Entretien avec Marina de Van
Un an après notre dernier entretien, nous avons retrouvé Marina de Van à l'occasion de la sortie de son remarquable film d'horreur Dark Touch (en salles le 19 mars). La réalisatrice nous parle de l'accueil de son film en festival, de sa conception et de ses projets. Rencontre avec une des cinéastes françaises les plus passionnantes et singulières.
Nous nous sommes vus l'an passé à Gérardmer, au moment où le film allait être fini. Entre-temps, le film a été sélectionné dans divers festivals, en France ou à l’étranger, de genre ou généralistes, et a parfois remporté des prix. Comment avez-vous ressenti l’accueil du public, qu’est-ce que ça fait de montrer un nouveau film ?
Ça m’a fait plaisir ! L’accueil du public, j’ai l’impression qu’il a été bon. Moi je ne sais pas, je ne reste pas aux projections. Mais on m’a dit que le film avait été applaudi, il y a eu des questions bienveillantes lors des débats. Donc j’ai le sentiment que le courant passe et qu’il y a un bel accueil.
Donc c’est une bonne expérience !
Très bonne. Et j’ai eu trois prix à Neuchâtel !
Nous avions parlé l’an passé du cinéma de genre. Vous m’aviez dit que vous ne vous sentiez pas comme une réalisatrice de genre mais que Dark Touch était votre premier film où le surnaturel n’était pas désavoué. Le fait que le fantastique soit traité de façon plus directe, est-ce que c’était votre envie de départ ?
Oui j’avais envie d’essayer. Je me suis dit que ce serait marrant de faire un film d’horreur et j’avais envie d’essayer ça.
Dark Touch est un film qui parvient à être plus subversif que bien des films d’horreur plus gores ou plus explicitement horribles…
Ça, je ne m’en rends pas compte. Subversif, je ne m’en rends pas compte.
… Est-ce que faire un film d’horreur, qui est le genre de la subversion, vous a donné plus de liberté pour traiter d’un sujet comme la maltraitance ?
Ce que ça m’a permis, c’est de traiter de l’inconscient. Des émotions dont le personnage n’a pas conscience et qui s’incarnent dans des forces surnaturelles. Qui agissent autour d’elle et qu’elle ne reconnait pas comme étant les siennes. C’est ça que ça m’a permis, et que je n’aurais pas pu faire dans un drame réaliste.
Il y a toujours une dimension grotesque, monstrueuse dans vos films. L’histoire d’une femme qui se dévore, d’une femme qui se transforme en une autre, l’histoire du Petit Poucet, ici des gens attaqués par leurs meubles. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce goût pour le grotesque ?
Non je ne peux pas vous en parler parce que je n’en ai pas conscience. Je n’ai pas conscience que les choses sont grotesques. Je comprends ce que vous dites et vous avez raison mais chez moi… ce n’est pas conscient.
Comment avez-vous travaillé avec votre jeune actrice débutante sur un tel rôle ?
J’ai travaillé comme avec n’importe quel acteur mais de manière plus concrète. C'est-à-dire que quand elle devait avoir peur, je lui disais « imagine que la pièce est envahie d’araignées », quand elle devait avoir l’air mal à l’aise je lui disais « tu as très mal à la jambe mais tu ne le montres pas »… J’étais obligée de trouver des traductions très simples pour les émotions que je voulais obtenir. Et à partir de là c’était facile.
Y a-t-il eu un travail particulier en amont par rapport à la dureté du sujet…
Ah elle ne connaissait pas le sujet ! Je lui ai dit que c’était une enfant battue mais je n’ai pas parlé de sexualité. Pour la trouver, j’ai fait un casting de petites filles, je l’ai choisie et c’était simple.
Dans Ne te retourne pas, il y a un traitement assez chaleureux des couleurs, beaucoup de jaune et d’or, tandis qu’ici les couleurs sont à l’opposé plus sombres, bleutées. Comment avez-vous abordé le travail visuel sur ce film ?
