Entretien avec Malgorzata Szumowska

Entretien avec Malgorzata Szumowska

Suite de nos entretiens post-Berlinale avec la Polonaise Malgorzata Szumowska, qui a remporté le prix de la mise en scène pour son film Body. Body, au croisement du drame noir, de la farce surréaliste et du film fantastique, était l'une des nombreuses surprises de la compétition. Ce long métrage raconte de manière très étonnante la façon dont un père et sa fille essaient de faire face au deuil. On espère que le film sortira bientôt dans les salles françaises. En attendant, premier aperçu avec sa réalisatrice...

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La première scène de Body est très surprenante. Avez-vous toujours envisagé de débuter le film ainsi ?

Non ! Initialement ce devait être la dernière scène, mais on a senti assez vite lors de l'écriture que ça ne marcherait pas comme ça. Lorsque nous avons déplacé cette scène en ouverture, il nous a semblé clair que celle-ci donnait dès le départ sa dimension absurde au film.

Body raconte une tragédie, mais il s’agit à la fois d’une farce surréaliste et d’un film fantastique. Ce qui rend Body très vivant. Quel genre a servi de point de départ à Body ?

Au tout début, ce devait être un drame dans lequel nous souhaitions intégrer quelques éléments d'humour. Et puis finalement lors du tournage nous nous sommes aperçus que nous avions de plus en plus d'éléments humoristiques, au point que le film devenait finalement plus proche d'une forme d'humour noir. Nous étions très étonnés de voir que même après la première projection en Pologne, avant la Berlinale, celui-ci a été perçu comme un drame très sérieux. Heureusement, à la Berlinale, on s'est rapidement rendu compte que le public voulait rire ! Et c'est comme ça que nous nous sommes retrouvés avec ce film qui est un peu comme une comédie et un drame noirs - un genre qui n'existe pas vraiment. Peut-être l'avons-nous créé !

Votre film parle du corps, mais il traite surtout du lien entre le corps et les problèmes psychologiques. Est-ce que le fantastique constituait pour vous une façon de parler de ce lien invisible entre ce qu’on ressent et ce qui se passe réellement ?

C'est difficile d'en parler et d'être claire à ce sujet. Je pense que beaucoup de moments de ce film ont été créés de façon très intuitive. J'ai beaucoup d'intuition et je m'en sers lorsque je filme. Certains éléments ne deviennent visibles à mes yeux qu'après un certain temps et c'est là que je vois que la bonne décision a été prise. Le lien dont vous parlez est invisible et c'est pourquoi il est difficile pour moi d'en parler.

Le corps et ce qu’on en fait est un thème que l’on retrouve également dans vos precedents films, Elles et Aime et fais ce que tu veux. Qu’est-ce qui vous attire dans ce sujet ?

Nous dépendons tous de notre corps, à 100%. Si notre corps nous déçoit, on commence à avoir peur, à ne plus fonctionner normalement. D'un autre côté, on essaie de ne pas lui donner trop d'importance et l'âme nous semble bien plus essentielle. Pour cette raison, on essaie parfois de s'y soustraire, mais on revient toujours au corps - qu'il s'agisse de sexe, de maladie ou du vieillissement. C'est assez horrible de ne pas être capable de se libérer de son propre corps. Il faut réussir à s'entendre avec lui, mais bien peu de gens y parviennent.

Lorsque vous avez reçu le prix de la mise en scène à la Berlinale, vous avez dit : « Je ne suis pas seulement quelqu’un qui réalise des films, je suis une femme qui réalise des films ». Dans quelle mesure estimez-vous qu’être une femme réalisatrice fait une différence ?

Ça fait une différence énorme. Il y a très peu de femmes réalisatrices en Pologne, au-delà du fait que pendant des années cette profession était quasi-exclusivement masculine. Si l'on jette un œil aux statistiques, je suis seulement la deuxième femme de l'histoire à recevoir le prix de la mise en scène à la Berlinale ! Il n'y a eu qu'une femme récompensée par la Palme d'or à Cannes et une femme qui a obtenu l'Oscar de la meilleure réalisatrice. Ce sont des choses qui évoluent et nous sommes de plus en plus à être reconnues. Mais pourquoi ne s'en soucie t-on que maintenant, à l'heure où l'on se rend compte que deux femmes seulement ont reçu ce prix ?

Aviez-vous des références en tête lorsque vous prépariez Body ? Quels sont les réalisateurs que vous admirez ?

J'en admire beaucoup mais je n'en avais pas un en tête particulièrement pour Body. Je tenais à faire un film très personnel. J'admire Mommy de Xavier Dolan ou Foxcatcher de Bennett Miller, pour citer des films récents. J'adore également Bergman, et j'aime toujours Tarkovski, même s'il peut parfois être insupportable.

Vous avez tourné Elles en France. Aimeriez-vous tourner à nouveau dans notre pays ?

Oui, je vais tourner un film ici ! C'est prévu, mais cette fois ce sera en anglais. Je ne suis pas très à l'aise avec le français car je ne connais pas la langue. Et je ne veux pas faire un "film français" parce que c'est quelque chose de très spécifique et je ne me suis pas retrouvée dans Elles. Cette fois, je veux faire un film qui obéisse à mes propres règles. Je me sens désormais bien plus forte en tant que réalisatrice aujourd'hui qu'à l'époque, je ne suis plus cette fille de l'est un peu perdue. En tout cas je ne le ressens pas ainsi.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

Ce sera l'histoire de deux soeurs, mais je ne veux pas trop rentrer dans les détails. L'une des soeurs sera interprétée par Juliette Binoche. Quelque chose va arriver et va la changer en profondeur. Le deuxième sœur sera américaine. Je suis également occupée sur un plus petite projet en polonais, intitulé Face. C'est un peu comme une autre partie de Body.

Entretien réalisé le 25/03/2015.

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par Nicolas Bardot

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