Entretien avec Milagros Mumenthaler
Née en Argentine en 1977, Milagros Mumenthaler a grandi en Suisse. C'est en Suisse, à Locarno, qu'elle a remporté le Léopard d'or du meilleur film avec Trois soeurs, qui se déroule en Argentine. Ce beau premier long métrage sort le 18 juillet. En attendant, nous avons rencontré sa réalisatrice...
FilmdeCulte: Quel a été votre parcours avant Abrir puertas y ventanas ?
Milagros Mumenthaler: Abrir puertas y ventanas est une continuité de mes courts métrages. Il y a deux sujets qui m'intéressent et que j'aborde dans mes différents travaux: les relations fraternelles et la représentation de l'absence.
FdC: L'histoire se passe aujourd'hui mais en quoi, selon vous, la mémoire de la dictature pèse sur le film ?
MM: Il est vrai que dans le film les parents ne sont plus là et que la tutelle de ces trois sœurs a été confiée à la grand-mère. Ce qui est, à mon avis, tout à fait logique. L'Argentine a subi une dictature et je pense qu'elle reste dans la mémoire collective. Je n'ai pas cherché le lien. Je crois qu'à l'étranger, quand on parle de l'Argentine, le souvenir de la dictature est tout de suite présent. Je n'ai pas voulu justifier la mort des parents par respect envers les personnages. Le préciser allait à l'encontre de la manière dont je voulais raconter ce film.
FdC: Le lieu joue une place essentielle dans le film. Pouvez-vous nous parler de votre choix de décor ?
MM: Tout le film se situe dans la maison familiale qui fonctionne comme un quatrième personnage. Elle représente la grand-mère qui n'est plus là. Je voulais que le spectateur, en voyant ces trois jeunes filles dans un décor qui ne les représente pas, sente dès le début le manque de quelque chose. La maison parle aussi des personnages, de l'éducation qu'elles ont eue, et du contexte socio-culturel dans lequel elles ont grandi.
FdC: Il y a comme une hésitation fantastique qui s'invite parfois dans le long métrage, comme lors de cette apparition de la grand-mère.
Avez-vous été tentée d'aller chercher plus de choses dans le genre ?
MM: Cette apparition est sûrement la plus évidente. Mais le personnage de Marina avait tellement besoin que sa grand-mère soit là, présente, à ce moment précis, que tout simplement je l'ai faite apparaître. J'ai essayé de jouer avec une présence qui est dans la maison avec les mouvements de caméra. Souvent les personnages ne sont plus là ou ne bougent pas, mais la caméra continue un parcours. C'est une présence qui est installée dans la maison, une présence que les trois sœurs requièrent encore.
FdC: Pouvez-vous nous parler de votre choix de titre ?
MM: Le titre est une phrase tirée d'une pièce de théâtre de Garcia Lorca: La casa de Bernarda Alba. J'étais assise en train de voir la représentation et à la fin j'entends Bernarda dire: Ouvrez les portes et les fenêtres. Et tout de suite je me suis dit que c'était le titre du film. J'aimais bien cette idée d'ouverture, ce sont des jeunes filles qui ont toute une vie devant elles.
FdC: Vous faites énormément confiance aux ellipses pour raconter votre histoire. Quelle place tient pour vous ce qui n'apparait
pas à l'écran, ce qui est simplement suggéré ou absent ?
MM: Je ne me propose pas de faire un film plus ou moins explicite. J'essaie que ce soit le plus vrai possible, de respecter les personnages que j'ai construits. Ne pas leur faire dire des choses pour que le spectateur comprenne tout. Aussi, l'idée que le spectateur s'identifie aux personnages et partage l'idée du manque. Qu'il ressente l'absence comme elles, qu'il ne sache pas tout comme elles.
FdC: Il y a, de temps à autres, de longs et lents panoramiques sur une chambre, sur le jardin. Ces mouvements d'appareil
semblent en rupture avec le reste du film. Pouvez-vous nous parler de ces choix de mise en scène ?
MM: Ça nous renvoie à ce dont on parlait tout à l'heure. C'est une caméra qui n'est pas présente par des mouvements brusques ou par le fameux steadicam, elle prend une présence plus subtile. C'est un mouvement qui déambule par lui seul, qui est témoin de certaines situations qui se vivent dans la maison.
FdC: Comment avez-vous accueilli votre Léopard d'or à Locarno ?
MM: J'étais très contente que le jury ait compris mon film et qu'il ait été sensible à ce que j'ai voulu transmettre.
FdC: Quels sont vos projets ?
MM: Dans l'immédiat: deux courts métrages.