Entretien avec Dominique Blanc
Comédienne incontournable, Dominique Blanc est également membre du jury de cette 14e édition du Festival du film asiatique de Deauville. Nous l'avons rencontrée.
FilmdeCulte: Cet après-midi même vous avez été aperçue à la Masterclass donnée par Kiyoshi Kurosawa. C’est un cinéaste que vous suivez ?
Dominique Blanc: Non, c’est un cinéaste que je ne connais pas du tout, dont je n’ai vu aucun film. Mais j’aime beaucoup aller aux Masterclass, que ce soit de comédiens ou de metteurs en scène, parce qu’on apprend toujours énormément de choses. De ce point de vue là, ça me passionne.
FdC: Cela vous a donné envie de découvrir ses films ?
DB: J’ai très envie de voir ses deux premiers films érotiques. Tel que le critique des Cahiers du Cinéma en parlait, ça avait l’air très, très beau. Et puis aussi ses films de mafia, sur les gangsters. Moi je suis pas très fantômes, c’est pas tellement mon truc. Mais les polars, ça me tente plus.
FdC: Et en ce qui concerne le cinéma asiatique en général, quel spectatrice êtes-vous ? Y a-t-il des réalisateurs, des pays ou des registres qui vous parlent plus que d’autres ?
DB : Eh bien j’ai de très beau souvenirs. Je ne vais pas citer les noms des réalisateurs parce que je ne veux pas me rendre ridicule, mais vous allez retrouver. Je crois que le premier film que j’ai vu et qui a été un grand choc c’est Dodes'ka-den, ça a été extraordinaire. C’était la première fois que je voyais un film qui venait du pays du soleil levant, comme on dit. Après j’ai vu L’Empire des sens qui a été un véritable choc. C’est un film que j’aime revoir régulièrement. Bon pas tous les ans, mais c’est un film que je trouve vraiment stupéfiant, et dont les metteurs en scène vous parlent énormément dès qu’il y a une scène de nu, une scène d’érotisme. Je trouve que c’est vraiment un film magnifique. J’ai vu pas mal de choses qu’a fait Toshiro Mifune, parce que qu’il a tourné avec Kurosawa, parce qu’il a fait L’Idiot et pas mal de choses qui tournent autour de Dostoievski. Et plus récemment : Gong Li dans Une Femme chinoise. Evidemment In The Mood For Love, Tigre et dragon. J’ai un film culte, que j’adore depuis très longtemps, c’est La Vengeance d’un acteur, c’est génial, j’adore. A Cannes il y a deux ans j’ai vu Poetry, que j’ai aimé énormément. Je trouve que les rôles féminins, dans les films que j’ai cités du moins, sont souvent vraiment exceptionnels
FdC: Justement, en tant que comédienne, percevez-vous des différences de jeu entre les actrices asiatiques des actrices occidentales, ou pas du tout ?
DB : Des différences de jeu (silence)… Bonne question, je ne me la suis jamais posée. Comme ça, vite fait, je vois pas non.
FdC: Demain soir le jury remettra son palmarès, alors pour vous, qu’est ce qui fait un bon « grand prix » ? Y a-t-il des aspects que vous souhaitez privilégier : l’originalité, le propos, l’émotion…?
DB : Comme ça, en restant uniquement dans l’intuition, je dirais que j’ai besoin que le film soit sincère. J’ai besoin qu’il m’apprenne quelque chose. J’ai besoin qu’il ne ressemble à rien de ce que j’ai vu auparavant, et qu’il change quelque chose dans ma manière de voir le cinéma ou de jouer dans le cinéma. Oui, j’ai besoin de ça. L’aspect technique c’est important mais pour moi ce n’est essentiel. L’aspect sentimental pour moi ce n’est pas forcément quelque chose d’intéressant non plus, c’est beaucoup trop subjectif. Il faut se méfier un peu de ses émotions. Je pense qu’au bout d’un moment on doit sentir une personnalité vraie qui s’exprime, je crois que c’est surtout ça qui est intéressant.
FdC: Et est-ce que jusqu’ici la sélection vous a apporté des réponses satisfaisantes ?
DB : Tout à fait. Je ne peux pas dire que j’ai tout aimé, mais je trouve ça passionnant de pouvoir voir par exemple deux films iraniens. Je n’aurais pas pensé que dans les films asiatiques on comptait l’Iran, mais effectivement l’Asie doit commencer au début de l’Iran. Un film des Philippines, je n’en avais jamais vu. Je n’ai pas encore tout vu mais je trouve que la sélection est très bonne. Ce que je trouve très bien aussi c’est qu’il y a beaucoup de premiers films. J’ai adoré en tourner, et j’aime les premiers films parce qu’au-delà de la maladresse et des choses qui peuvent paraître bordéliques, on s’expose terriblement sur un premier film. J’en ai tourné beaucoup et à chaque fois c’est un super souvenir parce qu’il y a une urgence, y a un désir du cinéma qui est tellement fort, et il y a en général un engagement qui est très profond. Le fait qu’il y en ait beaucoup dans cette sélection, c’est quelque chose qui me plait beaucoup.
