Entretien avec Diego Quemada-Diez
C'est l'une des révélations de Cannes 2013: Diego Quemada-Diez signe avec Rêves d'or un premier film impressionnant, aux allures de survival, qui suit le parcours de jeunes migrants en Amérique du sud. Après avoir été collaborateur de cinéastes tels que Ken Loach, Alejandro Gonzalez Inarritu, Tony Scott ou Oliver Stone, Quemada-Diez s'est lancé dans le grand bain avec un long métrage qui a fait le tour du monde et a reçu des tonnes de prix. Rêves d'or sort en France ce mercredi 4 décembre. Entretien avec son réalisateur.
Rêves d'or est votre premier film mais auparavant vous avez travaillé auprès de Ken Loach, Alejandro Gonzalez Inarritu, Oliver Stone, Fernando Mereilles ou Tony Scott. Qu'avez-vous appris de ces cinéastes très différents ?
J'ai toujours voulu réaliser mes propres films. Mais je devais aussi gagner ma vie. Travailler dans le cinéma m'a d'abord permis d'apprendre des choses. Pour moi, c'est d'abord un artisanat, et ça n'a rien d'évident. Du coup je voulais apprendre des autres. J'ai débuté tout en bas avant de progresser et de commencer à filmer. Il a fallu que j'apprenne à raconter des histoires à travers des images. J'ai été assistant de Ken Loach, Oliver Stone, puis caméraman de Tony Scott, Spike Lee, Inarritu et Mereilles. J'ai appris quelque chose de chacun d'eux. Mais celui qui m'a le plus appris, c'est Ken Loach. Sur sa façon de tourner dans la continuité, l'impact qu'un tournage chronologique peut avoir sur les acteurs. Il m'a enseigné une certaine humilité, une simplicité dans la mise en scène. Le total opposé de Tony Scott ou Oliver Stone qui ont tendance à porter trop d'attention à la forme, finissent par tourner avec trop de caméras et perdent le fil. J'ai aussi appris sur ce que je ne voulais pas faire. Avec Inarritu par exemple. Je le trouve très talentueux mais il a une tendance au mélodrame, et je ne voulais pas ça. J'ai aussi appris qu'il ne fallait pas tourner avec un scénario trop long. Sur 21 grammes, le scénario faisait pratiquement 400 pages ! Pour Rêves d'or, mon scénario faisait 50 pages. Pour moi il est mieux d'avoir un scénario concis qu'on va enrichir par la suite, plutôt qu'un long scénario qui va s'éparpiller. Sur un tournage, il y a toujours du neuf à utiliser. D'ailleurs on finit toujours par laisser des choses de côté. Spike Lee m'a impressionné par la confiance qu'il a en lui. Il est très bon avec les acteurs et il tourne très vite. Parfois 4 ou 5 pages par jour, en 8 heures !
Est-ce que l'un d'eux a vu votre film ? Qu'en ont-ils pensé ?
Oh oui ! Ken Loach l'a vu à Londres au BFI et j'étais assez nerveux car je sais qu'il peut être dur. Et il a beaucoup aimé le film. Il m'a félicité ! J'étais très heureux. Inarritu l'a vu à Los Angeles et a beaucoup aimé également. Il m'a dit qu'il était important que le public voie ce film, surtout aux États-Unis par rapport au sujet.
Quel a été le point de départ de Rêves d'or ?
