Entretien avec Héléna Klotz
L'Âge atomique, primé à Angers puis à Berlin, est le premier long métrage de la Française Héléna Klotz. Une découverte désormais disponible en dvd chez Outplay, et qui témoigne d'une forte personnalité de cinéma. Entretien avec la jeune réalisatrice.
FilmdeCulte: Quel a été votre parcours avant la réalisation de L’Âge atomique ?
Héléna Klotz: J’ai réalisé un moyen-métrage, Le Léopard ne se déplace jamais sans ses taches et un documentaire, Les Amants cinéma. Très tôt j’ai gagné ma vie en faisant du casting sauvage pour les films d’autres réalisateurs (Laurent Achard, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, Katel Quilleveré…) et travaillé comme créatrice sonore au théâtre. Dans les deux cas, j’ai été confrontée à la question de la direction d’acteurs (professionnels ou non) et du rapport au texte. J’ai aussi beaucoup filmé. Des centaines et des centaines d’heures d’images : la cité où j’habitais, mes voisins, ma famille, mes amis musiciens que je suivais partout, chez eux, en répèt, en concerts, des grands groupes aussi comme Sonic Youth... J’ai amassé comme ça des milliers d’heures d’images "au mètre" un peu comme on fait de la musique au mètre. Le but n’étant pas d’en faire des films mais plutôt de chercher le cinéma jour après jour, à vue comme à tâtons.
FdC: Votre film a été extrêmement bien reçu en festivals, primé à Angers puis à Berlin. Comment avez-vous accueilli ces prix ?
HK: Je suis très heureuse de ce bel accueil. D’autant plus qu’avant de faire ce film, j’avais passé trois ans à batailler pour obtenir les financements d’un autre film, en vain. En réaction à ces trois longues années, j’ai écrit le scénario de L’Âge atomique d’une traite, en quelques semaines. J’ai raconté ce que je connaissais bien: des lieux que je fréquente, des personnages que je connais, un rapport à la nuit, à la ville, à l’époque. Une histoire simple et proche de moi. En ce sens, le film a vraiment un ancrage documentaire. Quelque mois plus tard, on a tourné dans ce même élan, en 12 jours. Aujourd’hui, que des personnes soit touchées par ce travail et reconnaissent à ce film des qualités de cinéma, c’est pour moi quelque chose de très encourageant.
FdC: Aviez-vous des références ou modèles particuliers en ce qui concerne l'aspect visuel de votre film ?
HK: Non, étrangement je n’ai pas eu vraiment de référence, ni même de modèle précis. Ce ne sont pas les qualités formelles d’un film qui m’inspirent ou me donnent des idées. C’est la mécanique qui me plait à décrypter. Ce qu’un réalisateur tisse comme toile de l’histoire, aux personnages, aux décors, à l’image, au son, aux émotions, jusqu’au spectateur. "Comment le film pense", c’est avec cette idée-là que je travaille. Pour ce long métrage, j’ai tenté de trouver un style qui aille avec les personnages que je filme et l’histoire que je raconte. C’est très basique en fait. J’ai affirmé des partis pris de mise en scène forts, comme par exemple travailler sur la séduction de l’image et du son pour la boite de nuit. C’était montrer la vanité du lieu, il fallait que ça brille pour que l'on sente un vide, une addition de solitudes. J’ai utilisé des effets aussi, lorsque la jeune fille apparaît à Victor comme un mirage, en surimpression, je voulais qu'en regard de cette apparition, les deux personnages masculins ressemblent de plus en plus à des fantômes. Travailler sur le style, les effets et décoller du “réalisme”, c’est ma manière à moi de mieux rencontrer le réel. Mais si vous voulez savoir quelle est la référence (secrète) que j’ai eue pour ce film: Pasolini ! Et c’est drôle parce que personne ne m’en parle! Pourtant quand je vois mon film, ça me parait évident: Des oiseaux petits et grands, Accattone et Mamma Roma.
FdC: Vous avez une manière très singulière de filmer Paris. Pouvez-vous nous en parler ?
HK: J’ai essayé de filmer Paris autrement que comme un décor mais plutôt comme une capitale européenne qui reflète la turbulence des sentiments humains et de son époque. C’est un Paris sentimental, filmé depuis l’expérience que les personnages en font. Il n’y a aucun plan descriptif de la ville, aucun plan qui dise : tiens, il est telle heure, les personnages sont à tel endroit.
FdC: Pouvez-vous nous parler de votre choix d'utiliser des dialogues très écrits, très littéraires ?
HK: Depuis toujours la littérature et la poésie influencent et enflamment l’idéalisme de la jeunesse. Le caractère littéraire des répliques de Rainer et son côté ultra-romantique n’est pas une vision passéiste, c’est du style, une pose crâneuse, un mode de drague, une arme contre la société. On retrouve ça très fort dans la musique, dans le rock, le punk, le rap aussi. Cette liberté que prennent les chanteurs avec la langue et dans leur manière de chanter, je voulais que mes personnages l’aient aussi.
FdC: La durée du film, courte et inhabituelle, faisait-elle partie explicitement du projet dès l’origine, ou s’est elle imposée au fil de sa réalisation ?
HK: J’ai eu très peu d’argent pour faire ce film ce qui paradoxalement m’a permis de travailler dans une totale liberté et a donné beaucoup d’élan à ma créativité. Quand on n'a pas de compte à rendre, on doute moins et on affirme d’avantage. Peut-être que la durée du film parle de cette liberté que j’ai eue. Ce format de 67 min s’est imposé naturellement, sans calcul, c’était le temps de l’histoire, voilà tout. C’est un peu inhabituel dans l’industrie du cinéma, mais c’est à peu près la durée d’un épisode d’une série. Donc ce n’est pas si déroutant que ça ! J’ai vu récemment deux films magnifiques d’Alan Clarke, Made in Britain et The Firm, qui faisaient respectivement 72 min et 67 min. En cherchant un peu, on découvre qu’il existe beaucoup de films comme ça, Détour de 68 min de Edgar G. Ulmer et The Hitch-Hiker de 70 min d’Ida Lupino...
FdC: D'où vient le titre du film ?
HK: De manière directe ce titre vient de la chanson d’Elli et Jacno, L’Âge Atomique sur l’album Tout va sauter que j’adore. Il arrive à la fin du film comme une épitaphe mystérieuse.
FdC: Le récit semble intemporel, était-ce un choix délibéré ?
HK: La jeunesse est bien plus ancienne que son âge. Comme dans la vie, il y a chez Victor ou Rainer l’écho d’une Histoire - celle du 20ème siècle - qui les traverse (c’est aussi ça le titre L’Âge Atomique) et qui explique pourquoi elle est ce qu’elle est aujourd’hui. Si, de manière un peu schématique, Victor est un garçon de son époque, solaire, Rainer lui a quelque chose de plus tragique, enfermé dans sa pâleur. Il n’est pas sans évoquer une sorte de fantôme du romantisme. J’ai voulu travailler la jeunesse avec ses différentes temporalités, en mêlant ce qu’il y a de contemporain et d’éternel en elle.
FdC: Avez-vous des informations sur la sortie du film en France ?
HK: Pour le moment nous envisageons la sortie du film en double programme, c’est à dire accompagné d’un autre film.
FdC: Quels sont vos projets ?
HK: L’Âge Atomique est le premier film d’une trilogie que je veux faire sur la jeunesse. Le second s’appellera L’Âge Atomique 2 et sera sur le personnage de Théo (qui se bagarre avec Victor), joué par Niels Schneider.
Entretien réalisé le 24 février 2012