Entretien avec Panos Koutras
C'était l'une des bonnes surprises du dernier Festival de Cannes. Xenia (en salles le 18 juin) est un film hybride et surprenant qui retrace le parcours de deux frères à la recherche de leur père dans la Grèce d'aujourd'hui. Rencontre avec son réalisateur, Panos Koutras.
Pourrait-on dire que d’une certaine manière, Xenia est un film sur les frontières qui tombent et disparaissent : les frontières géographiques, mais aussi celle qui existe entre les deux frères qui doivent apprendre à se connaitre, ainsi que celle entre les genres cinématographique ?
Cette formule me plait beaucoup. Je n’ai pas délibérément imaginé Xenia en ces termes, mais c’est vrai que tout est parti d’une histoire très concrète de frontière et d’immigrés, donc forcément cette notion imprègne le reste du film, oui.
Ce qui surprend peut-être le plus dans le film, c’est son mélange d’optimisme onirique et de réalisme parfois dur.
Prenons la dernière scène du film. Dès le stade de l’écriture, c’était très clair pour moi : il fallait que les protagonistes partent non pas à l’aube mais au coucher du soleil. Parce que ce n’est pas le début d’un nouveau jour, ils comprennent au contraire qu’ils vivent dans un pays où il commence à faire nuit. Personne n’a vraiment perçu le côté pessimiste de cette fin, ou du moins ce contexte politique, mais ce n’est pas grave. Au contraire j’adore ça!
Il y a un contrepied intéressant dans Xenia : concrètement, les personnages homosexuels sont les seuls à avoir à l’écran une vraie vie sexuelle et une vie de couple, tandis que les personnages hétéros doivent se contenter d’un chaste baiser, tout le reste était laissé hors-champ. C’était une manœuvre consciente pour détourner les clichés ?
C’était complètement inconscient (rires) ! Je ne sais pas si je suis totalement d’accord. Certes le baiser le plus érotique du film est celui entre Danny et son copain, mais le sexe n’est pas vraiment ce qui m’intéressait dans le film. D’ailleurs dès qu’il pourrait en être question, je détourne la situation, avec un lapin géant par exemple. Je préfère filmer l’amour, le sexe moins. C’est d’ailleurs plutôt pour cette raison que je me suis attardé sur le personnage de Dassos, qui vit avec un homme.
Danny, le protagoniste, est un ado efféminé, mais à plusieurs reprises il n’hésite pas à casser la gueule à ceux qui le cherchent. En terme de représentation queer, c’est tellement rare de voir un personnage non-viril se battre volontairement (et non pas se faire battre) que je me suis demandé si ce n’était pas la première fois que l’on filmait ça.
Je ne suis pas sûr que ce soit la première fois. Ce personnage est un mélange de plein de choses contradictoires. Il se construit une fausse enfance (il mange des sucreries, il a un ami imaginaire…) et en même temps il assume son rôle de battant, de protecteur. C’est lui qui protège son frère et qui mène le jeu, il devient même son manager. Mais Danny est aussi machiavélique, parce qu’il se rend à Athènes avec un plan très précis en tête. Il a surtout un côté Peter Pan car il est très courageux, il n’a pas peur de se battre contre des pirates et il ne se laisse jamais faire. Dès le début je voulais que Danny soit très courageux, qu’il soit comme un héros. Malgré sa légère folie, Danny est un héros, un guerrier. Mais chaque héros doit avoir un côté fou.
Même si l’homosexualité n’est jamais le sujet de Xenia, le film parle néanmoins de la nécessité de se battre et de se faire entendre. On en revient au mélange de fatalisme et d’optimiste.
Pour l’instant, le public n’a pas l’air de voir Xenia comme un film queer, c’est pourtant l’un de mes films les plus queer (rires) ! Je voudrais bien que Danny, malgré son côté fou, devienne un héros, un modèle pour les jeunes spectateurs gay. Qu’il leur donne envie de se battre et de s’assumer : « Oui, je suis jeune, je suis gay, je taille des pipes, j’existe et je continue à aller jusqu’au bout », voilà son discours. Obliger un enfant à assurer un rôle d’adulte, le priver de sa propre enfance, c’est très violent. C’est une des expériences les plus traumatisantes qui soient. Danny a dû prendre soin de sa mère, et non l’inverse. Il a eu beaucoup de responsabilités et c’est pour cela qu’il s’est créé un monde, une échappatoire. Mais à un moment donné, il se rend compte qu’il ne peut plus fuir la réalité. C’est d’ailleurs l’enjeu de la scène avec le lapin dans la forêt. Danny comprend qu’il doit grandir. Et son frère Odysseus comprend cela aussi, et il le soutient. Quand Danny se fait braquer et menacer, Odysseus devient d’ailleurs fou. Il devient fou à son tour.
