Entretien avec Jeffrey Schwarz
Avec le documentaire I Am Divine (qui sort en dvd le 15 octobre), le réalisateur Jeffrey Schwarz rend hommage à l'icône cultissime et dégueulicieuse du cinéma de John Waters. En quelques films, de Pink Flamingos à Hairspray, Divine est devenu une star et... la plus belle femme du monde. Schwarz nous parle de sa rencontre de cinéphile avec Divine et de son statut de figure emblématique pour les LGBT.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez vu Divine à l’écran?
Depuis mon adolescence je voue un culte à Divine et à John Waters. Quiconque a eu le sentiment d’être un outsider a pu se retrouver dans l’histoire de Divine et dans son parcours. J’ai lu des articles sur Pink Flamingos des années avant de finalement voir le film, dans Cult Movies de Danny Peary ainsi que dans le livre de John Waters, Shock Value. A l’époque je n’avais pas encore de vraies connexions avec la culture gay, et la sensibilité de John Waters et de Divine a sans aucun doute influencé mon parcours créatif. Ils m’ont inspiré. Et finir par voir vraiment les films de Divine, c’était hallucinant. Je n’avais jamais rien vu de tel, et le voir à l’écran c’était extraordinaire. Il était tellement à fond dans les personnages qu’il interprétait. J’ai commencé par voir Hairspray quand le film est sorti au cinéma en 1988, puis j’ai remonté le temps.
Est-ce que pour vous, d’une certaine manière, I Am Divine raconte aussi un coming out et le besoin d’exister pour ce que l’on est malgré l’oppression de la société ?
Ado, Divine était sans cesse harcelé et tyrannisé. Quand il a rencontré John Waters et les autres de Dreamland il a trouvé un groupe qui l’acceptait, qui l’aimait et qui l’encourageait. Il a pu utiliser ce trauma pour nourrir le personnage de Divine et jeter à la face des gens tout ce qui autrefois était sujet de moqueries. Être Divine, c’était prendre le pouvoir. Il a réussi à devenir à la fois une icône du cinéma et un chanteur reconnu internationalement, et ça a donné du courage à tous ceux qui ont un jour été ridiculisés ou ostracisés. Son histoire donne l’espoir que tout est possible. C’est l’ultime exemple du It gets better, Divine est la figure emblématique pour les jeunes marginaux.
Pensez-vous que Divine pourrait être une star de cinéma de nos jours ?
Il dit dans le film qu’il a atteint une certaine célébrité underground qu’il adorait, qu’il appréciait, mais qu’il ne pouvait pas vraiment en tirer de l’argent. Il s’inquiétait à l’idée de vieillir, de finir pauvre. Il ne faisait pas grand-chose hors des films de John Waters, alors il s’est lancé dans une seconde carrière en tant que chanteur disco pour payer ses factures. Il voulait la stabilité, gagner sa vie, et être respecté. Il ne voulait pas juste se trimbaler dans toutes les boites du monde et être traité comme un animal de zoo. Divine voulait une vie confortable et ne prenait rien pour acquis. On ne saura jamais ce qui lui serait arrivé après son premier pas vers un cinéma plus mainstream avec Hairspray. Mon sentiment, c’est que s’il vivait toujours aujourd’hui, il appartiendrait à l’aristocratie du show business. J’espère que I Am Divine lui donnera ce qu’il voulait dans la vie : être apprécié et respecté, sans être réduit à une nouveauté passagère.
Quel est votre rôle préféré de Divine ?
J’adore son interprétation de Francine Fishpaw dans Polyester. Après avoir joué des monstres pendant des années, il a montré l’étendue de sa palette en jouant une victime de manière très convaincante. J’adore la scène où elle se rend pour la première fois à une réunion des alcooliques anonymes.
I Am Divine a vu le jour grâce au crowdfunding. A t-il été difficile de monter un tel projet ? Le sujet posait-il problème ?
La collecte de fonds est toujours compliquée, surtout vu le contexte économique. Alors on s’est tourné vers les fans de Divine pour que le film se fasse. On a décidé de passer par Indie-Go-Go et Kickstarter et on a atteint notre but. On voulait que les fans sentent qu’ils pouvaient prendre part à ce projet. C’était une manière de rendre quelque chose à Divine, se sentir connecté à quelque chose de spécial, et montrer que sa fanbase est toujours florissante. Et il n’y avait vraiment pas de plan B. Entre nos campagnes en ligne et nos gros donneurs qui sont des anges, on a pu finir le film.
Vous avez également signé un documentaire sur Vito Russo. Est-ce qu’il était particulièrement important pour vous de raconter l’histoire de figures de la culture LGBT comme Divine et Vito ?
A l’heure où la communauté LGBT est de plus en plus absorbée par la société et par une culture plus mainstream, je pense qu’il est important de célébrer des artistes marginaux comme Divine. C’est toujours les rebelles et les freaks qui nous rendent à nous la vie plus facile. Divine n’était pas ostensiblement politique et n’était pas concrètement impliqué dans une cause gay. Ce n’était pas une figure emblématique de la libération gay. Mais en étant aussi extravagant et unique, simplement en étant lui-même, il a responsabilisé et valorisé ceux qui voyaient ses films. Le message, c’était qu’il n’y avait rien de mal à être qui ils sont. Il a mangé de la merde pour qu’on n’ait pas à le faire. J’ai réalisé Vito pour motiver les jeunes à l’idée de trouver leur place dans la communauté – pour leur montrer combien il nous a aidés à vivre fièrement, publiquement, sans se cacher. Le message de Vito (se tenir debout, s’exprimer, vivre passionnément et avec courage face à l’adversité), c’est une chose à laquelle on peut tous aspirer.
Entretien réalisé le 3 mars 2014. Un grand merci à Zeina Toutounji-Gauvard.
