Entretien avec Nina Hoss
L'actrice allemande Nina Hoss brille à nouveau dans Phoenix, en salles le 28 janvier. Alors qu'on commémore cette semaine le 70ème anniversaire de la libération d'Auschwitz, Hoss incarne une survivante des camps, un fantôme revenu à la vie qui part à la recherche de son mari. Après le succès de Barbara, l'actrice retrouve son réalisateur fétiche, Christian Petzold et nous parle de ce rôle ambitieux.
Lorsque nous nous étions rencontrés l’an dernier pour la sortie de Gold, vous nous aviez parlé de Phoenix en disant que c’était un film où tout le monde était un fantôme, tout en précisant « au sens Christian Petzold du terme ». En voyant le film, j’ai trouvé que Nelly, votre personnage, était à la fois la plus fantomatique et la plus vivante d’entre tous, car elle est la seule à croire en l’avenir. Ce paradoxe vous est-il apparu dès la lecture du scénario ?
Pas tout de suite. Je ne pense à ce genre de chose qu'après coup, car cela exige une certaine distance. Je rentre d'abord à l ‘intérieur de l’histoire. Par la suite, oui, j'ai clairement vu les choses comme vous le dites. Nelly a presque quelque chose de sage. Elle a connu quelque chose de la vie qu'elle aurait préféré ne pas voir, ne pas connaitre, mais elle garde malgré tout une compassion profonde pour l’être humain. Même si elle n’en a sans doute pas conscience. Bien qu’elle soit la victime, c´est la seule qui ne cherche pas à trouver des responsables et qui ne veut pas juger les autres. C’est la plus grande différence avec les autres fantômes qui l'entourent, et qui sont comme des enveloppes vides.
Vous avez souvent joué des femmes fortes et décidées. Pour une fois, vous avez eu l’occasion de jouer le traumatisme. Avez-vous abordé cela comme une nouveauté ?
Non, car c’est quelque chose que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder dans mon expérience au théâtre. Mais je suis toujours contente de pouvoir explorer de tels aspects. La fragilité de l’être humain peut donner naissance à une force. C’est pourquoi je parle plus volontiers de douceur et de fragilité que de faiblesse, car cela peut devenir quelque chose qui nous protège. Nelly sort d’une expérience traumatisante mais elle ne reçoit aucune aide, elle doit se reconstruire elle-même. C’est raconter ça qui était un vrai défi.
Christian Petzold nous disait que Barbara racontait l'histoire « d'un couple d’amoureux en route vers l’amour. Alors que dans Phoenix, j’ai un couple d’amoureux qui ont déjà perdu leur amour. ». J’ai repensé aux nombreux films que vous avez faits ensemble. Vous n’en n’avez pas marre qu’il ne vous demande jamais de jouer un amour épanoui ?
Mais c’est vrai, ça. Il faut que je lui en touche deux mots (rires). Le bonheur c’est très difficile à filmer. Pour un œil extérieur, il n’y a que des moments ponctuels du bonheur qui sont intéressants à regarder. Sinon, ce qui est intéressant, c’est le chemin vers le bonheur, pas le bonheur.
Je repensais également à la fin de Barbara, qui d’une certaine manière était presque optimiste…
Barbara, optimiste?
Elle prenait une décision qui la mettait en danger mais qui rendait son personnage plus humain et émouvant. Que pensez-vous de la fin de Phoenix ? Elle est dure, et en même temps, dans la filmographie de Christian Petzold, c’est ce qui se rapproche le plus d’un happy end.
Oui, bien sûr. C’est une fin qui est pleine d’espoir. La première du film a eu lieu au Festival de Toronto et face à cette scène, quand Nelly commence à chanter, le public canadien et américain a eu une réaction très particulière. Ils ont réagi comme si on pendait enfin Johnny, ils ont été réjouis pour Nelly, ils riaient. J’étais complètement scandalisée et effrayée, ce n’était pas du tout le genre de réactions auxquelles je m'attendais. Quand il a fallu parler au public après coup, je ne savais même plus quoi leur dire. En Allemagne, strictement personne ne rit face à cette scène. Nelly a été détruite par les Allemands. On ne rit pas de cela. C´est incroyablement intéressant parce que cela nous montre qu’on est toujours renvoyé à l’Histoire. On sent encore le poids de l'Histoire sur aujourd’hui. C'est effrayant et fascinant.
Mais malgré tout, cette fin est aussi une libération. Et cela m’a aussi libérée de voir cet accueil dans d’autres pays, parce que les spectateurs étrangers ne portent pas sur eux cette faute, cette culpabilité. Lorsque j’ai joué cette scène, j’ai moi-même été libérée. J’ai senti que je pouvais quitter le personnage à ce moment-là. Auparavant, je n’aurais pas pu, elle avait été trop martyrisée. Dans cette scène, elle trouve enfin la force d’aller vers elle-même, vers son corps, vers sa voix, vers son noyau. Et elle peut pour la première fois prendre une décision.
