Entretien avec Phan Dang Di
Repéré à la Semaine de la Critique, Phan Dang Di a réalisé avec Bi, n'aie pas peur ! (en salles le 14 mars) un premier film prometteur, évoquant les longs métrages de Tsai Ming-Liang. Entretien avec une jeune voix du cinéma vietnamien.
FilmdeCulte: Quel a été votre parcours avant la réalisation de Bi, n'aie pas peur ! ?
Phan Dang Di: A 18 ans j'ai été admis à l'Académie de Théâtre et de Cinéma d'Hanoi. J'y ai étudié le cinéma, j'ai écrit, j'ai participé à la production de publicités. L'été 2005, j'ai réalisé un court métrage intitulé Sen (Lotus). Mon second court métrage, Khi Toi 20 (Quand j'aurai 20 ans), que j'ai écrit et réalisé, a été sélectionné au Festival de Venise en 2008. En 2009, Vertiges de Bui Thac Chuyen, dont j'ai écrit le scénario pour ma thèse, a également été montré à Venise. Par ailleurs j'ai enseigné l'histoire du cinéma et l'écriture de scénario pendant 5 ans à l'Université de Hanoi.
FdC: L'eau joue un rôle très important dans le film, de façon métaphorique comme de façon très concrète. Pouvez-vous nous en parler ?
PDD: L'eau et la glace sont faits pour satisfaire la soif des êtres humains. Dans Bi n'aie pas peur!, un bloc de glace est utilisé pour rafraichir la bière, pour réprimer les désirs sexuels de la tante de Bi, pour atténuer la douleur physique de son grand-père, maintenir en vie les feuilles cueillies par Bi. La glace est solide mais rapidement, elle fond. Son impermanence est comme toute chose dans le monde physique.
FdC: Les personnages féminins de Bi, n'aie pas peur ! sont forts, tandis que les hommes sont généralement faibles. Est-ce votre point de vue sur la société vietnamienne ?
PDD: Pour moi, les femmes constituent la partie la plus forte de la population. Cette conviction me vient de ce que j'observe chez les femmes vietnamiennes. Elles sont fortes non pas parce qu'elles sont indépendantes vis-à-vis des hommes ou parce qu'elles contrôlent la société, mais grâce à leurs simples croyances et leurs responsabilités sociales. Leur patience envers les hommes qui, pour la plupart, sont malhonnêtes, peu sûrs d'eux, et plus prompts à céder aux plaisirs faciles, prouve qu'elles sont plus fortes qu'eux. Dans une société qui a connu des changements aussi radicaux qu'au Vietnam (à cause des guerres, des catastrophes naturelles, des lois qui changent constamment), tout parvient à être à sa place grâce à l'endurance et aux sacrifices des femmes. Calmement, les femmes vietnamiennes apprennent à accepter la vie telle qu'elle est, ce qui n'est pas facile, et à assumer la faiblesse des hommes.
FdC: Bi, n'aie pas peur ! est sorti dans une version censurée au Vietnam. Qu'est-ce qui a été coupé de la version originale et quelle a été la réaction du public ?
PDD: Toutes les scènes d'amour, de masturbation, les scènes de nudité ont dû être coupées. La version censurée de Bi n'aie pas peur ! a ensuite été diffusée dans 4 ou 5 salles, mais le film n'a pas très bien marché. Après avoir vu cette version, la majorité des spectateurs se sont plaints de ne pas comprendre de quoi parlait le film. Il y a eu au contraire beaucoup de gens qui ont vu la version pirate, qui présentait la version intégrale, et qui était disponible sur le net ou sur copies dvd. Il y a eu beaucoup de discussions au sujet du film. Certains ont trouvé le film vulgaire, déplacé, offensant, comme une gifle à l'égard du public. Mais d'autres ont beaucoup aimé le film et ont trouvé que Bi, n'aie pas peur ! était le film vietnamien le plus impressionnant qu'ils aient vu. De ce que je crois savoir, Bi, n'aie pas peur ! était le film le plus controversé au Vietnam l'an passé.
FdC: Bi, n'aie pas peur ! m'a évoqué la sensualité du cinéma de Tsai Ming-Liang. La scène avec les ombres de crabes m'a rappelé une scène similaire dans La Saveur de la pastèque. Tsai Ming-Liang était-il un modèle pour vous ? Aviez-vous en tête d'autres modèles en tournant votre premier film ?
PDD: Je suis un grand fan de Tsai Ming-Liang. Pendant que je filmais Bi, n'aie pas peur !, j'ai décidé de tourner une scène qui exprimerait mon admiration pour son cinéma. Il s'agit de la scène où la belle-fille lave le corps inerte de son beau-père. C'est une scène inspirée par I Don't Want to Sleep Alone, que j'aime beaucoup. A vrai dire, je dois avouer que je ne me souviens pas de la scène du crabe dont vous me parlez, dans La Saveur de la pastèque ! Un autre réalisateur que j'ai toujours à l'esprit quand je pense à ce qu'est le cinéma, c'est Satyajit Ray. Pour moi, c'est le plus grand réalisateur au monde, qui m'a montré le sacré de la vie et des êtres humains à travers ses films merveilleux.
FdC: Les occasions de voir des films vietnamiens en France, même à Cannes, sont rares. Pouvez-vous nous parler de votre expérience lors de la présentation du film à la Semaine de la Critique ?
PDD: C'était une expérience géniale. Beaucoup de spectateurs sont venus me voir après le film pour me dire qu'ils avaient été impressionnés par l'atmosphère unique du film, qui leur a donné envie de venir au Vietnam. Même si je ne m'attendais pas à ça, j'ai été très ému.
FdC: Quels sont vos projets ?
PDD: Je travaille sur mon nouveau projet, Big Father, Small Father, and Other Stories, qui est basé sur une histoire vraie que j'ai lue dans un journal il y a 16 ans. C'est à propos d'un groupe d'hommes jeunes, dans un quartier pauvre, qui décident de procéder à des vasectomies pour gagner rapidement de l'argent. On a constitué un casting, trouvé les lieux de tournage. Si tout va bien avec les investisseurs, on commencera à tourner en septembre !
Un grand merci à Claire Lajoumard & Arnaud Soulier
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Bi, n'aie pas peur ! sort en salles le 14 mars.