Entretien avec Mark Meily
Mark Meily a été l'une des découvertes au Festival du film asiatique de Deauville. Avec Donor, qui raconte l'histoire d'une jeune femme prête à donner son rein pour trouver un emploi loin de chez elle, il confirme l'essor de la production indépendante des Philippines. Interview du réalisateur.
FilmdeCulte: Pourquoi êtes-vous cinéaste ?
Mark Meily: Je me considère depuis toujours comme un storyteller. Quand j’étais petit je dessinais beaucoup, et je me servais de mes dessins pour raconter des histoires. Au début, je voulais travailler dans l’animation, j’étais tellement obsédé par Walt Disney qu’à un moment j’étais même persuadé d’être sa réincarnation (je suis né neuf mois après sa mort). Plus tard j’ai commencé à faire des courts-métrages en super 8, et je me suis dit que diriger des acteurs était plus organique que devoir faire 24 dessins pour une seconde de film.
FdC: Quel était le point de départ de Donor ?
MM: Imee Marcos, ma productrice (qui est la fille de l’ancien président Marcos), m’avait parlé d’un ami à elle qui travaillait dans le don d’organes, aux États-Unis. Je trouvais qu’il y avait un potentiel cinématographique fort dans cette profession, et j’ai commencé à faire des recherches sur le sujet. Mes recherches m’ont conduit au Philippines qui, je l’ai alors appris, était le 3e pays au monde en terme de trafic d’organes. J’ai découvert (et rencontré) des gens qui ont réellement vendu leur rein à des étrangers pour environ 2000 euros, avec la complicité de médecins. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui font le plus de profits dans ce trafic. Depuis, une nouvelle loi est passée pour rendre illégal le transfert d’organes entre les Philippins et les étrangers. Mais j’ai découvert que pour contourner cette loi, certains étaient prêts à épouser leur receveur.
FdC: Comment finance-t-on un tel film ?
MM: On a reçu une bourse d’environ 12 000 dollars de Cinemalaya pour commencer. Le reste vient de nos propres poches ou d’amis producteurs. Le budget total du film est d’environ 50 000 euros. Oui, 50 000 euros seulement.
FdC: Il y a beaucoup d’ironie dans le film, dans sa manière de mélanger l’attitude matérialiste des personnages et les symboles religieux. Quelle est pour vous la place de la religion dans Donor ?
MM: Le film se passe dans le quartier de Quipao, où se trouve une importante cathédrale qui reçoit énormément de monde tous les weekends. Et paradoxalement, c’est autour de cette église que se vend le plus de DVD pirates au marché noir. C’est également le quartier au plus fort taux de criminalité de tout le pays, je trouve ça très ironique. Le maire de Manille, par exemple, est réputé pour ses nombreux manquements face aux droits de l’Homme, et pourtant l’Église catholique soutient sa mesure qui consiste à interdire la distribution gratuite de préservatifs sous prétexte que leur utilisation constitue une forme d'avortement. Je trouve qu’il y a beaucoup d’ironie aussi dans la manière dont Lizette réagit face à sa grossesse : son rejet est à l’opposé de la réaction de la Vierge Marie.
FdC: Diriez-vous qu’il s’agit avant tout d’un film sur la survie ?
MM: Effectivement, par beaucoup d’aspects, le film parle de survie. D’ailleurs Donor devait s’appeler à l’origine A piece of life (un bout de vie), parce que le film parle de quelqu’un qui essaie de donner une partie de sa vie (son rein), en échange d’une meilleure existence (un poste à Dubaï), mais qui finit par gâcher sa vie et celles des autres.
FdC: Ces dernières années, plusieurs réalisateurs philippins, tels Brillante Mendoza ou Raya Martin, ont émergé sur la scène internationale. Comment cette reconnaissance du cinéma philippin contemporain vous touche-t-elle ?
MM: Je suis vraiment ravi du succès de mes compatriotes. Ce sont avant tout mes amis, je connaissais Brillante et Raya bien avant leurs passages à Cannes. On est comme une famille, et leur succès est un petit peu le mien également. Je suis très fier d’eux !
FdC: Le dénouement du film reste très ouvert. Seriez-vous d’accord pour dire qu’il peut être interprété à la fois de manière optimiste et ironique, et au contraire de manière très sombre ?
MM: Mon coté optimiste me pousse à penser que Lizette survit, mais si l’on suit bien la thématique du film, c’est au contraire un fin tragique.
FdC: Comment un film comme Donor est-il distribué aux Philippines ?
MM: Je ne pense pas vraiment qu’il s’agira d’un succès commercial, mais quoi qu’il en soit, je trouve qu’il y a de plus en plus de public chez nous pour ce genre de cinéma d’auteur, ça me rend donc optimiste. Le film sortira en salles au mois de mai.
FdC: Votre film a reçu un prix à Cinemalaya, un festival créé il y a quelques années et dédié au cinéma Philippin indépendant. Quelle influence ce festival a t-il sur la production nationale ?
MM: Cinemalaya commence à avoir une influence importante sur le cinéma philippin. C’est à la fois un prix et une bourse, qui est décernée à une quinzaine de films, et c’est une vraie source de nouveaux talents.
FdC: Quels sont vos prochains projets ?
MM: Je travaille actuellement sur plusieurs nouveaux scénarios mais je suis en attente de financement. Je viens également de terminer un court-métrage qui fera partie d’une série sur les droits de l’Homme.
Traduction Gregory Coutaut
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Donor a été présenté en compétition au Festival du film asiatique de Deauville