Entretien avec Patrick Wang

Entretien avec Patrick Wang

In the Family est un drame sensible et subtil qui, après une tumultueuse carrière aux Etats-Unis, arrive à point nommé sur nos écrans pour redéfinir ce qui forme une famille. Rencontre avec son réalisateur.

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Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire d’In the Family ? Y a-t-il eu un point de départ particulier ?

Ce fut moins un unique point de départ qu’une série de plusieurs petites étincelles. Il y a quand même une image d'où tout est parti : deux pères qui jouent au football avec leur enfant. C’est une scène à laquelle je n’ai pas assisté mais qui m’est venue à l’esprit, et j’avais envie de savoir ce qu’il pouvait y avoir derrière, comme histoire. C’est ce qui m'intéresse le plus : susciter la curiosité et la satisfaire, partir d’une image pleine de potentiel et développer... C’est une origine très modeste ! Mais cette image très simple, je l’ai filmée telle qu’elle, on la voit au tout début du film.

Aux États-Unis, le film a eu du mal à trouver sa place dans les festivals et a finalement eu une carrière inattendue, puisque vous avez décidé de l’auto-distribuer, c’est bien cela ?

C’est vrai que beaucoup de festivals l’ont rejeté, aux États-Unis comme en Europe, y compris à Cannes. La plupart des rejets sont d’ailleurs venus de festivals LGBT, et ça a presque fini par me convaincre que j’avais fait une terrible erreur. Parmi tous ceux qui le voyaient, personne ne l’aimait, et je me suis sérieusement demandé d’où venait le problème. Ça m’a presque rendu fou. J’ai donc décidé de le distribuer par moi-même : j’ai loué une salle à New York pendant une semaine, j’ai invité des critiques, mais je voulais surtout voir si le public, lui, allait venir. Il devait bien exister un public pour ce film ! Et effectivement, le phénomène s’est inversé. Le public est venu est c’est lui qui a lancé la carrière du film. Pourquoi cela s’est fait comme ça ? Je l’ignore. Peut-être que les professionnels ont eu peur que le film soit difficilement rentable ?

Par la suite, j’ai fait le tour des États-Unis avec mon film sous le bras, jusqu’au Canada, j’ai été dans des villes dont je ne savais rien, et où aujourd’hui j’ai des amis. J’ai beaucoup appris sur ces endroits, rien que par la manière dont les spectateurs ont réagi au film. Certains réalisateurs n’aiment par voir leurs propres films et assister à des projections publiques, moi j’adore ! J’aime l’expérience en salle, j’aime sentir les réactions du public en direct, qu’elles soient positives ou négatives. Et ce sont ces projections qui font qu’aujourd’hui le film sort de manière plus officielle. Si aujourd’hui Ed Distribution distribue mon film, c’est parce qu’à la base, quelqu’un l’a vu à l’une de ces projections, on n’est pas passé par un vendeur international ou un gros festival. Et quelque part, ça correspond bien au côté artisanal du film.

On pourrait presque faire un parallèle entre le rôle actif que vous avez dû prendre pour faire circuler In the Family, et le fait que le film demande à son tour au spectateur un visionnage qui ne soit pas passif. Si le spectateur sait porter attention au détail et se fond dans le rythme du film, sa patience est récompensée.

Il y a effectivement un parallèle à faire, ne serait-ce que parce que dans ce cas, c’est un procédé qui prend du temps ! Dans le film, Joey a des amis qui le supportent, mais ils ne lui apportent pas de réponse toute faite à ses problèmes. J’ai eu beaucoup de déceptions et désillusions dans le parcours de ce film, mais je me suis fait de nombreux amis qui, même s’ils n’ont pas résolu directement les problèmes, m’ont porté vers la situation où je suis aujourd’hui.

