Entretien avec Julius Berg et Mathieu Gompel (The Owners)

Entretien avec Julius Berg et Mathieu Gompel (The Owners)

The Owners n’a pas encore de date française, mais il est déjà sorti aux Etats-Unis, en Russie, prochainement en Espagne, Grande-Bretagne, Australie, en plus d'avoir été montré dans plusieurs festivals de genre des plus enviables dont Sitges ou l’Etrange Festival... Ce home invasion inversé adapté d’une bande-dessinée marque l’arrivée dans le monde du long-métrage du talentueux Julius Berg, après plusieurs séries télé. Il co-écrit pour l’occasion avec Mathieu Gompel, déjà co-scénariste du très réussi Les Petits princes en 2013. L’occasion de les interviewer pour parler scénario, mais pas que.

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Julius, peux-tu nous résumer en quelques mots ton parcours avant d’en arriver au projet The Owners ?

Julius Berg: J’ai la sensation d’avoir franchi les étapes les unes après les autres sans en sauter puisque j’ai commencé en faisant du film d’entreprise cheap, de la publicité un peu moins cheap, de la web-série, de la série et enfin du long-métrage. Au départ j’ai plutôt une formation visuelle avec la publicité, avant de me rapprocher plus récemment des comédiens avec les séries, ce qui est le plus passionnant.

Il me semble que t’avais déjà un projet de long qui s’appelait Bugs ?

Julius: J’ai eu plusieurs projets de longs mais comme avec tout premier projet c’est difficile de trouver une histoire qui tienne et qui en même temps résonne auprès des producteurs. Bugs ça n’a pas résonné ! (rires) C’était un projet qui n’était pas exempt de défauts, sans doute trop ambitieux, avec pas mal d’effets spéciaux. Et je pense que la ligne narrative n’était pas si claire que ça. C’est The Owners, une idée d’adaptation proposée par Mathieu, qui a eu le plus de résonance chez des producteurs, en particulier Alain de la Mata.

Mathieu, on t’avait rencontré à l’époque des Petits Princes. Peux-tu nous dire ce qui s’est passé entre la sortie de ce film et le moment où tu es venu voir Julius avec pour idée d’adapter la B.D. Une nuit de pleine lune ?

Mathieu Gompel: Je connaissais déjà Julius de loin et je lui avais fait un retour sur le traitement de Bugs. C’est au moment de la sortie des Petits Princes qu’on s’est rapproché et qu’on a évoqué l’idée d’écrire ensemble. Moi ça faisait deux ans que j’avais lu la B.D. Une nuit de pleine lune avec l’impression qu’il y avait quelque chose de simple, d’efficace, une proposition, et qu’avec une vision on pouvait en faire quelque chose. J’en ai parlé à Julius comme une alternative à des projets plus lourds et ambitieux niveau production. Ça a matché et Julius s’est tout de suite projeté dedans.

A l’époque, vous avez commencé à écrire ensemble avec ou sans producteur pour vous suivre ?

Mathieu: Déjà on s’est renseignés pour les droits. Il se trouve qu’Hermann et Yves H. avaient gardé les droits d’adaptation, ce qui est rare. Ils nous ont gracieusement laissé les droits le temps qu’on aille trouver une production pour les payer. On ne voulait pas écrire le script en entier, on a donc juste écrit un traitement et c’est sur la foi du traitement qu’on a trouvé une première production pour nous accompagner, même si au final ce n’est pas cette boîte qui a produit le film.

A quel moment avez-vous décidé de transposer le film en Grande-Bretagne ?

Julius: Il y avait deux raisons. Une raison d’abord économique. On était conscients que l’économie du film de genre en France n’est pas impossible mais qu’elle est compliquée, il y a eu pas mal d’échecs. On n’avait pas trop envie de galérer et de faire un film fauché. Et en même temps ça avait du sens de le faire en Angleterre : on parle d’un choc culturel, d’un choc générationnel, et donc implicitement d’un système de classe qui est quand même plus marqué en Angleterre qu’en France. Peut-être parce qu’ils n’ont pas décapité leur roi, contrairement à nous, donc il y a une sorte de conservatisme qui fait qu’on a du mal de passer d’une classe à une autre. Et en même temps je voulais quelque chose d’assez élégant, avec de l’humour noir typiquement anglais, quelque chose d’assez racé, et en même temps qui puisse ouvrir d’autres portes que juste un film franco-français. Donc assez rapidement on s’est dit qu’il fallait le faire en anglais avec un petit budget. Et on a été suivis assez vite par Blue Light Production, une filiale de Wild Bunch.

Comment avez-vous écrit la version dialoguée ensemble ? Est-ce que vous étiez physiquement ensemble, à distance, comment ça s’est passé ?

Mathieu: Vu que c’était une adaptation, on a réfléchi à quels étaient les thèmes, par quel axe on pouvait aborder ce récit, quels étaient nos personnages, quels étaient leurs secrets, et à partir du moment où on a répondu à ces questions, on a pu écrire un premier traitement en quatre mois à peu près en se voyant régulièrement. C’est sur la foi de ce premier traitement qu’on a abordé les prods.