J’en ai parlé avec mon chef op à qui j’ai demandé des choses proches du Caravage, du clair-obscur, des choses comme ça. Il a fait un excellent travail, j’aime beaucoup l’image. Bon après c’est un film de genre, ce choix visuel n’est pas forcément hyper original.
Est-ce que tourner à l’étranger a été une bonne expérience ?
C’était très sympa.
Vos films sont soit purement fantastiques comme Dark Touch et Le Petit Poucet ou bien ils flirtent avec le fantastique comme vos précédents films. Vos livres au contraire sont extrêmement réalistes, bruts. Quelle différence faites-vous entre vos créations pour le cinéma et votre écriture ?
Au cinéma j’ai vraiment envie de raconter des histoires et que ce soit spectaculaire. J’ai pas envie que ça soit réaliste. En littérature pour l’instant, ça va changer mais j’ai eu envie de me raconter moi. C'est-à-dire de mettre sur le papier mon expérience avec en fil conducteur ma propre sincérité. Et ce sont des choses que je ne peux pas raconter au cinéma parce que ça ferait peur aux financiers, ça paraitrait plombant, c’est pas structuré comme une pièce de théâtre ou un scénario… Donc ça me permet une investigation du réel plus dénudée tandis qu’au cinéma j’ai envie de strass et paillettes ! Enfin de strass et paillettes… de feu et de magie.
Vous adorez Jurassic Park…
Ah j’adore !
… Si vous aviez l’occasion de faire un film aussi spectaculaire, est-ce que ça vous enthousiasmerait en tant que réalisatrice?
Si on me fournit le scénario oui, parce que je ne saurais pas l’imaginer. Enfin peut-être mais je ne me suis jamais posé la question, j’essaie d’écrire les choses les moins chères possibles.
Dans votre livre Stéréoscopie vous parlez d’un projet de film autour d’un scientifique…
Ah oui ! Vous avez bonne mémoire.
… Est-ce que c’est toujours à l’ordre du jour ?
Mais non c’est en berne. Je n’ai pas trouvé de production pour ça.
Parce que c’est du cinéma de genre ou…
Parce que la drogue ça fait peur.
C’était pas du cinéma de genre ?
Si si, mais sur le thème de la drogue. Ce qui est facile à aborder dans un livre mais au cinéma… Le cinéma c’est plus conventionnel, c’est difficile de faire passer certains sujets.
Le fait de ne pas pouvoir tourner Dark Touch en France et d’avoir trouvé des financements à l’étranger…
En fait je n’avais pas le droit de tourner en France, je n’avais pas l’autorisation de la DDASS. A cause du scénario.
Mais pour quelle raison ?
Ils ont dit que les enfants ne seraient pas traumatisés par le tournage mais le seraient à 16 ans quand ils verraient le film. Ce qui est une crétinerie, on ne peut pas être traumatisé rétro-activement, c’est pas possible.
L’année dernière on avait parlé du fait que c’était compliqué de faire du cinéma de genre en France.
C’est impossible. Je n’en ferai plus.
Est-ce que dans ce contexte la sortie au cinéma en France reste un enjeu majeur ou…
Ah non c’est un enjeu majeur ! En France c’est bouché pour le cinéma de genre mais dans les autres pays ça marche. Mais ça reste un enjeu, je serais démolie si personne n’y va. C’est mon pays.
L’année dernière vous étiez membre du jury à Gérardmer, cette fois vous étiez en compétition avec Dark Touch. Avez-vous vu des films, avez-vous eu des coups de cœur ?
Oui, j’ai aimé The Babadook.
Est-ce que vous avez d’autres projets en France pour le moment, vous travaillez sur une adaptation de Zweig ?
Oui, sur La Pitié dangereuse de Zweig, qui sera un film en costumes. Je n’en suis qu’au début de l’écriture.
Entretien réalisé le 20 février 2014. Un grand merci à Marie Queysanne et Charly Destombes