Entretien avec Hirokazu Kore-Eda
Hirokazu Kore-Eda, 50 ans, s'est imposé en une quinzaine d'années comme un des noms majeurs du cinéma contemporain japonais. L'auteur de Nobody Knows et de Still Walking est en compétition à Cannes avec Tel père, tel fils. Nous vous proposons de revenir sur notre entretien réalisé à l'occasion de la sortie l'an passé du splendide I Wish. Il nous parle avec modestie de son avant-dernier long métrage, de son goût pour le cinéma occidental, ou de l'état actuel de la production au Japon.
FilmdeCulte: Dans l’une des premières scènes de I Wish, le jeune héros observe le volcan qui se réveille et s’étonne que tout le monde reste calme. Le film a été écrit et achevé de tourner avant le tsunami qui a frappé le Japon en mars dernier, mais quel lien feriez-vous entre ce dont parle votre film, cette scène en particulier, et la façon dont le Japon a réagi à la catastrophe ?
Hirokazu Kore-Eda: Les gens qui voient cette scène maintenant pensent tout de suite au tsunami. En réalité, j’ai simplement voulu refléter la réaction que j’ai eue lorsque je suis allé à Kagoshima la première fois. Quand j’avais 20 ans, je me suis fait cette réflexion moi-même. Le volcan continue d’être en éruption, toujours. Et quand j’ai vu ça, je me suis demandé comment les gens pouvaient vivre normalement à côté de ce volcan. Le jeune héros n’est pas de Kagoshima, donc il est surpris. C’est vrai que nous vivons à proximité d’une nature assez impétueuse, mais dans cette scène en particulier, c'est ce sentiment-là que je voulais exprimer.
FdC: Vos films parlent souvent de la mort, du rapport à la mort, dès Maborosi, After Life ou Distance. Même dans des films comme Still Walking ou Air Doll, la mort est très présente. I Wish m’a semblé être un film sur la vie, avec énormément de vie dedans. Contrairement à Still Walking où on se réunit autour de la mort, là les enfants se réunissent autour d’un d’espoir.
HKE: En fait ce n’est pas une décision personnelle. Je reconnais que ce film est plein de vie, mais c’est la vie qu’ont apporté tous ces personnages, les acteurs, les enfants qui étaient plein de vie. I Wish est presque plus devenu leur film. Les deux frères sont tellement plein de vitalité qu’ils ont entrainé le film vers ce feu d’artifice. Il leur ressemble peut-être plus qu’à moi !
FdC: Nobody Knows et I Wish sont deux films qui portent un regard très riche sur l’univers de l’enfance, la façon dont le quotidien est perçu à hauteur d’enfant. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir à l’enfance ?
HKE: La raison principale pour laquelle j’ai voulu me pencher à nouveau sur l’enfance, c’est qu’entre temps je suis devenu père. J’ai eu envie de retourner dans ce monde avec un point de vue différent. Alors que Nobody Knows était tourné à travers le regard des enfants, là j’avais un regard de père et j’avais envie de voir ce que ça donnerait.
FdC: Et quels sont vos films favoris sur le sujet ?
HKE: Il y a bien sûr Gosses de Tokyo de Ozu. Les Enfants dans le vent de Hiroshi Shimizu, Allemagne année zéro de Rossellini, Amarcord de Fellini, Les 400 coups de Truffaut et beaucoup d’autres. Kes de Loach, Paysage dans le brouillard d'Angelopoulos, Le Regard d’Ulysse également, les films d'Hou Hsiao Hsien et Shinji Sōmai, Yi Yi d'Edward Yang, Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevsky. Et Kiarostami.
FdC: J’ai eu l’occasion d’interviewer Naomi Kawase récemment, qui m’a dit que vous faisiez partie des réalisateurs japonais contemporains dont elle se sentait proche. Je voulais savoir de quels réalisateurs japonais d’aujourd’hui vous vous sentiez proche, ou quels sont ceux auxquels vous vous intéressez ?
HKE: C’est vrai qu’on est proche mais nos œuvres sont très différentes. Elle fait des films très originaux et très intéressants. Quand je fais un nouveau film, je regarde aussi les films de mes contemporains, parce que j’ai beaucoup à apprendre d’eux, en particulier les films de Kiyoshi Kurosawa, Ryosuke Hashiguchi, Nobuhiro Yamashita. Je regarde également les films de Kitano parce que sa réflexion sur le cinéma est toujours intéressante. En Asie, je m'intéresse également à Jia Zhang-Ke ou Tsai Ming Liang. Mais je me sens parfois plus proche de réalisateurs occidentaux. J'adore Atom Egoyan, Paul Thomas Anderson, les frères Dardenne ou Olivier Assayas. J'ai beaucoup aimé L’Heure d’été.
FdC: Il y a bientôt 3 ans, vous déclariez dans FilmMaker Magazine que l’avenir du cinéma indépendant japonais et de sa production était très sombre. Vous parliez, pour des réalisateurs comme vous ou Kiyoshi Kurosawa, d’une question de survie. Est-ce que ce constat serait identique aujourd’hui ?
HKE: En fait la situation n’est pas brillante mais pas si sombre non plus. Il y a quelques ouvertures. C’est toujours très difficile de faire aboutir un projet original avec l’argent des majors. Par contre il peut arriver que les nouveaux cinéastes, les jeunes qui arrivent, aient des problèmes. Mais les cinéastes indé qui acceptent de faire des films pour les grands studios peuvent, avec l’argent qu’ils ont gagné, faire ensuite des films plus personnels. Sans faire trop de compromis, ils peuvent continuer à tourner. Les majors sont en fait en forte demande de films d’auteurs. Si on accepte de travailler avec eux, selon certaines contraintes, on peut y arriver. Il y a aussi des films qui se font hors de ce système, comme Saudade.
Simplement, ce qu’il faut dire aussi c’est que les spectateurs ont changé, c'est différent d’autrefois où il y avait un cœur mordu de cinéma occidental. Ceux-là ont fondu comme la neige et ont disparu, les spectateurs qui attendaient les films de Kiarostami, Erice, etc. Il ne reste que les spectateurs en forte demande de films hollywoodiens et de films japonais, de toutes sortes. Ça doit représenter 80% du public. Même des films primés à Cannes, qui avant sortaient systématiquement, ne sortent pas forcément. Ça a radicalement changé ces 10 dernières années. Mon prochain long métrage sera fait avec de l'argent venu de la télé. Ça sera quand même un sujet original. Il y a des opportunités de financement malgré tout. Le problème avec les grands studios c’est qu’ils ne sont pas habitués à exporter, ils veulent récupérer leur argent sur le seul territoire japonais et ont une façon de penser un peu rétrograde. Il n'est pas facile de faire des films qui soient visibles dans le monde avec eux. Moi je suis habitué, mais pour des jeunes ça n’est pas évident. La Toho par exemple n’a comme objectif que le marché japonais, ce qui limite l’envergure de la production japonaise dans son ensemble. Ça n'est pas très bon, il faut regarder au-delà du Japon.
FdC: Pouvez-vous nous parler de ce projet que vous préparez ?
HKE: Je peux vous dire que c’est encore une histoire de famille. Le héros sera un père d’une quarantaine d’années, avec son petit garçon de 6 ans. Je voudrais parler de la paternité, qu’est-ce que c’est qu’être père, est-ce que c’est le lien du sang, est-ce l’éducation ? C’est mon expérience actuelle. Ma fille a 4 ans, et je me demande ce qui fait le lien entre nous deux, notre sang, ou le temps qu’on passe ensemble ?
Entretien réalisé le 14 février 2012. Un grand merci à Matilde Incerti