Entretien avec Eduardo Roy Jr

Entretien avec Eduardo Roy Jr

Avec son premier long métrage, Baby Factory, le Philippin Eduardo Roy Jr est l'une des découvertes de cette édition du Festival du film asiatique de Deauville. Nous l'avons rencontré.

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FilmdeCulte: Quel a été votre parcours avant la réalisation de ce premier long-métrage ?

Eduardo Roy Jr: A la base je suis scénariste pour la télévision, j'ai commencé ma carrière en écrivant des soap-operas. Les Philippines ont été largement influencées par la culture espagnole, donc nous sommes tous fans de telenovelas. C'est ce qu'un scénariste peut espérer faire de mieux chez nous ; c'est ce que tout le monde cherche à faire, et moi le premier. Après cela, j'ai postulé auprès de Cinemalaya, qui propose chaque année une bourse de 500 000 pesos pour mener un projet artistique quel qu'il soit. J'ai participé en 2011 et j'ai fait partie des dix finalistes. On a tourné en février de l’an dernier, on a terminé le film en mars. Cela nous a prix six semaines en tout et pour tout.

FdC: Que vous a apporté cette expérience dans les telenovelas ? Cela vous-a-t-il guidé d’une manière ou d’une autre dans l’écriture de Baby Factory ?

ERJ: Si vous regardez bien, c’est plutôt l’inverse ! Le sujet même du film et la manière dont j’ai souhaité le traiter ne sont ni l’un ni l’autre mélodramatiques. Il y a quatre intrigues concomitantes mais il n’y a jamais vraiment de conflit flagrant à l’intérieur de ces histoires. Mon but était justement de raconter l’histoire la plus réaliste possible, une histoire qui pourrait être vraie. C’est pour cela que j’ai choisi de tourner la plupart des séquences en temps réel. J’ai donc complètement mis de coté mon travail de scénariste de télévision. C’est d’ailleurs une promesse que je m’étais faite en m’attelant à ce film. Je voulais qu’il reflète ma vraie personnalité.

FdC: La frontière entre fiction et documentaire est effectivement souvent très floue. Certaines scènes ont l’air d’être saisies à la volée, d’autres sont appréhendées de manière nettement plus classique. Comment avez-vous travaillé ces nuances-là ?

ERJ: Tout a découlé du lieu de tournage. Il est particulièrement difficile de tourner un film dans un hôpital. Notre équipe était bien évidemment dans l’obligation de rester discrète, de ne jamais gêner les opérations. Il était donc impossible d’avoir des éclairages très travaillés, c’est pourquoi nous avons beaucoup répété en amont. Je voulais que le film ressemble le plus possible à un documentaire. Par exemple, pour tourner la toute première scène d’accouchement, nous avons dû attendre trois heures que la naissance se fasse naturellement, car je tenais à filmer cela de la manière la plus réaliste possible. Cette scène mélange donc des actrices amateurs qui « jouent » leur propre rôle (les mères et les infirmières) et une actrice professionnelle (le rôle principal).

FdC: Vu d’ici, on a l’impression que cette manière d’utiliser le langage du documentaire pour enrichir la fiction est quelque chose de récurrent chez beaucoup de cinéastes philippins contemporains : chez vous mais aussi chez Brillante Mendoza, Mark Meily, Jim Libiran… Comment voyez-vous justement ce phénomène ?

ERJ: Nous avons une manière commune de traiter nos histoires parce que nous subissons les mêmes contraintes. C’est épouvantablement difficile de faire un long-métrage aux Philippines et les budgets sont extrêmement limités (de l’ordre de 700 000 pesos par exemple). Tourner une scène avec un éclairage léché et professionnel nous coûterait trop cher. Pour Baby Factory par exemple, nous n’avons utilisé que des éclairages naturels. Je partage bien sûr avec ces réalisateurs l’envie de m’attaquer à des problèmes de société. Nous avons surtout tous le même mentor : Armando Lao, le scénariste de Serbis et Kinatay. C’est lui qui nous a tous appris comment raconter une histoire, comment aborder au mieux certains sujets et comment les mettre en scène. Nous venons tous de la même école, en quelque sorte, et au final, notre travail ne fait que refléter la réalité.

FdC: Diriez-vous, du coup, que ces contraintes de tournage finissent par devenir quelque chose de positif, d’une certaine manière ?

