Entretien avec Naoki Hashimoto
Birth Right, premier long métrage du cinéaste japonais Naoki Hashimoto, a fait très forte impression au Festival du film asiatique de Deauville. Interview d'un réalisateur à suivre!
FilmdeCulte: Avant de réaliser Birth Right, vous avez d’abord travaillé comme producteur, puis vous avez réalisé des court-métrages. Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film ?
Naoki Hashimoto: Ces dix dernières années, je n’ai pas eu la chance de rencontrer des réalisateurs très charismatiques. Ne vous méprenez pas, j’ai bien sûr travaillé avec des réalisateurs doués, avec du talent, mais très peu possédaient une imagination vraiment fertile, une détermination, une motivation, ou du charme. La profusion des nouvelles technologies a grandement réduit le nombre de ces réalisateurs-là. Aujourd’hui, on peut facilement créer des films à l’aide de la technologie. Les gens ayant grandi dans cette période sont souvent incapables de pousser les acteurs jusqu’à atteindre leur potentiel maximum. En parallèle, le public s’intéresse désormais plus au coté visuel du film, ou à sa bande-son. Pourtant, je crois fermement que peu importe le degré de technologie, le public peut très bien être captivé si le jeu d’acteur est vraiment intense. Pour moi, le jeu d’acteur c’est ce qui vient en premier, la technologie arrive après. Les réalisateurs ont tendance à la privilégier de plus en plus, et se révèlent incompétents à mettre leurs acteurs en valeur. Je travaille dur pour résoudre ce problème.
FdC: Pourquoi avoir voulu raconter cette histoire en particulier ?
NH: En tant que réalisateur, mon intention première n’était pas nécessairement de raconter une histoire. Je travaille dans l’industrie cinématographique et j’ai des doutes sur son avenir. Aujourd’hui, quand les films ont terminé leur carrière en salles, ils sont vendus en dvd, passent à la télé, se retrouvent sur internet et sur tout un tas d’autres médias. L’industrie péricliterait si les films n’étaient visibles que sur internet. J’imagine que c’est compréhensible… Mais j’ai peur que si cela continue comme ça, le niveau des films à venir n’excédera jamais celui de leurs prédécesseurs. Ce serait trop long à expliquer alors je vais m’abstenir. En voulant créer un film qui soit une vraie œuvre d’art, j’ai pensé à des caractéristiques telles que des nuances subtiles sur le visage des actrices, des dialogues réduits au minimum, des tailles d’images variées, un montage élaboré… tout ce qui était susceptible de rendre le film unique. Mais un tel film ne pourrait espérer faire recette qu’au cinéma, et il serait évidemment très difficile de trouver des sponsors. Du coup, afin de pouvoir réaliser un film à petit budget, mon film devait avoir peu de personnages et avoir lieu dans un lieu clos et unique. J’ai commencé à réfléchir avec ces informations en tête.
FdC: Le film évoque, par certains aspects, le cinéma de Kiyoshi Kurosawa, par la rigueur de la mise en scène, la lumière, l’inquiétante étrangeté. Etait-ce une de vos influences ? Aviez-vous des modèles en tête pour filmer ce récit ?
NH: Je pense n’avoir jamais vu de film de Kiyoshi Kurosawa. Je m’en excuse d’ailleurs auprès de lui. De manière générale, je ne regarde pas de films. J’ai toujours peur d’imiter inconsciemment le travail et le style d’autres réalisateurs. Un film doit être original et ne doit pas faire référence à quelque chose d’autre. Je trouve qu’aujourd’hui, il y a trop de réalisateurs qui se contentent d’imiter des œuvres originales. Ils n’ont donc aucun amour-propre ?
FdC: Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur ?
NH: M. Yanagida me suit depuis le tout début de ma carrière en tant que réalisateur. C’est un excellent chef opérateur. Mon travail avec lui consiste à monter le film et choisir les cadres. J’apprécie beaucoup sa manière de positionner une caméra et ses choix d’objectifs. Je trouve qu’il a une délicatesse remarquable dans sa manière de trouver la bonne distance face aux objets qu’il filme. Parmi ses atouts, il n’hésite jamais à zoomer. Quand il est captivé par le jeu d’un acteur ou d’une actrice, il zoome sur son visage sans même s’en rendre compte. Il a de grandes connaissances techniques, mais aussi beaucoup de talent naturel et d’intelligence. Par exemple pour la scène où Mika reste debout devant le garage et qu’un camion d’éboueurs passe, il a zoomé sans même que je le lui demande, parce que l’arrivée de ce camion était complètement inattendue, et qu’on n’aurait pas eu d’autre opportunité de le filmer. J’aime beaucoup cette scène, et j’ai beaucoup apprécié sa confiance en lui quand on l’a tourné.
FdC: L’héroïne semble filmée comme un fantôme lors des premières séquences, immobile, impassible, vêtue d’une robe noire, observant sa victime. Etait-ce quelque chose que vous aviez à l’esprit au moment de filmer ces scènes ?
NH: Ce n’était pas mon intention de faire un film d’horreur ou un film à suspens. Je voulais avant tout faire appel aux émotions et aux sentiments les plus enfouis chez les spectateurs. C’est quelque chose de véritablement effrayant quand le gens ne les révèlent pas. Dans la scène où Mika parle avec la mère au téléphone, elle est froide et distante, elle raconte son histoire comme si c’était celle de quelqu’un d’autre. J’ai pensé que cela pourrait peut-être expliquer le coté sombre du personnage et ses traumatismes passés. J’ai aussi pensé qu’en comparaison, si elle avait montré trop d’émotions dans la scène, le public l’aurait probablement trouvé humaine et « normale ».
