Entretien avec Mohamed Ben Attia

Entretien avec Mohamed Ben Attia

C'est l'une des révélations de l'année: le Tunisien Mohamed Ben Attia a signé l'un des films les plus remarqués de la dernière Berlinale avec le drame sentimental Hédi. Ce film raconte l'histoire d'un rêveur qui va devoir reprendre sa vie en mains lorsqu'il tombe amoureux d'une jeune femme. Prix d'interprétation masculine et prix du premier film au festival allemand, Hédi est une réussite émouvante à l'écriture subtile à découvrir dès ce mercredi 28 décembre en salles. Nous vous présentons son réalisateur.

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Quel a été le point de départ de ce premier long métrage ? Comment est né le personnage d'Hédi ?

Pour avoir déjà essayé de répondre à cette question, je ne trouve pas dans mes souvenirs un vrai déclic qui est à l'origine de cette histoire. Je crois que c'est plutôt un ensemble d'envies. L'une d'elles était celle de raconter une histoire d'amour. Peut-être qu'on en a manqué au lendemain de la révolution. Bien sûr le contexte social et politique est bien présent et très vite j'ai vu qu'un parallèle entre la petite et la grande histoire pouvait être plus pertinent qu'un discours direct. A l'époque, je manquais de recul pour parler de la révolution d'une façon frontale. Et finalement, lier le parcours de Hédi à celui de notre pays était pour moi le premier sujet du film. Sans être dans un cinéma "porte drapeau" ou bien très engagé politiquement, ce qui comptait pour moi c'était la dimension humaine. A travers sa rencontre avec Rim, Hédi apprend un peu plus sur lui et par ricochet, nous continuons nous-mêmes à nous découvrir. Sur un aspect plus autobiographique, mon passé de commercial itinérant (12 ans chez une concession automobile) a certainement nourri l'univers du travail qui peut parfois être impitoyable voire humiliant.

Hédi est remarquablement écrit, et trouve un équilibre subtil entre la tendresse et la cruauté, entre le récit amoureux et le récit politique. Comment travaille t-on sur ces nuances lors de la conception du scénario ?

Le défi était de coller en permanence à Hédi. Se rapprocher le plus possible de sa vérité, de ses doutes et de ses paradoxes. A l'écriture, cela s'est traduit par la recherche d'une certaine justesse et par conséquent ne pas céder à la facilité de souligner encore plus l'aspect social de l'histoire. Je crois que plus on essaye d'être fidèle au personnage, sincère dans le traitement, et plus on a la chance d'évoquer la dimension politique de l'histoire. Le récit est forcément ancré dans un contexte réaliste et il suffisait de le retranscrire tel quel pour éviter les clichés et autres raccourcis. Par exemple, la description de l'hôtel a été beaucoup plus approfondie pendant les répétitions vu qu'on était constamment rattrapé par la réalité, parfois plus dure que la fiction. Montrer les cuisiniers de l'hôtel dîner en retrait des touristes est un tableau pathétique qui m'a été inspiré pendant les répétitions. Jamais je n'aurais eu cette idée à l'écriture.

Il y a dans Hédi une tension et un suspens – alors qu'il ne s'agit pas d'un thriller. Comment avez-vous abordé le travail formel dans ce sens avec votre directeur de la photographie et votre monteur ?

Ce souci du réalisme et essayer d'éviter les artifices ont été tout le temps au centre de nos préoccupations. Le chef opérateur partageait avec moi cette idée d'une esthétique épurée où l'enjeu était de traduire la psychologie du personnage principal et créer une vraie empathie. La première partie a été voulue aussi proche de Hédi, parfois aussi dure pour parvenir à partager ses émotions et faire vivre au spectateur la révolution de Hédi.

Quelle a été l'implication des frères Dardenne qui ont produit le film ?

On faisait des réunions par skype. C'était étrange parce que je me contrôlais pour cacher mon côté "fan" et paraître juste professionnel. Mais au fond, j'avais vraiment du mal à réaliser ce qui se passait. Leur méthode était de poser des questions pour mieux saisir les enjeux du personnage et aller plus en profondeur des choses. Ce qui m'a donc poussé parfois à revoir certaines séquences avant d'entamer le tournage. Ensuite pendant le tournage, ils étaient occupés à réaliser leur propre film. On s'est recontacté pendant le montage où leur implication a été comme au début, à savoir délicate et concrète. Avec du recul, je crois que leur curiosité et leur intérêt pour ce projet m'ont conféré une confiance et une motivation qui me manquaient pendant la préparation. C'est évident qu'on se sent mieux quand on va débattre de son scénario avec les frères Dardenne.

Quels sont les cinéastes qui vous inspirent ?

Plus que des cinéastes c'est surtout des films qui m'inspirent, me font du bien ou parfois du mal. Parfois qu'on voit un film subtil, intelligent et émouvant et on se sent incapable de rivaliser. D'ailleurs je me suis longtemps posé cette question. Suis-je un cinéphile ou bien je pourrais à mon tour raconter des histoires ? Le fait de ne pas avoir fait d'études n'a rien arrangé à cette question de légitimité. Parmi ces films, il y a les premiers de Jacques Audiard : Regarde les hommes tomber, Un héros très discret... ou encore La vie rêvée des anges d'Erick Zonka. Les deux premiers d'Agnès Jaoui et Bacri : Le Goût des autres et Comme une image. Et plus récemment Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan.

Entretien réalisé le 9 décembre 2016. Un grand merci à Jonathan Fischer.

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par Nicolas Bardot

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