C’est peut-être justement l’acceptation de leur propre folie qui leur permet de grandir. C’est grâce à cette folie qu’ils vont trouver leur place dans le monde réel.
Bien sûr. Il faut de la folie pour se battre, parce que le monde est un endroit très dur.
Tu penses que c’est plus dur aujourd’hui qu’il y a trente ans pour de jeunes marginaux, homos ou non ?
Peut-être bien (silence). Oui, c’est sûrement plus dur. Aujourd’hui les gens sont plus intolérants. Pire : ils se sont trouvé des excuses pour être intolérants. Ils le sont au nom du bien-être, ils se disent que la vie est déjà assez dure, qu’ils n’ont pas d’argent, donc qu’ils ne vont pas en plus tolérer tout ça, qu’il y a plus urgent… Dans les années 70 c’était très différent, les gens étaient bien plus tolérants. D’une certaine manière, les immigrés sont devenus les zombies de notre époque : ils sont là mais ils n’ont pas d’identité, on ne doit ni les fréquenter ni les toucher, ils sont soi-disant la cause de notre malheur, comme s’ils pouvaient nous contaminer. Le monde a toujours été hostile envers les jeunes, mais peut-être plus encore aujourd’hui.
C’était fondamental pour toi d’engager des acteurs qui soient véritablement albanais et en demande de régularisation ? Quand tu avais engagé une véritable actrice transsexuelle pour le rôle éponyme de Strella, tu avais dit que c’est une question de respect, il me semble.
Oui bien sûr. Je n’aurais jamais fait le film autrement. C’est un choix politique. Ainsi les comédiens peuvent défendre le film mais aussi leurs propre parcours. Imagine si le film marche en Grèce, tout le monde sera allé voir un film centré sur deux acteurs albanais à tomber, et pan, dans la gueule de l’extrême-droite (rires)!
Le film a-t-il déjà été vu en Grèce ?
Non, pas encore. Il sortira à la rentrée. Je ne sais pas si ça fera un tabac, mais je pense qu’il sera bien reçu. Pourtant en Grèce comme en France on vit dans un monde où une grande partie des gens ont voté pour l’extrême-droite, alors ils n’ont pas forcément envie de voir un film sur deux immigrés qui réclament la nationalité. Il ne faut pas être dupe non plus.
J’ai cru lire que vous avez eu des problèmes avec l’extrême-droite grecque sur le tournage ?
Oui. Des groupes étaient présents sur le tournage. Mais comme c’était une production européenne, ils n’ont pas osé en faire trop. On a quand même dû tourner une scène de façon muette pour ne pas leur tendre la perche. On en n’a pas eu de véritables problèmes, mais on aurait pu, parce qu’ils étaient bel et bien là.
Pour toi Xenia c’est un film politique, si tant est que l’appellation ait un sens ?
Tous les films sont politiques, du plus petit projet au plus gros blockbuster américain, et ce quelles que soient les intentions du réalisateur. Je ne dirais pas que Xenia est un film militant, mais il a une position politique claire.
Avec le recul, quel regard portes-tu sur la carrière de L’Attaque de la moussaka géante ?
C’était génial. J’aurais adoré pouvoir revivre une telle expérience, mais c’est impossible. Je ne me rendais pas vraiment compte de qu’on faisait à l’époque. Je fais partie d’une génération qui vient du punk. On peut dire que le punk c’est un peu une continuation du mouvement new-yorkais de Andy Warhol et du Velvet Underground. Le No Future, c’est eux. On a eu beaucoup de difficultés pour finir ce film, j’ai dû prendre beaucoup de risques, mais je me suis dit « on mourra tous un jour, alors autant y aller à fond ». Voilà, No Future : on suit notre chemin et on se fout du reste.
Entretien réalisé le 4 juin 2014. Un grand merci à Robert Schlockoff
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