Entretien avec Kiyoshi Kurosawa

Entretien avec Kiyoshi Kurosawa

Après le succès de Shokuzai, Kiyoshi Kurosawa revient avec Real, en salles le 26 mars. Le film s'installe parmi les plus belles réussites du cinéaste qui se lance cette fois dans la science-fiction. Kiyoshi Kurosawa nous parle de ce qui fait son cinéma, de ses références ou encore de ses projets...

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Les lieux ont toujours joué un rôle très important dans vos films. Les ruines et hangars dans lesquels apparaissent les fantômes, etc… Ici l’essentiel de Real se déroule dans le subconscient d’un personnage. Était-ce pour vous un moyen de faire un film sur l’imaginaire ?

C’est vrai que le fait d’avoir accepté d’adapter ce roman original m’a naturellement imposé quelques contraintes sur le choix de lieux. De mon propre chef je pense que je n’aurais jamais imaginé une histoire pareille parce que… disons qu’à l’origine en tout cas ce n’est pas ma spécialité ou ma préférence de raconter des histoires qui ne se passent pas dans des lieux réels, qui existent. Là, l’intrigue l’exigeait et c’est autour de cela que l’histoire est construite donc forcément il a fallu que je m’adapte. Ça a été un exercice très intéressant pour moi aussi puisqu’il a fallu que je recrée certains lieux qui n’existent pas et c’était tout à fait stimulant.

Vos films parlent régulièrement de la porosité entre réel et surnaturel. Vos personnages sont souvent à la fois morts et vivants, qu’il s’agisse de fantômes ou de personnes dans le coma. Qu’est-ce qui vous fascine tant dans cet entre-deux ?

C’est vraiment une question qui interroge l’essence de mon travail. Et c’est difficile de répondre car je ne me suis jamais vraiment posé la question au sujet de mon intérêt pour cet entre-deux, cette zone trouble. Mais le cinéma, c’est un peu ça. Pour moi c’est une métaphore du cinéma en quelque sorte puisqu’on tourne des films dans des lieux concrets avec des acteurs qui existent, et faire tourner une caméra devant cela, ça pourrait n’être que filmer la réalité. Pourtant, il y a toujours cette petite note de fiction qui vient créer un décalage entre la simple réalité et cet autre chose qui emmène le spectateur là où la réalité n’existe pas vraiment, quand bien même on filmerait une histoire réaliste. De façon empirique, je pense que j’ai ressenti ça au fur et à mesure de mes films. Dans tous les cas, il y a toujours un entre-deux puisque la réalité n’est jamais la réalité et l’extraordinaire n’est jamais que surnaturel. C’est ce qui fait que naturellement, les histoires que j’ai envie de raconter ou que j’écris deviennent ce genre de récits avec un niveau intermédiaire.

Il y a une scène extraordinaire dans Real, durant laquelle la ville disparaît comme une peinture trempée dans l’eau. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette scène, était-elle présente dans le roman original ?

Ce passage n’existe pas dans le livre, c’est une création originale pour le film. A vrai dire l’idée n’est pas seulement de moi. On en a beaucoup discuté avec le réalisateur des effets spéciaux avec lequel je collabore depuis Kairo. Donc depuis très longtemps. C’est un ami et j’ai l’habitude de travailler avec lui. La réalité devait s’effondrer d’une manière ou d’une autre, et il fallait qu’il y ait un symbole ou un emblème qui l’illustre. Et il m’a dit « T’inquiète pas, je vais essayer plein de choses et je te les présenterai ». C’est lui qui a eu cette idée de faire s’évaporer la ville à l’écran.

Vous avez déjà parlé de votre amour pour Richard Fleischer qui a œuvré dans de nombreux genres mais dont l’un des films les plus connus est Soleil vert. Fleischer vous a-t-il servi de source d’inspiration pour la réalisation d’un tel film de science-fiction ? D’autres réalisateurs vous ont-ils inspiré ?

Avant de parler plus spécifiquement de Fleischer, je voulais dire que je ne me suis pas directement inspiré d’autres films pour faire celui-là même si j’ai conscience qu’il y a ces dernières années des films traitant de thèmes similaires qui ont été tournés. A Hollywood notamment, avec Christopher Nolan qui a réalisé Inception ou Martin Scorsese avec Shutter Island. Pour moi ce sont deux films qui éventuellement d’un point de vue thématique, ce jeu de réalité/hors réalité, se recoupent avec le mien. Mais je n’ai pas eu le sentiment de me référer à un film déjà existant.

Mais puisque vous évoquez Fleischer je vais en parler ! Je n’ai pas pensé à Soleil vert en travaillant sur Real mais plutôt au Voyage fantastique. C’est un film de science-fiction dans lequel, pour des raisons médicales, on crée de microscopiques petits humains qui voyagent dans de microscopiques petits sous-marins qu’on injecte via une seringue dans le corps du patient. Ce qui se passe hors du corps et ce qui se passe à l’intérieur du corps sont montrés en parallèle. C’est vrai que j’ai pensé à ce film de Fleischer quand j’ai préparé Real. Il y a un autre film de Fleischer auquel j’ai pensé : L’Étrangleur de Boston. Dans ce film, le personnage incarné par Tony Curtis perd partiellement la mémoire. Le policier joué par Henry Fonda l’interroge. Et au fur et à mesure de son interrogatoire, ses souvenirs lui reviennent. Dans ces séquences de souvenirs, qui sont des séquences du passé, on voit Henry Fonda à l’intérieur de ces séquences alors même qu’il est en train d’interroger le personnage dans le présent. J’ai beaucoup pensé à ces allées et venues dans L’Étrangleur de Boston quand j’ai tourné Real.

Avez-vous déjà de nouveaux projets ? J’ai cru entendre que vous alliez peut-être tourner en France ?

Un tournage en France, ce serait bien ! J’aimerais beaucoup mais on ne sait pas exactement si ce sera possible. J’essaie d’écrire des scénarios de façon à ce que ça puisse se concrétiser mais on n’a rien de précis. Dans l’immédiat, à mon retour au Japon dès ce mois de mars on va tourner un petit film japonais dont le tournage est déjà calé. Après le mois de mai, on verra.

Entretien réalisé le 8 mars 2014. Un grand merci à Matilde Incerti.

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par Nicolas Bardot

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