Entretien avec Hajime Ohata
Avec Henge (sélectionné à Gérardmer 2013), Hajime Ohata signe une petite bombe qui parvient à évoquer tour à tour Kafka, Tsukamoto, Cronenberg, X-Or et Godzilla. Le tout réalisé avec un budget de 3 yens. Entretien avec un cinéaste japonais à suivre !
FilmDeCulte : Quel a été votre parcours avant la réalisation de Henge ?
Hajime Ohata: J’ai étudié le cinéma à Tokyo, où j’ai réalisé un court métrage intitulé A Big Gun et qui était mon projet de fin d’études. Le film raconte l’histoire d’un homme, propriétaire d’une usine sidérurgique au bord de la banqueroute, qui accepte de fabriquer illégalement des armes pour un yakuza. Il devient peu à peu obsédé à l’idée de fabriquer ces flingues. C’était la toute première fois que je réalisais un film, mais j’ai obtenu un prix en 2009 au Festival du film fantastique de Yubari, ainsi qu’au Festival de Pia, et j’ai eu de bons retours sur ce court. Du coup j’ai pu réaliser un épisode d’une série horrifique intitulée Kaidan Shin-Mimibukuro. Mais comme il était difficile d’avoir l’occasion de réaliser un long métrage, j’ai décidé d’économiser de l’argent, de m’autofinancer, et de faire un film moi-même. Et c’est ainsi que Henge est arrivé.
FDC : Henge n'est vraiment pas un film comme les autres. Comment est-il né ?
HO : Je voulais faire un film sur la mutation, la transformation, et utiliser pour cela du maquillage. J’ai regardé des tonnes de films sur ce thème quand j’étais petit, ça explique certainement pourquoi j’ai voulu faire Henge. Avec un budget aussi minuscule, j’ai voulu voir comment je pouvais me débrouiller avec les maquillages. Tout d’abord, j’ai réfléchi à une histoire centrée sur un couple ordinaire, avec le mari qui se transforme en monstre. Je me disais vaguement que si une telle chose arrivait, l’épouse ne saurait pas quoi faire. J’étais dans le train, et par la fenêtre j’ai aperçu un alignement de buildings. J’ai eu un flash : une scène avec l’épouse qui pleure, contemplant son mari totalement transformé en monstre. C’était très excitant, et cette histoire ordinaire qui m’a servi de point de départ s’est connectée directement à la dernière scène du film.
Pourquoi ai-je voulu raconter cette histoire ? Essentiellement parce qu’elle m’amusait. Je crois que c’est la meilleure façon de faire un film divertissant. Et je pensais aussi que ce film pourrait m’offrir d’autres opportunités.
FDC : Henge m'a évoqué le travail de deux réalisateurs japonais très différents: Shinya Tsukamoto et Hitoshi Matsumoto (en particulier Dai Nipponjin). Était-ce des références pour vous ?
HO : On me dit souvent que le style de mon film rappelle celui des films de Shinya Tsukamoto. Par exemple, The Big Gun comme Bullet Ballet parlent d’un homme et de la façon dont il fétichise les armes. Mais pour être tout à fait honnête, je n’ai pas eu l’occasion de voir beaucoup de films de Tsukamoto. J’aurais dû le voir mais je n’ai pas encore vu Tetsuo. En ce qui concerne Bullet Ballet, je l’ai vu après The Big Gun, quand un ami m’en a parlé. Ce n’est pas que j’évite ses films, mais c’est juste comme ça. Ou peut-être que je les évite inconsciemment pour ne pas me dire « il a déjà fait ça… ». Et je n’ai pas eu l’occasion de voir les films de Hitoshi Matsumoto non plus. Par contre je regardais ses shows télé quand j’étais petit et ils m’ont fait mourir de rire. Peut-être qu’il y a une influence qui me vient de ses émissions comiques !
