Entretien avec Nawapol Thamrongrattanarit

Entretien avec Nawapol Thamrongrattanarit

Le ciné indé thaïlandais ne se limite pas à Apichatpong Weerasethakul. Nawapol Thamrongrattanarit fait partie des nombreux jeunes cinéastes du pays à avoir explosé récemment sur la scène internationale. Son long métrage 36 vient d'être sacré au Festival de Busan. Entretien avec l'une des révélations de l'année.

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FilmDeCulte : Qu'est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

Nawapol Thamrongrattanarit: Parce que c’est une histoire typiquement contemporaine. Les personnages ont toujours un appareil photo à la main et stockent tout ce qu’ils peuvent sur disque dur. Or c’est très problématique parce que les fichiers numériques disparaissent très facilement. C’est un problème tout à fait moderne.

FdC : La structure narrative de 36 est très singulière. Aviez-vous des références particulières en tête ?

NT: C’est lié à l’époque où on allait encore faire développer ses photos, où chaque pellicule donnait lieu à 36 photos. Regarder ces photos dans l’ordre, c’était comme regarder une histoire où il n’y avait pas forcément de lien entre les scènes. J’imaginais toujours mes propres liaisons entre ces scènes, et je me suis dit que cela ferait un bon point de départ pour un scénario de film.

FdC : La narration de 36 nait autant du scénario que de la mise en scène (choix des cadrages, durée des plans, hors champ). Comment avez-vous appréhendé cela ?

NT: Chaque séquence du film n’est composée que d’un seul plan. Il était donc indispensable d’avoir déjà toute ma mise en scène en tête au moment de l’écriture. Avant même le tournage, j’avais déjà une idée précise des lieux nécessaires. Une fois que les vrais lieux ont été trouvés, j’ai pu développer un peu le scénario, mais globalement tout était déjà présent pendant la phase d’écriture : la mise en scène, les décors et le montage.

FdC : Pouvez-vous nous parler de votre intérêt pour la photographie ?

NT: La photographie se caractérise par son cadre fixe, et pourtant quand je regarde une vieille photo, j’imagine toujours plein d’histoires qui débordent de ce cadre : des événements imaginaires ayant eu lieu juste avant ou juste après que la photo soit prise. Pour moi, une photo stimule beaucoup plus l’imagination que la littérature ou le cinéma, parce que dans ces domaines le récit est comme figé. Quand je regarde une photo, celle-ci prend vie dans ma tête et devient une image en mouvement.

FdC : A chaque séquence correspond un titre. Certains illustrent ce qu'on voit à l'écran, d'autres sont plus mystérieux. Comment les avez-vous choisis ?

NT: Je voulais que chaque séquence soit vue à travers les yeux de Sai, le personnage principal. Comme si elle regardait ses propres photos. Quelles phrases lui viendraient alors en tête à ce moment-là ? Parfois cela pourrait être une phrase qu’elle seule peut comprendre, parfois elle se focaliserait non pas sur la personne photographiée mais sur un objet présent dans le cadre qui lui rappelle des souvenirs. C’est pour cela que certains titres de séquences se réfèrent à des objets. C'est comme lorsque l’on regarde des photos d'amis sur Facebook : les commentaires laissés sont souvent mystérieux et leur sens nous échappe.

FdC : Dans 36, les lieux en disent parfois plus que les personnages. C'est un élément qu'on retrouve dans divers films thaïlandais contemporains, comme dans Hi-So ou P-047. Pouvez-vous nous parler de cette récurrence ?

NT: Pour moi, les lieux sont des catalyseurs de souvenirs. Quand on se balade dans des endroits où on a déjà été, des choses nous reviennent en mémoire. Même quand tout a changé, on ne peut s'empêcher de repenser à ce que c'était. C'est la même chose pour les photos. Le problème est qu'en Thaïlande les choses changent très rapidement. Il n'y a pas vraiment de politique menée pour conserver des lieux anciens. En fait, si nous n’avions pas d’anciennes photos d’eux, certains lieux disparus auraient tout aussi bien pu ne jamais exister. C’est un peu comme si nous n'avions pas d'histoire.

FdC : 36 est produit par Aditya Assarat, Sivaroj Kongsakul y fait une apparition. Assarat et Kongsakul sont tous les deux réalisateurs. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec eux ?

NT: Sivaroj joue effectivement un petit rôle dans le film. Aditya m'a aidé à hisser mon film au niveau des productions indépendantes thaïlandaises récentes, et m'a permis de le montrer au reste du monde. Je n’aurais jamais imaginé cela possible.

FdC : Comment avez-vous réagi à la sélection du film à Busan ainsi qu'au Grand Prix que vous avez reçu ?

NT: Le film est allé bien plus loin que ce que j'imaginais. J’avais juste l’intention de faire un petit film qui serait diffusé en Thaïlande. C’est ce qui est arrivé. J’ai par la suite essayé de l'envoyer dans des festivals parce que ça ne coûtait pas cher de le poster. Mais quand il a été sélectionné à Busan, ça a été un choc, et quand il a été primé, ça a été une surprise encore plus grande vu que c'est un tout petit film. Je ne sais pas quoi dire d’autre que "je suis très heureux". Donc voilà, je suis très heureux.

FdC : Quels sont vos projets ?

NT: J’ai à la fois un projet avec un studio et un projet plus indépendant. Tous deux sont actuellement en phase de développement.

Entretien réalisé le 2 novembre 2012. Merci à Aditya Assarat

par Nicolas Bardot

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