FdC: Un film qui n’est pas une première œuvre, c’est le nouveau Wang Xiaoshuai, que nous allons découvrir ce soir. C’est un cinéaste que vous aviez déjà primé lorsque vous faisiez partie du jury à Berlin en 2001…
DB : Ah, c’est marrant parce que je pensais que tout le monde allait me poser des questions sur Cannes 1999 ou Berlin 2001, et finalement personne ne l’a fait. Donc je ne dis rien, mais je me demandais si tout le monde avait oublié. Mais oui, c’était Beijing Bicycle, un très, très beau film. C’était aussi un très bon souvenir, ce jury de Berlin, parce que je pense qu’un bon président de jury c’est quelqu’un qui est bien dans ses bottes. Je pense que pour être un bon président il ne fait pas être autoritaire ou manipulateur, il faut surtout être très épanoui dans l’œuvre qu’on fabrique. Qu’on soit comédien ou metteur en scène, c’est essentiel. Il m’est arrivé de connaitre des présidents qui n’étaient pas comme ça, où il y avait de l’aigreur, et là je trouve que ça n’a vraiment aucun intérêt. Mais là je trouve que le casting du jury est excellent. Il n’y a pas assez de femmes, il n’y a pas une vraie parité. On ne m’a pas consultée sinon je m’en serais mêlée. Je trouve ça bien qu’on soit neuf, finalement. Je crois que Gilles Taurand (finalement absent du jury, ndlr) a eu un petit problème. Parce que le nombre impair évidemment c’est bien. On n’est que trois filles, et trois belles filles, mais c’est vrai que ç’aurait été bien qu’il y en ait un peu plus.
FdC: Ca vous aurait plu de faire partie du jury Action Asia ?
DB : Oui, les films d’action j’aime beaucoup ça aussi. Je vis avec un homme qui en est friand. J’aurais bien aimé, c’est un genre que je trouve assez palpitant. En ce qui concerne notre sélection, je trouve aussi que cela a été très bien programmé dans le sens où on a eu le temps de respirer, on s’est vu déjà deux fois. Je pense qu’entre nous il y a beaucoup de confiance, tout le monde se sent libre de parler et c’est très agréable.
FdC: Vous mentionnez Cannez 99, c’est encore quelque chose dont on vous parle souvent, treize ans après (Dominique Blanc faisait partie du jury de David Cronenberg, qui avait fait beaucoup de bruit en récompensant notamment Rosetta et L’Humanité, ndlr) ?
DB: Oh oui ! Les gens sont rancuniers.
FdC: Encore maintenant ?
DB: Ça arrive, oui. C’est drôle hein, c’est vraiment triste. Ca c’est vraiment très mal fini parce que la façon dont ces deux jeunes filles se sont faites huer, c’était extrêmement violent. Et puis ces critiques de cinéma, et encore je ne devrais même pas les appeler comme ça, qui disaient « Mais on est à Cannes, on veut des stars, pas des filles qui sortent de l’usine », c’était vraiment terrible. C’est tellement le cinéma dans tout son artifice. C’était difficile de toute façon. Je pense qu’être juré à Cannes cette année c’était de toute manière extrêmement compliqué.
FdC: Pour terminer, est ce que vous pouvez nous dire deux mots sur votre projet de film sur Alexandra David Neel ?
ERJ: Oui ! Ça va être diffusé le 1er Juin sur Arte. Ça devait sortir en salle mais le producteur et le réalisateur ne sont pas tombés d’accord. C’est bien dommage parce qu’on est allé tourner en Himalaya, à Pondichery, en Inde du Sud, des paysages extraordinaires. Je pense qu’au cinéma ça aurait été magnifique, mais la vanité de deux individus est allée à l’encontre de ce projet. Il y a une projection au Cinéma des Cinéastes à Paris le 25 Mars à 11 heures, puis une autre au Musée Guimet. Voilà c’est très beau, je pense qu’on a été fidèles à l’esprit de cette grande dame. Elle était géniale. Elle a vécu plus de 100 ans : à 101 ans elle a refait faire son passeport mais son cœur l’a lâchée, elle a été obligée de mourir et n’a pas pu voyager davantage. Pour construire ce personnage, au lieu de lire des livres sur elles, qui sont tous plutôt romancés, je me suis beaucoup inspirée de sa correspondance. C’était une aventure magnifique. J’ai beaucoup voyagé l’année dernière parce que j’ai joué La Douleur de Marguerite Duras au Japon et au Vietnam. Et du fait d’avoir été en Asie pour la première fois, ce que nous vivons ici depuis mercredi, je le vis encore plus fort. J’ai été encore plus attentive et encore plus passionnée parce que j’ai aimé énormément ces voyages.
Entretien réalisé le 10 mars. Un grand merci à Elsa Leeb