Cette renaissance fait écho au début du film. Nelly nait sous nos yeux à travers ces scènes où elle est en position presque fœtale, elle réapprend à parler, à manger... Est-ce comme cela que vous avez appréhendé ces premières scènes ?
Dans une certaine mesure oui. Le début du film montre la naissance d’un être qui est comme un bébé. Elle essaie de comprendre la vie parce qu’elle est complètement perdue, et elle a tout perdu. Elle ne comprend plus rien, elle ne sait plus qui elle est. Elle ne sait pas non plus ce que c’est que cette Allemagne dans laquelle elle revient. Quant à la fin, pour moi, ce n’est pas une renaissance. Elle ne redevient pas elle-même mais elle devient une autre. Elle a encore des parts d’elle-même mais elle ne peut plus être entièrement la même. Et au moment où elle le comprend, elle accepte ce défi.
L'an dernier vous nous disiez qu’à chaque scène que vous deviez jouer, vous vous demandiez si votre personnage pensait réellement ce qu’elle disait. Etait-ce alors complexe ou jubilatoire d’interpréter quelqu’un qui passe son temps à mentir tout en étant elle-même ?
Elle ne ment pas. Elle essaie constamment de donner des indices sur la vérité mais elle n'est pas écoutée. Et elle ne ment pas quand elle essaie d’être l’ancienne Nelly parce qu’elle essaie vraiment de l’être. Honnêtement et sincèrement. Elle s’en approche mais elle ne peut pas, il y a quelque chose qui le lui interdit, dans le chemin entre l'ancienne et la nouvelle Nelly.
En voyant la première partie du film, j’ai d’abord cru que vous portiez un masque, ou qu’il y avait des effets spéciaux sur votre visage, mais en fait c’est seulement du maquillage, c’est bien cela ?
Oui, juste du maquillage et une perruque. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que Nelly a perdu sa personnalité au point de penser que si elle ressemblait trait pour trait à qui elle était avant, on ne la reconnaitrait pas. Changer entièrement de visage, ce n’aurait justement plus correspondu au sujet du film. Il ne fallait pas qu’on pense trop à l’interprète derrière le personnage, il faut être fidèle a l’essence de celui-ci. Je n’ai pas envie que les spectateurs se demandent « mais qu’est-ce qu’ils ont fait à son nez » ou ce genre de choses... On peut aussi changer son extériorité de l’intérieur. Mais je dois dire que moi-même, je trouve ca assez effrayant de pouvoir avoir l’air si différente de mon vrai visage sans rien changer (rires) !
Aviez- vous regardé des films avec des personnages défigurés, ou sur la chirurgie réparatrice, en guise de référence ?
Oui. La Piel que habito d’Almodovar, Elephant Man, Les Passagers de la nuit avec Humphrey Bogart, Les Yeux sans visage de Franju… mais très rapidement j’ai compris que ça ne m’intéressait pas tant que ça. Parce qu’au moment où Nelly est la plus défigurée, quand elle a ses bandages, elle ne peut pas encore imaginer qu’on va faire d’elle quelque chose d’autre. C’est lorsqu’on lui enlève ses bandages que le processus commence. C’est pour cela que ces films ne m’ont pas forcement aidée pour ce personnage.
Une question qui ne concerne pas le cinéma : vous avez tout récemment enregistré un surprenant duo avec le groupe gallois Manic Street Preachers. Comment est née cette collaboration ?
Oui! Avant-hier, j’étais à Londres pour faire un concert, c’était génial! Mon copain est producteur de musique au Pays de Galles et il avait déjà travaillé sur un de leurs albums en tant qu’ingénieur du son. Ils sont restés amis. Ils sont venus à Berlin enregistrer leur nouvel album, et comme ils sont très influencés par le rock allemand, ils voulaient une chanson chantée en allemand. Ils se sont renseignés discrètement : « est ce que, par le plus grand des hasards, Nina pourrait y trouver un intérêt ? … ». Et j’ai dit « Mais oui, bien sûr !» J’ai seulement enregistré une chanson, mais je me suis retrouvée a chanter a Glastonbury devant 40 000 personnes, c’est fou !
Pour terminer, peut-on avoir un indice sur vos prochains projets ?
Ce sera au théâtre, mais je n’ai pas le droit d’en parler parce que n’est pas encore sûr. Tout ce que l’on peut dire c’est que ce sera mis en scène par Thomas Ostermeier et que l’on jouera à Sceaux au mois de juin, mais je ne peux rien dire sur la pièce en elle-même, désolée !
Entretien réalisé le 17 décembre 2014. Un grand merci à Michel Burstein.
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