Était-ce votre intention dès le départ de délibérément éviter toute scène attendue et un peu cliché, telles que les crises de larmes ou les engueulades ? Je pense notamment à la manière dont vous filmez la scène d’annonce du décès depuis une certaine distance, presque depuis une autre pièce, et on ne distingue plus les visages des personnages. Comment avez-vous travaillé cet équilibre entre ce que vous désiriez montrer et cacher ?

Oui, et je suis très content que vous employiez le terme d’équilibre, parce qu’il ne s’agit pas d’une règle absolue du style « il ne fait jamais filmer tel ou tel truc » mais il y a un mouvement de va et vient à trouver entre ces deux manières de faire : montrer ou ne pas montrer. Si, dans mon film, je ne vais pas vers les choses évidentes, c’est précisément parce qu’elles sont déjà évidentes ! Vous n’avez pas besoin de moi pour savoir que la mort c’est triste. On n’a pas besoin qu’on vienne nous dire ce que c’est que d’être humain, parce que nous le ressentons tous déjà. Ces choses-là, je préfère les sous-entendre que les montrer. Il faut aussi laisser de la place pour le spectateur : si je filme le visage d’un acteur en gros plan, cela limite ce que le spectateur va ressentir, imaginer et penser, cela le met sur une piste trop étroite. Pour la scène dont vous parlez, j’ai voulu filmer depuis l'extérieur de la pièce parce que je voulais nuancer, laisser entrer d’autres éléments et sentiments. Cela permettait de rendre tout son poids à cette terrible nouvelle, bien plus que si j’avais filmé des larmes. Aller directement à l’essentiel c’est aussi s’empêcher de regarder ailleurs, or c’est souvent en regardant ailleurs qu’on trouve les choses les plus intéressantes.

C’est pour cela que vous n’utilisez ici presque jamais de gros plan ?

Exactement. On pourrait croire que le protagoniste aurait droit à plus de gros plans que les autres, mais son ressenti face à ce qu’il traverse est déjà clair. Les gros plans trouvent un usage plus intéressant vers la fin, lorsque ses sentiments deviennent beaucoup plus complexes.

L’une des singularités du film, c’est aussi la longueur de certaines scènes, qui continuent à vivre et surprendre au-delà de leurs simples enjeux informatifs et narratifs. Le fait que vous jouiez le rôle principal en même temps que vous assuriez la mise en scène a-t-il eu des conséquences sur la durée et le flux des scènes ?

On pense toujours qu’un réalisateur impose à son film un rythme ou une longueur. Pourtant, si j’avais suivi mon premier instinct, les scènes auraient été courtes, parce que Joey réagit le plus souvent de manière assez simple et directe, il réagit rapidement. Et les autres personnages, non. La longueur des scènes vient donc le plus souvent des autres personnages. Lors du tournage, je demandais à chaque fois à ma scripte la durée de la scène qu’on venait de terminer, et elle me donnait à chaque fois un chiffre bien supérieur à ce que j’imaginais, souvent deux fois plus long ! L’explication était simple : dans le scénario j’avais écrit des lignes de dialogues qui s’enchainent, mais au moment de les jouer, les acteurs ont à leur tour écrit des pensées intérieures entre ces lignes, et c’est très bien. Depuis, quand dans un film je vois une scène de dialogue qui a visiblement été remontée, je me demande ce que cela aurait donné si le réalisateur avait conservé les blancs inévitables entre les répliques…

J’ai cru comprendre que vous avez tourné beaucoup de scènes en prise unique ?

Parfois. Il n’y a pas de récompense pour celui qui arrive à tourner la scène la plus longue, et il n’y a en n’a pas non plus pour celui qui arrive à faire le moins de prise, donc ce n’était pas un but. La scène où Joey et son fils reviennent chez eux après l’accident et que le fils offre une bière à son père, c’était la première prise, il n’y avait pas besoin de la retourner. Pour d’autres scènes, il a fallu faire vingt prises. Tout dépend de ce qui sied à la scène. C’est la même chose pour le style de mise en scène, des fois il est très conventionnel, et des fois beaucoup plus étrange.