Julius: On n’a pas voulu aller trop vite. C’est un défaut qu’ont parfois les jeunes scénaristes ou réalisateurs : on veut tout de suite aller au dialogué. Nous on se contraignait à faire une page, « Est-ce que ça tient ? » Puis cinq pages, est-ce que ça tient toujours ? Puis vingt pages, etc.

Mathieu: Julius est un gros gros gros bosseur. On avait beaucoup de pages qui étaient rapidement remises en question, tu faisais en sorte que ça fonctionne. En tout cas Julius aime bien tenir le clavier, on avait des réunions où on parlait, il notait beaucoup.

Julius: On a souvent travaillé dans l’immense loft de Mathieu (rires). C’était quand même assez confortable.

Quand il s’est agi de déménager le film en Angleterre, Geoff Cox est intervenu. Qu’a-t-il apporté concrètement ?

Julius: Geoff Cox c’est l’associé du producteur Alain de la Mata, il est par ailleurs scénariste et script doctor. Il a ce talent pour s’emparer d’un script et l’upgrader sans le transformer. Il a essentiellement travaillé sur les dialogues en plus de nous aider sur notre anglais qui est quand même limité (je parle même pas celui de Mathieu qui est vraiment à chier (rires)). Geoff a amené ces subtilités de langage, declasse, que le tout soit beaucoup plus organique et vivant.

Mathieu: Dans notre version, le personnage de Gaz avançait un peu plus masqué et Geoff a estimé que dans la culture anglo-saxonne ce serait un peu plus frontal.

Julius: Gaz était plus mystérieux, mutique, il en a fait quelqu’un de plus expressif et plus efficace aussi.

Mathieu: Un français ne voit pas la même chose qu’un anglais.

Don’t Breathe de Fede Alvarez, qui est lui-même un film de home invasion, est sorti pendant le développement. Un coup dur, j’imagine ?

Julius: Quand j’évoquais le scénario à des potes, certains disaient « Vous avez vu Don’t Breathe ? C’est un peu le même concept». Certains qui ont vu The Owners nous ont quand même accusé d’avoir copié le concept ce qui est impossible vu qu’on a adapté une B.D. qui a été écrite bien avant. J’ai toujours pas vu Don’t Breathe car je voulais pas être refroidi, effrayé ou impressionné, je voulais qu’on garde notre vision. De toute façon avec un même concept on peut explorer des territoires très différents.

Mathieu: Je l’ai pas vu en salles, je ne voulais pas me faire cette violence. Mais je l’ai rattrapé en Blu-ray et je me suis dit « En fait, ça va… ». Les deux films appartiennent au même sous-genre mais le type de cinéma proposé n’a rien à voir.

Votre film se passe à la fin des années 90. Pourquoi ?

Julius: C’était pour amener une étrangeté au film, ainsi qu’un côté vintage car on aime ces thrillers des années 90. Misery était une référence pour nous : un film qui créé de la tension avec un concept et des éléments simples. Une maison, quelques personnages, et c’est parti. Les looks années 90, qui sont quand même assez ringards, apportent également un côté grotesque aux personnages des voleurs, ça les décrédibilise assez vite et les positionne comme des bras cassés.

Mathieu: Ça renvoie à des références qu’on évoquait à l’écriture, les frères Coen par exemple. Des personnages qui, sans être ridicules, ne sont pas des winners.

Comment s’est passé le casting ?

Julius: On a eu la chance de travailler avec un excellent directeur de casting, Dan Hubbard. Il vient d’une grande famille de directeurs de casting et il est tombé amoureux du projet donc il nous a fait bénéficier de son réseau pour un budget assez réduit. Les trois personnages masculins ont été trouvés très vite grâce à des propositions vidéo envoyées par Dan. C’était une évidence. Ca a mis plus de temps pour convaincre Alain sur un des acteurs donc il y a eu plusieurs callbacks mais j’ai tenu bon jusqu’à la fin. Pour la jeune fille, Dan nous a fait plusieurs propositions qui ne m’ont pas convaincu. Et il a eu l’idée lumineuse de penser à Maisie Williams qui sortait de Game of Thrones. J’ai compris qu’il y avait un super potentiel artistique car c’est une excellente comédienne, elle est extrêmement intense et juste en même temps. C’est la marque des grands comédiens je trouve : donner beaucoup mais sans fausse note. Elle a lu, elle a aimé, on s’est rencontrés, et elle a dit oui. C’était courageux de sa part : c’est un premier film, moi je suis pas connu, elle sortait d’une grosse machine mondiale… Elle a pris ce risque pour pas beaucoup d’argent. Je lui dois une reconnaissance éternelle. Et pour le couple de personnes âgées on avait fait une wishlist de comédiens britanniques qu’on adore dont plusieurs n’étaient pas accessibles. Dan a proposé Sylvester McCoy et ça a fait tilt tout de suite car il peut être à la fois jovial et inquiétant. Tous les comédiens n’ont pas cette versatilité, cette dualité. Et Rita Tushingham c’est marrant car quelques mois plus tôt j’étais allé au Champo voir The Taste of Honey, un film important du Free Cinema britannique des années 60 où elle a le premier rôle. Dan m’a soufflé son nom et je me suis dit que c’était une excellente idée. Elle était adorable, comme tous les acteurs d’ailleurs. La force du film c’est le casting et comment ces protagonistes interagissent ensemble. C’était un des tournages les plus agréables que j’ai vécu.

