Séoul Hypnotique: Entretien avec Leesong Hee-il
Encore méconnu, Leesong Hee-il est l'une des principales découvertes coréennes de ces dernières années. Il est aussi l'un des premiers cinéastes coréens à avoir affiché publiquement son homosexualité, et ses films dépeignent une certaine réalité queer dans le pays faite de violence et de clandestinité. Son dernier long métrage, Night Flight, était présenté à la Berlinale. Il se déroule dans un bar gay désaffecté et abandonné qui sert de lieu de rencontre entre deux adolescents condamnés à cacher leur homosexualité. Rencontre avec le cinéaste qui est à l'honneur ce weekend au cycle Séoul Hypnotique du Forum des Images.
Vos deux derniers films, White Night et Night Flight, se passent tous les deux durant la nuit. Est-ce pour vous une métaphore afin de parler de marginaux faisant des choses qui doivent rester secrètes ? Qu'est-ce qui vous plait tant à filmer la nuit ?
Le titre original de mon premier film, No Regret, était Savage Night. Après le tournage du film, je me suis dit que j’allais continuer à faire des films qui se déroulent la nuit. Comme c’est le cas pour White Night et Night Flight. La nuit est le moment où les secrets du monde sont murmurés. Qu’il s’agisse de tristesse ou d’amour, c’est la nuit que les secrets se répandent. J’aime également filmer le regard de mes acteurs la nuit. Voir l’eau scintiller dans les ruelles. J’aime arranger les accessoires, les éléments du décor pour qu’ils brillent dans la nuit.
Dans Night Flight, vos personnages vivent des situations très violentes en raison de leur homosexualité. D'une certaine manière, ils sont condamnés à une solitude telle que même l'amour qu'ils peuvent se porter ne peut les sauver. Pourtant, les scènes d'intimité (les baisers, les regards, les silences entre les protagonistes) sont souvent émouvantes. En tant que scénariste, comment travaillez-vous sur cet équilibre entre réalisme brut et éléments mélodramatiques ?
Night Flight est un film sur la solidarité. Pour surpasser la solitude extrême créée par un contexte violent, on doit la confesser, se tenir la main, se reposer sur les épaules de quelqu’un. Pour moi, le mélodrame est un genre qui sert de filtre pour comprendre la société. Les mélodrames ont la force pour montrer combien chaque personnage fait face à la vie et rencontre les autres. C’est pourquoi mes scénarios s’inspirent parfois d’histoires vécues. Night Flight a été inspiré par une histoire vraie que j’ai lue par hasard dans un journal vers 1998. J’ai ajouté un peu de mon imagination à cette histoire et écrit le scénario. Pour que le mélodrame reflète la réalité, j’ai travaillé sur le contexte, les personnages et les lieux.
Night Flight n'a pas peur de traiter sérieusement de thématiques queer comme l'homophobie, mais il traite aussi plus largement de la violence. Les personnages étant des étudiants, le film en dit beaucoup sur leur peur du futur, sur l'effet de groupe où qui que ce soit de différent est rejeté. En général, est-ce important pour vous que vos films ne soient pas strictement vus comme des "films queer" ?
Le scenario de Night Flight était à l’origine plutôt un mélodrame gay. A vrai dire j’ai été choqué par une image qui a été montrée dans les news en Corée. C’était l’image d’un étudiant pleurant dans un ascenseur avant de se suicider suite aux violences dont il faisait l’objet à l’école. Je ne suis pas le seul à avoir été bouleversé par cette image. Le harcèlement à l’école est très répandu dans la société coréenne. En voyant cette image, je me suis dit qu’il fallait davantage traiter de la violence à l’école et j’ai revu mon scénario. La Corée a expérimenté une modernisation rapide. Le capitalisme s’est développé tout aussi vite, et la Corée est devenue une société niant les droits des travailleurs. De la même manière, l’éducation en Corée n’accorde que peu d’importance aux valeurs morales, au respect d’autrui. C’est comme ça que la violence se répand. Elle fait des gens socialement désavantagés des cibles. Ça inclue les jeunes homosexuels ou même d’autres ados avec des points faibles. L’école est un reflet de la société. Une société violente construit une culture de la violence à l’école. A l’image du père de Gi-Woong qui est un travailleur exclu, les homosexuels sont rejetés de la société. Quand j’ai réalisé Nigh Flight, je voulais que le public comprenne ces différentes relations.
En Europe on ne voit pas beaucoup de films coréens traitant de l'homosexualité. Récemment, à part vos films, on a pu voir notamment A Girl at My Door de July Jung mais les exemples ne sont pas nombreux. Est-ce un sujet rarement abordé dans la société et le cinéma coréens ?
J’ai fait mon coming out ainsi que mon premier film gay dans les années 90. J’étais le seul réalisateur ouvertement gay à l’époque. Puis, après l’an 2000, d’autres réalisateurs ont fait leur coming out et ont réalisé des films avec des personnages gay. Pas mal de films queer ont été faits et sont sortis en salles. Une étude récente réalisée par une institution américaine montre que la Corée et le pays qui a accepté le plus rapidement l’homosexualité ces sept dernières années. L’intérêt des médias pour l’homosexualité a rapidement grandi. Mais il y a aussi une très forte opposition. L’homophobie est de plus en plus forte parmi les conservateurs chrétiens.
Comment le film a t-il été reçu en Corée ? Notez-vous une différence avec l'accueil réservé à l'étranger en festivals ? Plus particulièrement sur Night Flight: comment la violence du film a t-elle été perçue ?
Night Flight sort en août en Corée. Mes précédents films sont sortis dans un parc de salles restreint, mais ont retenu l’attention du public homosexuel ainsi que des jeunes femmes. Ils ont reçu un accueil chaleureux dans d’autres pays d’Asie. D’un autre côté, les films queer joyeux ont tendance à être plus populaires en Europe et en Amérique. Les réactions face à la violence de Night Flight varient. Comme la violence à l’école est partout en Corée, les Coréens sont moins surpris que le public étranger par cette violence. Récemment, dans un festival européen, le film a été classé X pour sa violence. Dans une culture où il y a moins de violence à l’école, les gens semblent plus déstabilisés par le film. Ou alors il s’agit pour eux simplement d’une bizarre culture locale.
Quels sont vos projets ?
Ce sera un mélodrame. Pas un film queer cette fois, il racontera l’histoire d’amour d’un homme et d’une femme. Ce sera aussi bien un mélodrame qu’un drame social.
Entretien réalisé le 23 juin 2014.
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