FdC: Comment avez-vous abordé la direction d’acteurs ? Les scènes de face-à-face entre les deux jeunes comédiennes épuisées sont impressionnantes.
NH: Je les ai mises exactement dans les mêmes circonstances que celles du scénario. C'est-à-dire qu’elles n’avaient presque pas le droit de boire, de manger ou de sortir. C’était mes conditions pour qu’elles obtiennent les rôles. Ceci dit, je ne voulais pas faire un documentaire. Avant le tournage, je leur ai demandé « une performance unique, qu’elles ne pourraient jamais refaire ». Pour moi, c’était indispensable pour qu’elles « deviennent » leurs personnages. Nous n’avions qu’une seule caméra, donc on a rejoué les scènes encore et encore. Les actrices étaient complètement épuisées (évidemment), mais je ne les ai jamais prises en pitié. Le reste de l’équipe et moi-même avons fait de notre mieux pour créer des conditions qui leurs permettent d’exploiter au maximum leur potentiel. Auraient-elles pu jouer aussi bien dans d’autres circonstances ? Je crois que les actrices elles-mêmes connaissent bien la réponse. Une fois le tournage terminé, je leur ai demandé si jamais elles accepteraient de jouer dans un éventuel Birth Right 2, si le premier faisait un carton. Elles m’ont toutes les deux immédiatement répondu non. Après tout, je leur avais demandé « une performance unique ».
FdC: Lors de la présentation de Birth Right au Festival du film asiatique de Deauville, vous avez déclaré que 80% du public allait probablement le détester...
NH: Pour moi, un film susceptible de plaire à plus de 80% de son public est un bon film. Et si un tel film procure probablement du plaisir, je pense que les gens auront commencé à l’oublier dès le lendemain, et seront passés à d’autres formes d’art. Pour moi ce genre de spectacle est indispensable, je ne suis pas critique du tout envers les gens qui font ce genre de films. Mais avec me films, je veux laisser une trace dans le cœur des gens et changer leur vie. Personnellement, je pense que ce type de film ne peut être accepté et aimé que par un petit nombre de gens. Je préfère faire un film qui soit fortement soutenu par deux personnes sur dix, plutôt que simplement apprécié par les huit autres. Après la présentation à Deauville, beaucoup de gens sont venus me voir pour me dire « je fais partie de ces 20% ». Ce sont des moments comme ça qui me donnent envie de continuer à faire des films.
FdC: Votre film a été présenté au festival international de Tokyo. Comment a-t-il été reçu ?
NH: Je n’ai pas trop suivi les réactions lors du festival. La situation de l’industrie du cinéma japonais est telle que le film ne sortira peut-être même pas ici, parce qu’il ne rapportera probablement pas beaucoup d’argent. Je serais heureux que mon film sorte au Japon, mais les films font partie d’une culture mondiale commune, donc je ne suis pas particulièrement chauvin. Beaucoup de gens ont pu voir mon travail au Festival de Tokyo, j’ai reçu beaucoup d’invitations pour des festivals internationaux, et j’en suis particulièrement reconnaissant.
FdC: La production japonaise a connu un boom ces dernières années. Qu’en est-il, selon vous, de sa qualité ?
NH: Ce n’est peut-être pas la réponse que vous attendez, mais comme je l’ai déjà dit, la plupart des films japonais sont le fruit de collaboration entre plusieurs compagnies. Cela inclut des maisons de production pour la télé, des réalisateurs de clips, de journaux télés, entre autres. Dans ces cas-là, il faut tenir compte de l’opinion de beaucoup de gens. Prenons une analogie : cinq personnes peuvent former un pentagone, huit personnes forment un octogone, douze personnes forment un dodécagone, et plus il y a des gens impliqués, plus la forme géométrique se rapproche du cercle. Du coup, le film devient de plus en plus consensuel et identifiable. Le public serait-il intéressé de voir quelque chose de différent, de voir « un coin » ? C’est important de filmer des scènes en pensant qu’elles vont être vues sur de grands écrans de cinéma mais aussi sur de tout petits écrans de téléphones portables. C’est la même chose pour le son. Il faut prendre en compte le fait qu’un silence n’a pas la même résonance dans une salle de cinéma que devant une télévision, au milieu des bruits ambiants. Si l’on veut s’accommoder de toutes les situations, on ne peut plus atteindre l’excellence. Il est donc impératif de faire des compromis. Pour revenir plus précisément à votre question, je dirais que la qualité globale des films commence à se détériorer peu à peu. Les réalisateurs et les producteurs doivent impérativement commencer à se faire entendre et à réclamer l’attention. A ce rythme, notre génération va finir par mettre un terme à l’histoire du cinéma, qui existe pourtant depuis plus d’un siècle.
FdC: Quels réalisateurs admirez-vous, en Asie comme ailleurs ?
NH: J’aime beaucoup les films de Kim Ki-Duk et ceux de Lee Chang-Dong, mais également ceux des frères Dardenne.
FdC: Quels sont vos prochains projets ?
NH: J’ai beaucoup de projets qui pourraient potentiellement devenir des films, mais je n’ai pas encore de tournage prévu. En toute honnêteté, cela fait déjà un bout de temps que je suis coincé dans cette situation. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai moi-même financé Birth Right. Dans l’idéal, j’aimerais faire une coproduction internationale, après tout la cinéphilie est quelque chose qui n’a pas de frontière.