En fait je faisais un doc à Mexico et je suis devenu ami avec un conducteur de taxi. Il m'a proposé de vivre chez lui, avec sa famille. Ils vivent près d'un chemin de fer. Et tous les jours je voyais ce train qui arrivait avec beaucoup d'immigrés, à la recherche d'argent. C'était le point de départ. J'ai commencé à parler avec eux, de leur histoire. J'ai d'abord voulu faire un doc, puis un docu-fiction, et le temps est passé et j'ai décidé de faire une fiction qui se servirait de ces histoires. Insérer mes acteurs avec des vrais gens des alentours, des villages, au Guatemala, dans les usines etc. L'idée était aussi de documenter sur la réalité telle qu'elle est. Et tourner en continuité, pour que les personnages vivent une expérience plus qu'ils ne la jouent. On a débuté au Guatemala, puis le Mexique et les États-Unis. L'avantage de la fiction est que l'on peut créer une structure dramatique et créer une émotion, construire un personnage. J'ai tiré tous les détails de la réalité. Quand j'étais petit, j'adorais jouer aux Lego. Je construisais des choses sorties de mon imagination à partir de différentes petites pièces. Toutes les pièces du film viennent de la réalité. La fille qui coupe ses cheveux, le gamin et ses bottes, j'ai combiné de nombreux éléments à partir d'histoires réelles. Et il fallait faire des choix. Puis tout prend place et le film parle. Il faut alors laisser son ego de côté, faire en sorte qu'on ne pense pas à l'auteur derrière. C'est une chose que l'on voyait davantage dans le cinéma classique, où la poésie s'exprime par les personnages. Ma fonction, c'était de raconter l'histoire de ces migrants. C'est eux qui importe et moi je devais rester caché. Je suis très heureux que tout le monde aime les gosses du film et leur histoire. C'est eux l'essentiel.
Dans votre film, il faut attendre 10 minutes avant qu'un premier dialogue soit prononcé. 30 minutes avant l'apparition d'une musique. Pouvez-vous nous parler de ce choix de l’économie dans votre processus narratif ?
Dans le scénario, il y a toujours plus de dialogues qu'on n'en a besoin. On en a enlevé beaucoup aux répétitions, on les changeait sur le tournage. On en a enlevé aussi au montage. J'aime beaucoup comment Kaurismaki raconte ses histoires avec une économie de dialogues, en se servant beaucoup des images, comme dans un film muet d'une certaine façon. S'il y a un dialogue, il ne doit pas exprimer littéralement ce qui se passe. Il faut essayer de raconter l'histoire visuellement. En ce qui concerne la musique, c'est très difficile de l'employer. Je voulais en utiliser, mais un peu. Je voulais donner une tonalité poétique au film, un certain lyrisme. Avec ces images qui se répètent, comme des rimes, sans qu'on ne sache d'où ça vient. Comme dans la scène sur la plage, dans Le Septième continent d'Haneke. Je voulais créer un sentiment proche de celui-là, abstrait. Cette beauté, cette poésie étaient nécessaires, sinon le film aurait été trop dur à regarder. Je voulais créer un contraste par la musique mais continuer à raconter l’histoire du point de vue des gosses. C’était l’acte politique du film, donner la parole à ceux qui habituellement ne l’ont pas.
Votre film a une approche réaliste mais ressemble en même temps à un survival. En quoi le cinéma de genre a-t-il pu vous servir d’influence pour la tension de Rêves d'or ?
C’est un voyage avec des obstacles. Et à travers ces obstacles, les personnages apprennent des choses. Je réfléchissais à un personnage antagoniste. Et au final cet antagoniste a différents visages dans Rêves d’or. Que j’essayais de considérer comme un personnage unique : une force qui se lève contre la volonté des personnages. C’est du storytelling tout à fait basique. Des personnages veulent aller quelque part, il y a des obstacles, et de cette bataille ils apprennent quelque chose.
Quel a été le challenge le plus difficile à relever pour ce premier film ?
