Festival de Gerardmer 2021 : Entretien avec Jérôme Genevray et Franck Victor (La Nuée)

Festival de Gerardmer 2021 : Entretien avec Jérôme Genevray et Franck Victor (La Nuée)

Un film d’auteur français qui n’est pas écrit son propre réalisateur: incroyable mais vrai. C’est le cas de La Nuée, le premier long-métrage de Just Philippot (dont vous pouvez lire l'interview ici), signé par le duo de scénaristes Jérôme Genevray et Franck Victor. Nous avons voulu revenir avec eux sur ce processus d’écriture trop rare en France.

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Jérôme, tu es crédité à l’idée originale du scénario. Peux-tu me dire d’où c’est parti ?

Jérôme Genevray: J’avais l’envie depuis longtemps de parler d’écologie mais sous un axe qui me parlait, sans être accusateur. Je tombe sur un article sur ces insectes qui ont des caractéristiques bien plus écologiques que la viande. C’était la première idée. J’ai développé un premier traitement de cinq, sept pages.

Franck, tu étais sur le projet à ce moment-là ?

Franck Victor: Jérôme avait bossé sur un traitement depuis quelques mois et comme on se faisait lire nos trucs je lui avais fait un retour sur ce doc qui s’appelait d’abord Happy Meal, puis Le Plat de résistance.

Jérôme: Le projet était différent. Plus ironique, plus dans la distanciation.

Franck: J’ai rebondi et Jérôme m’a proposé qu’on l’écrive ensemble.

Quels producteurs avez-vous démarché ?

Jérôme: J’ai présenté le projet à plusieurs boîtes de prod et Gaumont TV a accroché. L’idée avec eux c’était de faire une mini-série 3x52 minutes peut-être pour Arte (et la belle ironie du sort c’est que c’est Arte qui financera plus tard le long). Donc on bosse un peu avec Gaumont TV même s’il n’y avait pas d’engagement formel de leur part. Au bout d’un moment ça ne donne rien avec eux donc ça s’est arrêté. C’était en janvier 2017. Parallèlement à ça je tombe sur un appel à projets pour la première résidence SoFilm. J’en parle à Franck et on pond un traitement de trois pages. On n’est pas hyper satisfait du document mais on l’envoie.

Franck: On part sur d’autres projets en attendant.

Jérôme: Fin mai après Cannes 2017 je reçois un coup de fil de Thierry Lounas de SoFilm et Capricci qui me dit « Bravo, vous êtes sélectionnés ! » mais au début je ne comprends même pas de quoi il parle.

Franck: Thierry a tout de suite adoré le concept du film et avant même de faire les résidences nous a présenté Manuel Chiche de la société The Jokers. On s’est rendus compte avec Manuel qu’on avait les mêmes références, et il était intéressé pour s’associer avec Thierry sur le projet.

Comment se sont passées les résidences ?

Jérôme: On a fait trois résidences entre septembre et décembre 2017. Il y avait une première étape où on bossait sur un traitement de dix à vingt pages. Après, il y avait une sélection où ils en gardaient la moitié qui continueraient à écrire jusqu’à aboutir à un dossier avec un traitement de vingt pages. Les résidences étaient géniales. On ne l’a pas vécu comme un concours, c’était une émulation.

Franck: Pendant les résidences, on rencontrait des gens du métier et quand on parlait du film on sentait un intérêt. En plus on avait un parrain en écriture, Nicolas Peufaillit, qui nous posait les bonnes questions, sans nous donner les réponses.

Jérôme: Sur les résidences, ce qu’on a retenu et qu’on essaie de faire sur nos projets suivants c’est : quand tu commences à travailler sur le traitement, c’est super intéressant et inspirant de rencontrer des gens qui sont normalement beaucoup plus tard dans les phases de production, voir que normalement tu ne rencontres pas. Par exemple à la résidence, on a rencontré des gens du marketing de Studio Canal. Ils nous donnaient leur point de vue de marché. Ça nous a vachement enrichis, non pas pour écrire pour le marché mais être en adéquation avec la faisabilité et l’appétence que différents types de publics pouvaient avoir pour le film. Dans le même ordre d’idée, on a rencontré Nicolas Rey de Mikros. C’était super intéressant car dès le traitement, il apportait son expertise de dingue sur les VFX. Par exemple cette petite phrase où tu marques « Une nuée envahit le village », ça représente tant d’argent. Est-ce que c’est vraiment ça qu’on veut formuler ? Ça nous challengeait. En se posant des questions comme ça très terre à terre de fabrication voir de distribution, tu gagnes une à deux versions de continuité dialoguée.