ERJ: Sur ce projet cela m’a beaucoup aidé, c’est évident. Je n’avais pas besoin d’un budget gigantesque pour le mener à bien. La situation aux Philippines c’est un peu l’exact inverse de Hollywood, où les budgets et les opportunités sont illimités. En tant que réalisateur, les contraintes m’ont conduit à beaucoup plus réfléchir, à être plus créatif. Dans les pays du tiers-monde, nous sommes de toute façon plus qu’habitués au système D. Et pas seulement au cinéma.

FdC: Lors de la projection de votre long-métrage ici à Deauville, vous avez dit qu’il s’agit d’un hommage sur les femmes. Iriez-vous jusqu’à dire qu’il s’agit d’un film féministe?

ERJ: Non, c’est un peu trop tiré par les cheveux. Le film parle de maternité, mais n’aborde aucun autre aspect de la vie de ses personnages féminins, on ne voit presque jamais leurs maris par exemple. Je voulais poser la question suivante : comment devient-on mère ? Qu’est ce que ça veut dire que de se sentir prête à être mère ? C’est le cheminement personnel de Sarah, le personnage principal, qui se rend compte qu’elle n’est pas aussi prête qu’elle le pensait. Mais autour d’elle, je montre tout un éventail de mères, avec des cas de figure très différents. Je voulais juste montrer quel genre de femme il faut être pour devenir mère aux Philippines.

FdC: Le film a-t-il été distribué aux Philippines ?

ERJ: Pas vraiment. A cause de son aspect documentaire, Baby Factory est trop éloigné des goûts du grand public. En fait il devait sortir dans un seul cinéma, le 28 février, mais celui-ci avait prévu de le retirer de l’affiche… le jour même ! Je n’en revenais pas. Ils pensaient qu’une seule journée d’exploitation suffirait largement. J’ai préféré faire machine arrière, afin de trouver une meilleure manière de le défendre. La seule projection prévue a donc été annulée. C’était un coup dur, car en tant qu’indépendant nous ne pouvons pas tout assurer seuls. Mais le film trouve son public en festival. Je pense que paradoxalement, il peut avoir un écho à l’échelle internationale, mais pas aux Philippines. C’est une situation dont je m’accommode.

FdC: Mais vos compatriotes ont-ils pu quand même voir le film ? Avez-vous eu des retours ?

ERJ: Oui, et les réactions ont été extrêmes. Certains l’ont beaucoup aimé, mais la plupart l’ont détesté. D’une part parce que c’est un film très cru, qui n’enjolive pas la réalité, et d’autre part parce qu’il n’y a pas d’histoire ou de personnage principal très clairs qui se dégagent immédiatement. Mais je suis ravi que le public international soit plus réceptif, comme à Vancouver, Marrakech, Cleveland ou ici. Aujourd’hui un groupe d’adolescents m’a abordé dans la rue en sortant de leur projection, j’ai eu l’impression d’être une star ! Pour les Philippins c’est très dur de regarder un film tel que le mien, parce qu’il parle de leurs problèmes. Ils ne veulent pas que les mauvais aspects de notre société soient exposés à la face du monde, mais en tant que réalisateur, je crois que nous avons la responsabilité de raconter des histoires authentiques, qu’elles soient vraies ou fausses. Je n’ai pas voulu montrer un point de vue biaisé sur la maternité, mais au contraire raconter la vérité dans toutes ses nuances.

FdC: Vous continuez à travailler pour la télévision ?

ERJ: Oui. Je continue à écrire des telenovelas, dont une qui est actuellement visible aux Philippines. Mais je tiens à continuer à faire également du cinéma, bien qu’il s’agisse de deux mondes très différents. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est intéressant de passer régulièrement de l’un à l’autre. C’est ce que je fais.

FdC: Cela veut dire que vous avez déjà un nouveau projet de long-métrage ?

ERJ: Oui, il est même déjà en pré-production. Après Deauville, je vais aller présenter Baby Factory à Las Palmas puis à Hong Kong, où mon prochain film a obtenu une bourse d’aide au développement. Il s’appelle Igna, c’est le nom du personnage principal, qui est la plus vieille personne du monde. Si mon premier long-métrage se focalisait sur la vie, celui-ci parlera plutôt de la mort. J’irai plus clairement sur le terrain de la fiction, ce sera même une comédie à l’humour noir. C’est un défi que j’ai envie de me lancer. En tout cas j’espère que ça me permettra d’être de retour à Deauville l’an prochain !

Entretien réalisé le 10 mars. Un grand merci à Clément Rébillat

par Gregory Coutaut

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