du personnage. La chaleur naturelle de Rachel constitue un joli contrepoint aux décisions de Margaret. Rachel a exploré en Margaret une vulnérabilité qu'on a peu vue en elle, dans ses précédentes prestations.
Barry, lui, est très instinctif. Il se comporte comme le personnage, il devient le personnage. Il essayait régulièrement lors d'une prise des idées dont nous n'avions pas parlé auparavant, cela fonctionnait très souvent et apportait quelque chose au personnage.
Aviez-vous des références en tête lors de la préparation de Margaret ?
Non, c'est vraiment l'histoire en elle-même qui a influencé mon approche. Puis les lieux de tournage, les acteurs, et tout s'est enchainé à partir de là. C'est assez rare pour moi d'avoir des références pour mes films, je suis avant tout concentrée sur le mien.
Avez-vous un nouveau projet ?
Mon nouveau film Good Favour vient de faire sa première mondiale au Festival de Toronto. Ce film parle d'un mystérieux jeune homme qui débarque dans une communauté chrétienne isolée où il a une crise mystique. Je travaille également sur un film qui fait le portrait d'une famille privilégiée de New York, avec un artiste et une œuvre controversée au centre de l'histoire.
Entretien réalisé le 13 octobre. Un grand merci à Thibaut Fougères.