Entretien avec Panos Cosmatos
Réalisateur du fascinant Beyond the Black Rainbow, le Canadien Panos Cosmatos a signé avec ce premier long métrage un ensorcelant film-trip, une rêverie échappée des 80's qui a fait le tour des festivals (et notamment Gérardmer, où nous l'avons découvert). Entretien avec un petit génie dont on attend des nouvelles avec impatience.
FilmDeCulte : Quel a été votre parcours avant la réalisation de ce premier film ?
Panos Cosmatos: L'autodestruction.
FdC : Votre père était réalisateur (George Cosmatos, réalisateur entre autres de Rambo II ou Cobra) et votre mère plasticienne. Diriez-vous que Beyond the Black Rainbow combine ces deux influences, et si oui dans quelle mesure ?
PC: J’ai grandi sous l’influence des sensibilités artistiques de mes parents. Ma mère a nourri ma créativité et mon amour pour le dessin, les comics et la musique, et elle m'a encouragé à m'exprimer à travers l'art. Mon père m'a sensibilisé au cinéma en général : c'est-à-dire à la dure et froide réalité du milieu, mais aussi à la beauté et la diversité de ce moyen d'expression. Il avait une collection de Betamax, des milliers de titres, du coup je regardais des films de toute époque, nationalité et style. Les seuls moments où on s'entendait vraiment avec mon père, c'est quand on regardait des films ou qu'on en parlait. J'ai réalisé après sa disparition que cette relation était une chance.
FdC : Votre projet a t-il depuis le début été pensé pour être diffusé au cinéma et en festivals (plutôt que dans des galeries d'art, par exemple) ?
PC: Ça ne m’intéressait pas du tout de faire partie du monde de l’art en tant que tel. J’appréhende plutôt le cinéma sous l’angle de la culture pop. J’adore l’idée que quelque chose qui a été pensé à la base comme un loisir « jetable » ait donné lieu à des expressions aussi incroyablement variées.
FdC : Le visuel du film ne donne jamais l'impression d'être cheap, comme si vous n'aviez eu aucune contrainte budgétaire. Comment finance t-on un film aussi particulier ?
PC: Le film a un budget relativement modeste. Il a été quasi-intégralement financé par les royalties des DVD de Tombstone.
FdC : Aviez-vous à l'esprit un modèle particulier pour le look de votre film, qui semble très inspiré par les années 80 ?
PC: J'ai pensé Beyond the Black Rainbow comme un film de château gothique, mais qui se déroulerait dans un paysage moderne et décadent.
FdC : La bande originale joue un rôle très important. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec votre compositeur ?
PC: Quand j'ai écouté Sinoia Caves j'ai su que c'était le son parfait pour le film, ça m'a d'ailleurs donné assez d'inspiration pour ajouter et allonger certaines scènes. Éric Gautier, notre designer sonore, a également un background musical, et il a apporté une qualité musicale aux effets sonores, en les intégrant à la musique du film.
FdC : Beyond the Black Rainbow peut être apprécié de façons différentes, et même de deux façons en même temps: comme l'histoire simple, concrète, d'une jeune fille qui tente de s'échapper d'une prison, ou comme une œuvre beaucoup plus abstraite. Comment avez-vous souhaité équilibrer ces deux aspects ? Quelle a été l'importance de l'écriture dans la conception du film ?
PC: Très importante. Le scénario est le squelette du film. Je savais, comme le style du film allait être assez abstrait et onirique, que la structure sous-jacente devait être le son. Comme vous le dites, c'est une histoire assez simple, mais conçue comme une base pour construire une expérience sensorielle dense et éclatante. Je suis très attiré par les histoires qui restent simples en surface : comme un rêve, un mythe, une histoire autour d'un feu de camp. Toutes ces facettes se retrouvent dans l’histoire du film, je les ai juste chamboulées au moment du montage.
FdC : D'une certaine manière, le film n'offre que peu d'indices et d'informations sur les personnages et leurs actions. Le film entier ressemble à une sorte de transe, dans un monde énigmatique, replié sur lui-même, ce qui demande au spectateur à la fois une vision attentive et une attitude d'ouverture. Quelle type de réactions vous vouliez provoquer, qu'attendiez-vous des spectateurs ?
PC: C'est comme le test de Rorschach. Les gens devrait projeter leurs propres émotions, leurs expériences pour que le film prenne réellement vie. Je sais que c'est beaucoup demander. Quand vous dites "ce film demande au spectateur à la fois une vision attentive et une attitude d'ouverture", ce que vous décrivez, c'est l'état parfait de Zen. J'ai toujours pensé ce film comme faisant partie d'une sous-genre de "films de transe". C'est un film de rêve sans scène de réveil.
FdC : Diriez-vous que Beyond the Black Rainbow est un film nostalgique, ou un film sur la nostalgie ?
PC: Le film est nostalgique en ce sens que j'adore l'esthétique de cette époque, mais d’un point de vue sentimental, il montre le passé comme une menace empoisonnée.
FdC : Quels sont vos projets ?
PC: Beyond the Black Rainbow est comme un disque du début de carrière des Pink Floyd qu’on balance quand la nuit touche à sa fin. Mon prochain film sera l'album de Black Sabbath abimé sur lequel on se roule un joint.
Entretien réalisé le 15 mars 2012