C’était très compliqué pour un premier film. J’avais plus 120 lieux de tournage, dans 3 pays différents, 300 figurants, des acteurs non professionnels etc. Pas facile donc. On avait un budget de 2.5 millions de dollars et beaucoup de pression. La pression du temps, de l’argent. Je tenais vraiment à respecter le planning et le budget. Ce qu’on a réussi. Et pour moi, ça fait partie du travail. Je devais être capable de tourner ce qui était écrit, et d’improviser avec les situations qui se présentaient en même temps. On a tourné 6 semaines et demi. C’était très chaud. On avait vraiment besoin de 8 ou 9 semaines. Parce qu’on passait du temps à voyager, à dormir ici ou là. Mais c’est la seule façon dont ce film pouvait être fait. Il faut avoir conscience de ces limites quand on crée. La plus grosse bagarre, au-delà du projet lui-même que tout le monde trouvait fou, ça a été de faire accepter qu’on devait tourner chronologiquement, dans la continuité, et faire ce voyage comme les migrants. Ce qui est totalement à l’opposé des standards de l’industrie. « Pourquoi tourner au Guatemala alors qu’on peut tourner dans la banlieue de Mexico qui ressemble à ce que tu cherches ? ». Non. Ce n’est pas le concept, l’idée est de faire le voyage. Et ça change tout.
Mais l’argent est au centre de beaucoup de préoccupations. Il a fallu que j’impose ma vision. La force du film vient de là, l’essence du projet filmé comme un voyage, en continuité, avec des acteurs non-professionnels, dans les vrais trains qu’ils empruntent etc. Je ne pouvais pas faire de compromis avec ça. Alors j’ai eu 5 jours en train au lieu de 10, 6 semaines de tournage au lieu de 9. Mais sur l’essence du film, il n’y a pas eu de compromis. « Pourquoi ne tournes-tu pas la scène de l’abattoir au Mexique ? Pas besoin d’aller aux États-Unis ». Mais bien sûr que si ! Cette scène n’aurait pas de puissance sans ça. C’était l’esprit du film. « Pourquoi cette scène de neige ? » m’a-t-on demandé (parce qu’il a fallu attendre des mois pour la neige). « Pourquoi ne pas simplement filmer les murs de l’usine ? ». Non. Cette scène a un sens, c’est une métaphore. L’usine, ce n’est pas la fin. Mais au final je suis très heureux car le film est très proche de ce que j'espérais.
Comment avez-vous abordé l'esthétique de votre film ? Comment avez-vous collaboré avec votre directrice de la photographie, Maria Secco ?
Le réalisateur doit raconter l’histoire visuellement. C’est sa tache. Et je voulais travailler avec Maria, après proposition de mes producteurs. Je l’ai rencontrée, on s’est très bien entendus, j’ai beaucoup aimé l’un des films sur lesquels elle a travaillé. Avec du style, une simplicité et de l’humanité. Elle a fait des documentaires et a travaillé au Guatemala. Et elle fait la même taille que mes acteurs ! (rires) Je voulais que la caméra soit à la hauteur du regard de mes acteurs. Quand je l’ai rencontrée, elle était très décontractée, tout à fait capable de s’adapter à moi. D’autant que je viens de ce milieu, j’ai été directeur de la photographie. Et visuellement j’avais beaucoup de références. Je suis un réalisateur très « visuel », je ne suis pas ce genre de réalisateurs qui donnent toute la responsabilité au chef opérateur. Je suis très impliqué là-dedans. Elle a été super, elle était ok pour s’adapter à la lumière sans vouloir rendre les choses jolies à tout prix. En ce qui concerne les influences visuelles, on s’est servi de beaucoup de photographies, on s’est souvenu de La Bataille d’Alger (de Gillo Pontecorvo, 1966, ndrl), In this World (de Michael Winterbottom, 2002, ndlr). On a regardé Kes, un film très important dans la filmographie de Ken Loach, ou les premiers films de Bahman Ghobadi.
Votre film a fait le tour du monde. Avez-vous noté des différences dans la façon dont le propos politique a été reçu ?
J'ai remarqué que les réactions de par le monde étaient souvent reliées précisément aux questions posées par l'immigration, par les frontières, dans les pays où nous montrions le film. Entre les deux Corées, entre la Chine et la Mongolie, aux États-Unis. Où l'on m'a demandé: « mais ces gens ne sont-ils pas heureux chez nous ? »
Entretien réalisé le 18 novembre 2013. Un grand merci à Pascal Launay.
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