Justement, quel était ton budget et ton planning ?

Julius: On avait 1.3M livres sterling, donc pas grand-chose. Et on avait 23 jours de tournage, ce qui est quasiment ce qu’on tourne en série télé, mais il fallait relever le défi. La difficulté c’était l’anglais, trouver les bons mots pour diriger les comédiens. Mais finalement c’est un huis clos, six personnages, peu de changements de décor, donc c’est plus simple à fabriquer. Et l’intérêt de l’Angleterre c’est qu’ils ont des journées plus longues : en France on a huit heures de tournage, en Angleterre on en a dix. Donc ça permettait d’avoir un peu plus de confort.

Mathieu: Tout ce challenge il l’a relevé avec le choix artistique de tourner à une seule caméra.

Julius: Avec deux caméras on ne va pas forcément plus vite et on fait souvent des compromis, on a rarement deux cadres excellents, surtout si on veut des amorces. Une caméra permet d’affirmer un peu plus un parti-pris et d’aller plus loin dans la composition.

Mathieu, je comprends donc que t’es venu sur le plateau ?

Mathieu: Une seule journée, l’avant-dernier jour. Après toutes ces années, c’était une satisfaction de voir Julius dans son élément. Il a réussi à trouver le moment pour me faire visiter le plateau, me présenter aux comédiens, à Maisie, en lui expliquant qu’il ne fallait pas faire attention à mon anglais de merde (rires). Il faut dire que Julius a partagé avec moi toutes les avancées du projet, m’a fait voir des rushes… Je ne me sentais pas extérieur.

Julius: C’est un problème que ressentent beaucoup de scénaristes : après avoir écrit ils se sentent rejetés par les réalisateurs, qui sont pris dans la tourmente du tournage. Je suis conscient que ça peut être violent. Et quand on s’entend bien comme moi avec Mathieu je ne vois pas pourquoi rejeter le scénariste du processus. Il peut amener des idées, recentrer la priorité sur un moment-clé. On s’est vus aussi pour le montage, où Mathieu était d’une aide importante.

Justement, en termes de montage, est-ce que vous avez beaucoup coupé, et est-ce que vous avez identifié des problèmes de scénario qui sont revenus vous mordre les fesses ?

Julius: On a assez peu jeté. On a juste raccourci, on aurait même pu raccourcir davantage quand je revois le film à froid. Puisque c’est quasiment du temps réel, c’est pas un film où on a une grande marge de manœuvre. On ne pouvait pas intervertir de séquences, mélanger des fils narratifs... Il fallait juste maintenir une direction, une énergie. Une difficulté qui apparaissait plus clairement c’était le switch du personnage de Terry qui n’était pas clair pour tout le monde, ça demandait plus de travail. Certains spectateurs passent encore à côté, d’autres le sentent, c’est des choses assez subjectives. C’est un montage qui a pris du temps : presque trois mois. C’était avec un monteur que je connaissais personnellement mais avec qui je n’avais pas encore travaillé, donc il fallait qu’on parle le même langage. C’est compliqué sur un premier long-métrage de partager la matière que t’as fait mûrir pendant de nombreuses années. C’était un montage long, douloureux à certains moments, mais on arrive à aller au bout de son envie.

Mathieu: Julius était dans un tunnel, il a enchaîné le tournage, le montage dans une petite salle pendant la canicule, les retours… A un moment je suis venu une semaine pour pouvoir échanger avec lui et Marc Boucrot le monteur. Une petite respiration avant qu’ils mettent leur touche finale.

La question de l’honnêteté maximum pour finir : C’est quoi votre plus gros regret et votre plus grande fierté sur le film fini ?

Julius: Ma plus grande fierté c’est le casting. Je suis très content de leurs performances. Ils ont tous leur petit moment. Et c’est un excellent souvenir d’avoir travaillé avec chacun d’entre eux. Le regret c’est qu’il aurait été bon de faire un break et prendre davantage de recul sur le montage. Il y a des choses que j’aurais aimé affiner, resserrer le rythme... Il y a des défauts que je pardonne : c’est une proposition simple, ça ne prétend pas révolutionner le film de genre, juste amener une proposition différente. Avec peu de budget, peu de jours de tournage, être assez efficace, assez solide, offrir un divertissement honnête.

Mathieu: Le ton du film apparaît progressivement et peut-être qu’on aurait dû l’affirmer davantage dès les premières minutes pour que les spectateurs saisissent d’emblée l’approche un peu grotesque. Mais pour l’efficacité du film, les choix de montage ont été les bons. A part ça je suis très fier du film, Julius a fait un boulot de malade, il l’a réalisé avec goût, en faisant des choix affirmés et sûrs.. J’aime ce film comme un enfant que je n’aurais pas élevé ! (rires)

Propos recueillis par Liam Engle le 9 octobre 2020

par Liam Engle

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