Entretien avec Jayro Bustamante
C'est l'une des révélations de l'année: Jayro Bustamante, venu du Guatemala, livre avec Ixcanul un premier film haletant et bouleversant. Ce récit d'une jeune Maya qui vit aux pieds d'un volcan et rêve d'une autre vie a été primé lors de la dernière Berlinale. Ixcanul est en salles dès le 25 novembre et c'est un immanquable. Jayro Bustamante vous en dit davantage dans notre entretien...
Ixcanul Volcano est un film de survie, porté par un sentiment d'urgence. Créer ce rythme particulier, est-ce plutôt une question d'écriture, de mise en scène, ou bien de montage ?
C'est surtout un film qui, dès le départ, a dû être fait dans l'urgence. Il était urgent de raconter cette histoire, et il était urgent de commencer à tourner, même si on n'avait pas tout le financement. La production française est arrivée après le tournage, ce qui nous a permis de retourner quelques plans au moment de la post-production, mais globalement l'urgence a toujours été là. Je voulais faire un film qui dénonce, mais je ne voulais pas non plus tomber dans la propagande ou le pamphlet politique. Cette dénonciation, il fallait que je l'habille d'habits cinématographiques. Et c'est dès la phase de l'écriture qu'est arrivée cette forme de crescendo : on commence avec les problèmes d'une femme, qui deviennent les problèmes d'une famille, qui deviennent ensuite les problèmes d'une société. En parallèle, je souhaitais effectivement que le rythme change, que l'on passe d'un début contemplatif à un dénouement proche du thriller social.
Avec un tel récit, comment éviter les pièges du misérabilisme ou du pittoresque ?
Je ne me suis jamais posé la questions en ces termes. Je ne voulais pas opposer les bons petits Indiens et les méchants blancs : je voulais que chaque personnage ait un but complètement égoïste, parce que la vie c'est comme ça. On est malheureusement enfermé dans notre ego, donc on est tous égoïstes. Dès la première version du scénario, c'était radical : Maria voulait partir, sa mère voulait garder la maison, le père voulait garder son travail, le contremaître voulait Maria... Dans le film comme dans la vie, ce n'est que quand les problématiques se partagent que les buts peuvent enfin s'unir.
Quel a été le rôle de la France dans ton parcours de cinéaste ?
Je dois beaucoup à la France. Je vis désormais entre la France et le Guatemala, j'avais appris la langue étant petit mais j'ai dû reprendre des cours en arrivant. Au Guatemala il n'y avait pas d’école de cinéma, j'ai étudié la publicité parce que c'était ce qui avait le plus de rapport avec l’audiovisuel. Et la France était comme un rêve pour moi. Plus que le cinéma français en soi, c'est surtout l'idée qu'un pays puisse avoir une production indépendante aussi forte qui m'inspirait. J'ai eu énormément besoin de me construire une cinéphilie, cela m’intéressait plus que la technique en elle-même. Je ne suis pas le genre de cinéaste passionné par la technique, pour moi le cinéma est un langage qui sert à raconter une histoire, donc c'est l'histoire qui vient en premier. Mais je suis parfois très envieux quand je vois des amis capables d'exprimer des choses uniquement avec une image. Et au-delà de ça, la France a également joué un rôle important dans la production d'Ixcanul. J'ai fait un prêt personnel pour le produire, mais je n'aurais pas pu le finir si je n'avais pas eu un coproducteur français.
J’imagine que la présentation du film en compétition à la Berlinale a également été une plateforme très importante.
Oui. Le moment le plus beau fut quand on nous a annoncé que nous étions en compétition. A ce moment-là, j'étais en train de faire des prises de son avec les comédiens au Guatemala, j'ai lu le mail et tout de suite ça a été l'euphorie collective, on s'est tous mis à sauter au plafond, et une fois qu'on s'est calmé, les comédiennes m'ont demandé « mais au fait, c'est quoi la Berlinale ?» ! Me retrouver en compétition avec des grands cinéastes, que j'admire pour la plupart, avec mon tout premier film, c'était quelque chose.
Il se trouve qu'avant le tournage, j'ai montré beaucoup de films et d'extraits de films à mes comédiens. Ils n'avaient jamais vraiment fait de cinéma auparavant, et le meilleur moyen de leur faire prendre conscience de l'importance du rythme, par exemple, c'était encore de leur faire voir différents types de films. Je leur ai montré, entre autres, un extrait d'Amélie Poulain, mais les comédiennes ont refusé que j'arrête l'extrait, elles m'ont demandé de laisser le film jusqu'au bout tellement ça leur plaisait. Or, Audrey Tautou faisait partie du jury de la Berlinale. Je les ai présentées lors de la soirée de clôture, mais je ne suis pas sûr qu'elles l'avaient reconnue tout de suite !
J'ai cru lire que tu aimais aussi beaucoup Terrence Malick ?
Oui ! Il y a deux personnes qui ont énormément compté artistiquement dans la mise en œuvre de ce film. Tout d'abord mon chef opérateur, Luis Armando Arteaga, qui est un homme de cinéma complet, qui voit au-delà de son travail. Même chose pour Pilar Peredo, qui est à la fois la productrice et la décoratrice du film. Ils ont travaillé avec moi très en amont. Lui et moi savions que nous n'allions pas avoir beaucoup de lumière sur ce film, et qu'il faudrait travailler avec la lumière naturelle. On s'est donc inspiré de deux de mes films préférés de Terrence Malick : Le Nouveau monde et Les Moissons du ciel. C'était un grand honneur que d'être en compétition à ses cotés à la Berlinale.
Et de le battre, car lui n'a obtenu aucun prix !
(Rires)
Entretien réalisé le 2 novembre 2015. Un grand merci à Matilde Incerti.
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