FDC : Le film est très ambitieux et parvient à être très spectaculaire malgré un budget qu'on imagine restreint. Est-ce que ces limites vous ont, selon vous, poussé à être plus créatif ?
HO : Pour tout vous dire, si j’avais plus de budget, je pense que je pourrais faire des films plus divertissants. Je n’ai pas fait un film à petit budget par goût mais par nécessité. Cela dit, comme nous n’avons pas d’argent, je pense qu’on parviendra à faire des films de façon plus créative en ayant davantage d’idées. Mais j’aimerais, si possible, me dévouer totalement à la mise en scène sans avoir à penser à ça.
FDC : A vos yeux, Henge est-il autant un film de monstre qu'un film d'amour ?
HO : Tout à fait. Mais c’est aussi l’histoire d’un homme sur lequel pèse une mauvaise conscience. C’était la même chose avec The Big Gun. Et j’aime ces personnages. Par exemple, dans le film Black Sunday, le couple de terroristes prépare un massacre mais l’agent anti-terroriste va tout faire pour empêcher cela. Les terroristes échouent. Peut-être que s’ils avaient réussi, j’aurais été bouleversé. J’ai tendance à avoir une certaine empathie pour ces personnages. Ce qui me semble assez universel de la part d’une personne qui serait incapable d’un tel outrage.
Evidemment, personne ne devrait faire ça dans la réalité et je n’ai aucun respect pour des gens capables d’un tel acte. C’est tout à fait différent quand il s’agit d’un film. Dans Henge, quand Yoshiaki se transforme en monstre et fait du mal aux autres, il y a aussi ces scènes où Keiko le regarde de façon extatique. Keiko est tourmentée par la même mauvaise conscience. Et c’est quand Yoshiaki et Keiko lient leur désir et leur mauvaise conscience que le film s’achève. Pour moi, c’est de ça dont parle Henge, en plus d’être une histoire d’amour et un film de monstre.
FDC : Nous avons récemment réalisé un dossier consacré aux nouveaux noms du cinéma japonais contemporain. Quels sont à vos yeux les aspects les plus excitants du cinéma japonais récent ? Quels jeunes réalisateurs admirez-vous ?
HO : Quand des cinéastes japonais se réunissent, on entend souvent des remarques négatives ou pessimistes. « Il est difficile d’obtenir un feu vert pour nos projets », « Il n’y a pas de budget », « On ne peut pas gagner sa vie avec ça », etc. Il y a peu de films au monde à être produits pour si peu (c'est à dire 50.000 yens). Je dois dire que je suis assez curieux de voir quels films japonais vont réussir à être produits dans des conditions si compliquées. Que des réalisateurs puissent en vivre, ça c’est une autre question…
En ces circonstances, j’ai une certain compassion et même un respect envers les réalisateurs japonais de ma génération comme Kiyotaka Taguchi qui a réalisé G et Chohatsu Dai-kaijyu Gehara, Eisuke Naito qui a signé Let’s Make the Teacher Have a Miscarriage Club, Takahiro Ishihara qui a fait Snake of Violence ou encore Yukihiro Kato qui a réalisé Idole is Dead.
FDC : Quels vos projets ?
HO : Après Henge, je travaille sur deux courts métrages. Le premier est une commande, un thriller politique autour de trois filles, c’est un petit budget. L’une des filles tente d'entrer en contact avec la fille du premier ministre pour l’assassiner. Le second court métrage est réalisé en collaboration avec un groupe de rock japonais qui s’appelle Uminote. Influencé par une de leurs chansons, une lycéen commet un massacre. Sa mère prépare une vengeance ciblant les membres du groupe. C’est une relecture tordue du film de vengeance. Je vais également réaliser un long métrage cette année. Je prépare plusieurs projets mais celui dont je peux vous parler est un film à suspense dont le personnage principal est un détective nécrophile.
Entretien réalisé le 26 mars 2013. Un grand merci à Akiko Uchida.