Franck: Ça nous a pas limités en termes d’écriture, mais ça nous a fait nous demander : « Cette scène, qu’est-ce qu’elle raconte exactement ? Est-ce qu’on se fait juste plaisir à faire des effets spéciaux à la con ou est-ce que ça raconte quelque chose de nos personnages ? » Quand les sauterelles sont sur les corps, qu’elles marchent les unes sur les autres, c’est les effets les plus difficiles à faire. Donc on les a limités au maximum dès l’écriture. Et ça renforçait la dramaturgie, car voir moins de corps recouverts de sauterelles, ça renforçait leur impact à l’écran.

Et au terme des résidences ?

Franck: A la fin, il y avait une commission et on a été le premier film à être choisi. Là on a signé une option avec Capricci et on est rentrés dans l’écriture proprement dite.

Jérôme, je sais que t’aimes bien théoriser l’écriture scénaristique. Est-ce que pendant l’écriture il y avait des préceptes scénaristiques que vous aviez conscience d’éviter ou bien d’assumer, de tester… ?

Jérôme: On aime bien tester différentes méthodes pour prendre du recul sur notre scénario. Pèle mêle : la structure macro de Blake Snyder, les arcs dramatiques de John Truby, et essayer de goupiller du mieux que possible une fin thématique à la Michael Arndt, qui n’est pas évidente à faire. Comment faire pour que ce soit l’arc thématique du personnage qui déclenche l’intrigue ? Car c’est facile de se laisser embarquer par le plaisir de faire une intrigue et oublier tes personnages et te retrouver avec une déconnexion. Donc on bosse les sept étapes des persos et de leurs adversaires et on les injecte dans la structure de Snyder car on la trouve assez fun.

Franck: Et très précise. Pendant les résidences j’avais tendance à m’éparpiller alors que Jérôme est plus synthétique, et Jérôme me répétait : « On va pas être plus intelligent que les scénaristes qui sont venus avant nous. Soyons des bons élèves. » On a donc été très scrupuleux sur les règles. C’est comme ça qu’on a asséché notre récit. Pour raconter une histoire comme ça t’as tendance à avoir plein d’artifices avec un voisin, une boulangère, un ennemi qui est le maire du village, etc... On avait même des scènes grandiloquentes, à l’américaine, comme par exemple une scène d’attaque du village par la nuée, et tout le monde était mal à l’aise, nous y compris. En fait la scène était ridicule car on avait perdu notre personnage principal. Virginie n’avait plus aucun désir, donc la scène ne servait à rien. Une des grandes progressions c’est quand on a capté le rapprochement avec La Mouche : c’est ça qui nous a fait virer tous les personnages qui ne servent à rien. Ça nous évitait de perdre la force du récit et au fur et à mesure des versions, l’ennemi est devenu intime: c’était sa fille.

Jérôme: C’est la nuance entre le sujet et le thème. Le sujet c’est les sauterelles, l’alimentation, l’écologie… Et le thème c’est le conflit intime et interne entre une mère et sa fille. Et c’est ça que de version en version on a de mieux en mieux cerné. On sculptait, on enlevait.

Franck: Parfois on te dit « Ça manque de scènes de vie ». Ça ne veut rien dire. Car si ta scène elle n’apporte rien thématiquement, tu la jettes à la poubelle. C’était notre obsession. Et par conséquent, une fois que le récit est raconté, une fois que la bascule entre nos personnages a lieu, terminé, le film est fini car il n’y a plus rien à raconter. On a tenu à cette sécheresse du film, sans fioritures.

Au bout d’un certain temps, Just Philippot est arrivé sur le film. Mais lorsque vous aviez signé avec Capricci, vous n’aviez jamais envisagé de le réaliser ?

Jérôme: L’accord qu’on avait avec Thierry Lounas dès le départ dans le cadre de la résidence c’était qu’il y aurait les auteurs d’un côté, les réalisateurs de l’autre. On savait dès le départ qu’on n’allait pas réaliser, c’était le deal.