Au moment de l’écriture, comment avez-vous appréhendé la scène-clé du film, celle de la déposition en groupe avec les avocats ? L’avez-vous tout de suite envisagée comme le cœur du film, la plus forte en terme de ressenti ?

Elle se détache des autres scènes parce qu’elle est filmée en temps réel. Quand j’ai commencé à imaginer cette histoire, une fois que l’image de la famille jouant au foot s’est transformée en récit, je me suis dit que ça allait forcément finir avec un procès et un jugement. On s’attend à ce que ça ne puise se régler qu’au tribunal. Mais je voulais éviter de faire intervenir quelqu’un d’extérieur à cette famille, et que cette personne endosse le rôle du méchant.

Si cette scène est puissante, c’est aussi parce qu’à mon sens, elle fonctionne comme une métaphore du coming-out. Pendant tout le film, Joey souffre en silence, on attend qu’il trouve la force de se battre, et enfin il finit par dire son histoire, sans violence ni agressivité. Il dit enfin qui il est.

Dans la vie il y a des gens que l’on connait très bien depuis longtemps, qui nous sont très proches, et on se rend compte qu’ils n’abordent jamais certains sujets, par exemple leurs parents ou leur absence… On n’a pas toujours l’occasion de parler des choses qui ont été si fondamentales dans notre construction, et on peut avoir peur de leur demander pourquoi. Tout ça pour dire que parler de soi, ce n’est pas toujours si commun qu’on ne le croit. Je crois que c’est pour ça que cette scène fonctionne.

Il y a en plusieurs scènes où les personnages discutent, parlent par dessus les autres à tel point qu’on ne distingue parfois pas forcément l’intégralité des dialogues. Ce qui arrive dans la vraie vie mais rarement au cinéma. D’une certaine mesure, on perd alors un peu du sens, mais le film y gagne beaucoup, jusqu’à atteindre un sentiment d’intimité rare. Dans quelle mesure ce sentiment est-il justement renforcé par votre travail autour du son ? C’est un aspect que vous avez particulièrement travaillé ?

Tout à fait. Ce à quoi l’on n’a pas accès, tout ce qu’on ne voit pas, c’est une part très importante de nos relations avec les gens. Tout ce qu’on ne connait pas sur le gens les rend plus intéressants. Si le son est toujours parfait, vous n’avez aucun boulot à faire en tant que spectateur. Je suis content que vous ayez remarqué que cela provenait aussi du son.

Un certain détail a beaucoup été remarqué à propos du film : les mots « gay » « homosexuel » ou « mariage » n’y sont jamais prononcés. C’était intentionnel dès le départ ?

Au début non. Je m’en suis rendu compte à mi-chemin de l’écriture du scénario, et j’ai trouvé ça intéressant, j’ai donc continué. Ces mot sont des mots très forts pour parler d’identité, et de par leur potentiel politique, ils peuvent faire peur à certains et les mettre directement sur la défensive. Or je voulais que le film soit accueillant, et parfois il faut savoir omettre certains termes sur lesquels les gens se focalisent, alors que si on montre un couple homo sans rien dire, la plupart du temps cela passe. Les personnages ne se présentent pas en disant « nous sommes gay », et par conséquent le spectateur a envie de leur demander « qui êtes vous ? » et s’intéresser à eux (rire).

Envisagez-vous In the Family comme un film potentiellement éducatif, dans le meilleur sens du terme ?

Oui, mais la question que je me suis posé n’est pas « qu’est ce que je pourrais enseigner aux gens » mais « qu’est ce que je peux personnellement retirer de ce film ? ». Je connais dans ma vie des gens tels que Joey, et je les considère comme des héros. Avec ce film, j’ai essayé de me mettre à leur place, pour comprendre quelles étaient leurs vies. Et j’ai énormément appris, sur moi-même et les autres.

Entretien réalisé le 4 novembre 2014.

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par Gregory Coutaut

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