Entretien avec Damien Manivel
C'est l'un des premiers petits bijoux de l'année: Le Parc du jeune Français Damien Manivel raconte, un été, l'histoire de deux adolescents qui ont leur premier rendez-vous dans un parc. Cette balade magique et audacieuse est portée par un riche imaginaire. Le Parc sort en salles ce mercredi 4 janvier. Nous avons rencontré son réalisateur...
Tu as tourné Le Parc sans scénario pré-écrit, c'est bien cela ?
Je n'ai pas de texte écrit à la façon d'un scénario. Mais c'est un film très écrit. J'arrive avec un dispositif en tête, des images auxquelles je tiens et avec ma co-scénariste Isabel Pagliai, on fait des propositions écrites au jour le jour. Le récit trouve sa forme au tournage. Je suis à l'aise avec cette manière de fonctionner même s'il y a bien sûr une angoisse et une adrénaline fortes quand on tourne.
Que savent les comédiens du film au tout début du tournage? Qu'est ce que tu leur dis ?
Ils ne savent presque rien. Je leur ai expliqué qu'il s'agissait d'une histoire d'amour, et que ça commençait par un rendez-vous dans un parc. Je leur dis "faites moi confiance, je ne sais pas où on va mais on va quelque part". Ils ont été super, ils m'ont fait confiance. A ce stade là, je n'en savais d'ailleurs pas beaucoup plus mais j'avais une confiance en eux, en l'équipe... Mon point de départ était que l'histoire devait se dérouler durant une journée et une nuit. Je connaissais également le récit dans sa grande ligne, à savoir une histoire d'amour, du premier flirt jusqu'à la traversée du chagrin, le deuil. Et bien sûr, nous avions prévu l'entrée d'un troisième personnage en milieu de tournage, à savoir le gardien du parc.
En revanche, il y a eu beaucoup de travail de repérages, si bien que la topographie du film était très claire. C'est une étape fondamentale. Je savais qu'après avoir tourné près de la butte, on irait dans le sous-bois, etc... Donc, c'est comme si les déplacements des personnages étaient fixés d'avance et dans un second temps l'histoire s'y développe. La structure du récit est donc avant tout topographique.
C'est une manière de faire qui laisse beaucoup de place a l’imprévu, et pourtant à l’intérieur de chaque scène, on a l'impression que tout est précis.
Oui, c'est cet équilibre que j'essaie de trouver.
A la fin du tournage, tu as une idée définitive de ce à quoi le film va ressembler, ou bien est ce que le montage et le derushage sont des étapes importantes de ta méthode?
Disons qu'à la fin du tournage, on a le déroulé du film... mais au montage il y a beaucoup d'allers-retours pour retrouver le cœur du film, son point de départ. En plus, je fais souvent des films qui se déroulent sur un temps très resserré. Donc, je suis contraint par mon dispositif: je ne peux pas déplacer des scènes d'une partie du film à une autre. Cela dit, il reste énormément de questionnements pendant le montage. Au moment du tournage, la première partie a beaucoup changé, par exemple. Elle était tantôt sombre, tantôt naïve, parce que je trouvais intéressant de laisser pressentir le dénouement. Mais ça ne marchait pas, on n'arrivait pas à s'identifier à eux, on ne croyait pas à cette relation. Et puis, un jour avec William Laboury, le monteur, on a décidé d'enlever tout ce qu'il pouvait y avoir de sombre, tout ce qui faisait planer une ombre sur cette première partie. On a uniquement gardé la naïveté, le romantisme, le désir et ça a été un déclic, c'est comme ça qu'on a trouvé le film. Quand on fait un film, on a facilement tendance à vouloir compliquer les choses, en fait l'histoire demande une grande clarté, une simplicité.
Le Parc a beau être réaliste et bucolique, il y a dès le début du film une sorte d'inquiétante étrangeté, comme si on pressentait que tout pouvait soudain avoir lieu dans ce jardin. Comment est-ce que tu travailles cet équilibre-là ?
Rester réaliste tout en étant à la lisière de quelque chose d'abstrait, c'est ce que j'essaie de faire depuis que j'ai commencé la fiction et que j'ai toujours très envie de développer. Dans Le Parc, la deuxième partie du film rejoint un fantastique qui obéit davantage à des codes. Je suis content d'avoir suivi cette piste qui nous a été dictée par le récit. Mais dans mes prochains films, je travaillerai davantage sur une base réaliste... ce moment où le réel décolle très légèrement. La première partie du film est comme ça. Je dis souvent qu’elle est rêvée, comme on dit d'une histoire qu'elle a été rêvée.
Je trouve qu'une partie de cette étrangeté provient du travail de composition. Les personnages sont souvent isolés, écrasés par la nature qui les entoure. Comme si l'image laissait plus de place à la nature et à l'invisible qu'aux acteurs eux-mêmes. Cela m'a par moments fait penser au tableau The Badminton Game de David Inshaw.
Ça me parle... La composition est une étape très importante, mais il n'y a pas de règles, pas de méthode. Il y a des plans qui sont méticuleusement agencés, et dont je connais parfaitement la composition par avance et d'autres où les personnages bougent et nous nous arrangeons pour que la caméra attrape cette action. On est alors quasiment dans une approche qu'on pourrait qualifier de documentaire.
Comment est née la scène du texto ?
Je n'aime pas trop dire "action", "moteur", tout ça... On est une petit équipe et on ne le fait quasiment pas. Ce que j'aime, c'est sentir que je suis en répétition, comme au théâtre. Donc j'ai dit à Naomie "écoute, on va faire une répétition, c'est juste un échange de texto, la caméra est là". On fait la scène à deux, je lui expliquais ce qu'elle était supposée écrire sur son téléphone, ce qu'elle recevait en retour... on a improvisé sur le moment. Ca m'arrive rarement, j'avais l’impression d'être dans le film. Naomie était super. Après, elle m'a demandé ce que ça donnait. Je lui ai dit que j'étais content mais que c'était juste une répétition, que j'allais me baser dessus pour écrire la version définitive qu'on tournerait le lendemain. Isabel a demandé à voir les rushes le soir, et là: silence pendant douze minutes. On s'est dit "c'est incroyable, c'est un cadeau, on ne la retourne pas demain, on n'arrivera jamais à obtenir la même chose", et c'est devenu la scène pivot du film.
Tourner dans un lieu unique, ou presque, c'est davantage de contraintes ou de liberté ?
Pour moi c'est clairement une liberté. C'est plus qu'une liberté d'ailleurs, c'est extrêmement stimulant. Nous avons construit le parc du film en nous basant sur cinq parcs différents. Nous troquons le travail de scenario contre ce travail topographique, les lieux nous racontent déjà une histoire. Ça fait partie des choses que je préfère dans ce métier.
L'imprévisibilité, c'est aussi quelque chose que tu recherches en tant que spectateur ?
Ah oui, j'aime clairement être surpris. J'aime être troublé, déplacé... Mes souvenirs de cinéma les plus fort sont liés à des films qui produisent ce genre d'effet. Il y a des films que j'adore sur le moment et que j'oublie vite, d'autres films qui me surprennent ou me laissent perplexes et qui finalement me touchent très fortement. Kiarostami parlait beaucoup des "films incomplets", qui continuent à évoluer chez le spectateur après la projection. C'est une idée que je trouve passionnante.
Entretien réalisé le 24 novembre 2016. Un grand merci à Karine Durance.