Est-ce que Just a fait une passe sur le scénario, ou est-ce que vous avez fait une passe à trois ?

Franck: On a fait deux résidences avec Just pour discuter avec lui et approfondir et se mettre d’accord à trois sur l’histoire, mais le scénario était déjà là. Il y a bien sûr eu des ajustements (rires) mais on avait déjà essayé tellement de versions, on savait où était le cœur du film.

Jérôme: On était sur la même longueur d’onde. Les seuls changements ont été du fait de contraintes, comme le nombre de jour de tournage. Mais c’est de l’ordre de la mise en scène.

Lors du financement, on ne vous a jamais fait part d’angoisses car le réalisateur n’était pas crédité au scénario ?

Franck: Jamais. Deux mois après avoir été choisi, Just a présenté le film au CNC. Et donc ça a très bien fonctionné car on avait passé du temps avec lui, on lui a transmis le bébé et du coup on était raccord. Et puis ses courts-métrages étaient en adéquation avec le long : Ses souffles c’est une mère qui protège son enfant et Acide c’est un père et une mère qui essaient de protéger leur enfant donc on était sur les mêmes thématiques que La Nuée.

Donc pour obtenir le financement vous n’avez jamais dû maquiller le projet selon les guichets pour en faire un film plus ou moins social ou plus ou moins de genre ?

Jérôme: Franck a fait une soutenance en Nouvelle Aquitaine qu’on a eu. Moi j’en ai fait une au CNC pour l’aide au développement pendant l’écriture et les questions que le CNC posait étaient des questions pertinentes, cohérentes avec le projet. On m’a demandé « Est-ce que vous croyez pas que votre film de genre va être dans une niche ? » Et j’ai dit qu’on parlait d’une famille dysfonctionnelle avec une mère qui essaie de protéger ses enfants et subvenir à ses besoins, j’espère qu’on est universel.

Est-ce que vous êtes allés sur le tournage ?

Franck: On y a été deux jours.

Est-ce que vous êtes venus au montage et est-ce que des choses ont été modifiées lors du montage ?

Jérôme: On n’est pas venu au montage, en plus c’était pendant le Covid.

Franck: Il y a des dialogues qui ont sauté, c’est normal car quand on écrit on écrit toujours un peu trop. Il y des personnages secondaires qui ont été gommés: l’ado petit copain de Laura, le voisin Duvivier qui avait une place plus importante dans le film… C’était des pendants un petit peu comiques, c’était pas du tout essentiel.

Comment vous avez réagi face au film fini ?

Franck: Avant de le découvrir, on avait peur, c’est normal. Mais quand on voit le film en février 2020, on applaudit Just car nous on voit exactement le film qu’on a écrit.

Jérôme: Sincèrement on adore le film.

Franck: On voit nos personnages, ils ont pris vie, on retrouve la thématique… C’est ce qu’on a écrit et on le voit à l’écran. Il l’a mis en scène de façon magistrale, toujours en mouvement.

C’est quoi la suite pour vous ?

Jérôme: La Nuée 2 bien sûr. (rires) On bosse ensemble sur plusieurs projets dont un qui commence à bien émerger, une histoire de sorcière contemporaine qui nous permet de réfléchir au combat entre les hommes et les femmes et comment ne pas les opposer. C’est dans la continuité d’une réflexion qu’on avait déjà à l’époque de mon court-métrage La Pomme d’Adam que Franck avait écrit. C’est produit par Arthur Grec de Mansarde Productions.

Franck: C’est un ancien de Mandarin et du Pacte qui a monté sa boîte récemment. On est en train de finaliser un traitement pour l’envoyer en commission bientôt.

Jérôme: On en a d’autres de projets en solo. J’ai un projet de film de vampire dans l’univers des start-ups. Je viens d’avoir le cast : Déborah François et Nadia Farès. Ce serait moi qui le réaliserais.

Franck: Et moi j’ai une comédie pour laquelle j’ai collaboré avec Michel Leviant, un « feelgood movie » donc absolument rien à voir, qui s’appelle Petit Loup. C’est en développement chez Bright Light Films.

Merci beaucoup !

Jérôme et Franck: Merci à toi !

Propos recueillis le 21 octobre 2020

par Liam Engle

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