Entretien avec Pia Marais

Entretien avec Pia Marais

Née à Johannesbourg, Pia Marais vit désormais en Allemagne où elle a réalisé ses deux premiers longs métrages. Pour son nouveau film, Layla (en salles le 26 mars), la réalisatrice a retrouvé ses racines et raconte l'histoire d'une mère célibataire suspectée de meurtre. Le film a été remarqué lors de sa sélection en compétition à la Berlinale. Nous avons interviewé la réalisatrice qui nous parle de son pays d'origine, de son cinéma et de son expérience à la Berlinale.

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FilmDeCulte : Pour Layla vous êtes retournée sur les lieux de votre enfance en Afrique du sud. Quel a été le point de départ de Layla, qu’est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire?

Pia Marais : J'ai toujours voulu faire un film sur le pays dans lequel j'ai grandi. Et je souhaitais aussi décrire une atmosphère qui n'a je crois jamais été retranscrite au cinéma. La plupart des films qui se déroulent en Afrique du Sud ou qui en parlent traitent de l'Apartheid. En 2006, j'étais en Afrique du Sud pour faire des recherches au sujet d'un documentaire qui n'a jamais vu le jour. Mais c'est ce qui m'a menée vers Layla. Ma recherche portait essentiellement sur la paranoïa ambiante, et je suis entrée en contact avec une petite société qui s'occupe de détecteurs de mensonges. Il s'est avéré que la grande partie de leur travail consistait à faire des tests de pré-emploi pour des sociétés à la recherche de personnel. J'ai été très surprise, pour moi ça ressemblait presque à une violation des droits de l'homme. Mais ça va plus loin. Il n'est pas inhabituel pour des couples que chacun fasse un test avant de se marier, ou durant leur relation. Il m'a semblé que les gens, manifestement, avaient perdu confiance en leur intuition et s'en remettaient à ces instruments pour savoir s'ils pouvaient croire ou non une autre personne. Un paysage entier de méfiance.

J'imagine qu'après l'Apartheid, l'industrie de la sécurité en Afrique du Sud a connu un boom et les gens ne se fient plus aux forces de la police, du coup c'est un secteur qui a été privatisé. Les gens prennent toutes sortes de précautions afin de ne pas être victimes de crimes. Et ce business des détecteurs de mensonges en fait juste partie. C'est un peu comme si l'Apartheid avait muté en une forme différente. Ce n'est plus tant une question de couleur de peau mais un affrontement entre riches et pauvres. Ceux qui peuvent se le permettre vivent derrière de grands murs avec des fils électriques, des barreaux aux fenêtres et aux portes, des systèmes d'alarme très perfectionnés à l'intérieur et à l'extérieur des maisons, des caméras de surveillance partout, des boutons d'urgence installés dans chaque pièce. On passe son temps libre dans des centres commerciaux remplis d'agents de sécurité. En fait on trouve d'immenses centres commerciaux thématiques ou des casinos qui recréent Venise ou un endroit en Provence avec des plafonds représentant le ciel. Le dimanche, les gens y vont pour se relaxer. L'Afrique du Sud est une étrange combinaison où le tiers monde rencontre la science-fiction, et pourtant tout cela est parfaitement réel.

Je voulais faire un film contemporain sur le pays et Layla, c'est ça. Un film qui reflète la réalité de cet esprit. Comment ce sentiment d'insécurité, comment les mesures de précaution, de protection s'insinuent dans la vie privée des gens. Si ce film reflète un certain état d'esprit sud africain, il y a aussi, peut-être, quelque chose de plus universel quand on pense à la façon dont les pays riches utilisent ces mêmes mesures pour se protéger du tiers monde. Mais, avant tout, c'est un film sur une jeune mère qui se bat pour faire ce qui est bien, et protéger ce qui lui est le plus cher.

FDC : Pour vous c'est un film qui parle de la réalité de la vie en Afrique du Sud.

PM : Je pense que le film dit beaucoup sur l'état d'esprit sud africain. Je voulais faire un film sur la réalité d'un état esprit, plus que sur la réalité en tant que telle. Étrangement, en Europe, les spectateurs pensent que le film exagère ces mesures de sécurité, alors que ce qu'on voit chez Constanza, dans le film, est dépassé, ne fonctionne pas tout simplement parce que les moyens financiers ne sont pas là. Je crois que le film reste très discret à ce sujet.

FDC : Layla et A l’âge d’Ellen parlent tous deux de jeunes femmes à la recherche de nouveaux repères, et pourtant les deux films sont en apparence très différents. Quel lien faites-vous entre ces deux long-métrages ? Ou au contraire, quels changements avez-vous voulu instaurer ?

PM : Pour moi A l'âge d'Ellen et Layla sont très liés dans le sens où ces films parlent de des femmes qui sont dans un état d'incertitude totale. Où aller ? Quel est le bon chemin ? La raison pour laquelle Layla emprunte au cinéma de genre est tout simplement que le sujet s'y prêtait. Mais je veux dire aussi que je souhaite faire des films différents, je ne veux pas me répéter. On évolue, on change, et ça doit se refléter dans mon travail. Sinon il ne serait question que de routine au lieu d'une grande aventure. Pour tout vous dire, après Layla qui utilise certains aspects du film à suspens, j'adorerais avoir l'occasion de travailler à nouveau dans le cinéma de genre. Il y a tant de niveaux d'interprétation qui peuvent être reflétés. Ce serait merveilleux.

FDC : Il y a dans Layla une certaine sobriété qui n’empêche pas l’émotion. Nous parlions récemment avec l’actrice Nina Hoss qui évoquait une certaine retenue dans l’émotion et l’écriture qui caractérise toute une partie du nouveau cinéma allemand. Est-ce une définition dans laquelle vous vous retrouvez ?

PM : Oui dans une partie du cinéma allemand, il y a effectivement cette retenue, ce minimalisme dans l'interprétation. Je ne pense pas que mes films soient totalement comme ça. Mais je crois que plus le ton est retenu, plus l'évolution des personnages est claire. Je pense que Nina Hoss se réfère à l'Ecole de Berlin, mais je ne sais toujours pas exactement ce que ça signifie parce qu'il y a tant de réalisateurs différents qui sont cités comme faisant partie de ce mouvement. Je n'ai jamais eu le sentiment d'en faire partie car le peu de films que j'ai réalisés pour le moment n'y appartiennent pas vraiment, ni dans le sujet ni dans la mise en scène.

FDC : Comment s’est passée la présentation du film à Berlin ?

PM : La Berlinale a été une très bonne expérience. Le festival était aux petits soins et c'était important pour le film. C'était personnellement quelque chose d'étrange parce que le film n'a littéralement été achevé que quelques jours avant le festival. Du coup je n'ai pas eu le temps d'avoir la distance nécessaire entre le film et moi. J'imagine que c'est ce qui a rendu cette expérience encore plus forte.

FDC : Quels sont vos projets?

PM : J'ai différentes idées, mais je dois encore me décider sur ce vers quoi je vais canaliser mon énergie. On passe des années sur un film, alors il faut être vraiment obsédé par le sujet qu'on va traiter.

FDC : Nous préparons actuellement sur un dossier dédié au nouveau cinéma allemand. Quels sont les aspects du cinéma allemand contemporain que vous trouvez les plus excitants? Quels sont les films ou les jeunes réalisateurs que vous avez le plus remarqués récemment ?

PM : C'est difficile pour moi de vous dire ce que je trouve de particulièrement intéressant dans le cinéma allemand actuel. Je manque de distance. Il y a évidemment un cinéma d'auteur intéressant, mais je suis particulièrement admirative de réalisateurs peu académiques et je suis une fan de Philip Gröning par exemple. C'est, à la façon d'un Werner Herzog, un cinéaste obsessionnel qui va vers les extrêmes.

Entretien réalisé le 2 juillet 2013.

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par Gregory Coutaut

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