Entretien avec Coralie Fargeat
C'est l'un des buzz horrifiques de ces derniers mois et il figure cette semaine en compétition au Festival de Gérardmer. La Française Coralie Fargeat signe avec Revenge un thriller horrifique saignant et jubilatoire qui détourne les attentes mâles du genre. Le film sort le 7 février en France. Nous avons rencontré sa réalisatrice...
Tu as remporté le prix Audi en 2013 avec ton court-métrage Reality +. A l’époque est-ce que tu avais déjà en tête le projet Revenge ?
J’avais l’idée d’un personnage de femme assez sexy qu’on allait enfermer dans une case et qui allait se libérer, se transformer, mais ça n’allait pas plus loin que ça. J’ai vraiment commencé à travailler sur le projet dès que j’ai fini Reality + parce que je voulais enchaîner rapidement sur mon premier long.
Tu as commencé à écrire ou bien tu es partie d’abord chercher des producteurs ?
J’ai commencé à écrire. Je savais qu’en France, un film de genre c’est compliqué. Le succès du court métrage m’a donné accès à des producteurs et j’ai pu tester mon pitch. Malgré que ce soit un film de genre inhabituel pour la France, quelque chose résonnait. Par contre, je voulais absolument pouvoir écrire longtemps dans mon coin sans être engagée avec un producteur afin de pouvoir trouver moi-même le film que je voulais. « Ça vous plaît, ça vous plaît pas », mais au moins y a pas de development hell possible.
Tu as donc signé avec M.E.S. Productions et Monkey Pack Films. A partir de là, comment s’est passé le financement ?
On a réfléchi tout de suite à la langue du film. Français ? Anglais ? Au final c’était très important pour moi de garder l’ancrage français du projet, cette identité. En même temps, le projet avait un vrai ADN anglo-saxon. Et on s’est rendu compte que c’est le mélange des langues qui allait permettre de rassembler le budget. On reste un film majoritaire français ce qui nous donne accès aux aides, les SOFICAS, le crédit d’impôt, Canal Plus, tout en ayant des ventes internationales boostées parce que l’anglais apporte une vraie valeur ajoutée.
Tu as dû faire attention au pourcentage de langue française dans le film ?
J’ai rien réécrit pour ça. J’ai fait du casting en France, à l’étranger, aux États-Unis, et mes acteurs bilingues permettaient de garder 50% de langue française de manière fluide et organique au projet.
Le titre est venu tout de suite ?
Dès le début.
Quels étaient les avantages et les inconvénients d’être une femme à porter le projet ?
Les avantages : sur la proposition de départ ça donnait une vraie singularité au projet, surtout ici où le genre reste mal aimé. On n’a pas l’habitude que ce genre de film soit porté par une femme. Après, il faut pas se mentir, quand il s’agit de mettre de la thune, c’est pas la cause féministe qui rallie les gens. On n’en a un peu rien à foutre. Mais les partenaires ont senti mon énergie, mon envie. J’étais… en fait j’étais comme Jen dans le film ! (rires) J’avais envie de faire ce film rapidement, je savais que j’étais à ma place, j’étais sans peur, et je pense que ça a joué aussi. En ce qui concerne les inconvénients à être une meuf, il n’y en a pas eu, si ce n’est ceux qui sont dans la vie en général. (rires)
Est-ce que dans le scénario, le pays où se passe le film était nommé ? Ou est-ce que le mystère « universel » était déjà présent à l’écriture ?
Il n’était pas nommé, c’était juste une zone de canyons désertique et isolée. J’avais envie qu’on ne sache pas spécialement où ça se passe pour avoir une résonance universelle. Et j’aimais bien que ça créé un univers qui existe sans exister complètement de manière réaliste. Que le décor ait une grosse dose visuelle, symbolique, fantasmagorique. Tout ce que le réalisme pur ne permet pas.
Quelque chose qui m’a beaucoup plu dans le film, c’est que, la veille du viol, Jen chauffe les mecs. Ça créé un trouble et ça peut laisser certains spectateurs se dire « Elle l’a bien cherché ». Comment est arrivé ce parti-pris ?
C’était complètement volontaire. Je voulais un personnage totalement Lolita, sexy, qui créé son identité autour de ça, pour effectivement être assez claire sur le fait que ça ne devrait jamais être une excuse pour ce qui se passe ensuite. Réussir à inverser le réflexe « Bah effectivement elle l’a bien cherché, elle l’a chauffé ». Que ce personnage ait le droit d’exister en tant que tel sans être puni.
Il y a une autre direction dans laquelle tu vas, c’est celle de l’humour. Quelle part de cet humour était là sur le papier et quelle part est venue au tournage ?
Quasiment tout était à l’écriture. Ce qui me plaît dans le genre c’est aller du côté de l’outrance et un côté un peu fou et décomplexé comme peuvent le faire les Sud-coréens, à la fois hyper trash, hyper fou, hyper baroque et hyper drôle en même temps. Je trouve cet excès jubilatoire et cathartique. J’avais aucune envie d’aller vers le torture porn, le gore, le malsain. Je voulais transformer ça de manière autre. Trouver une touche plus « pulp ». J’aime le genre parce que ça me permet de ne pas être timide.
Quand tu réalises, comment ça se passe concrètement ? As-tu des rituels ? Bref, comment tu travailles ?
Je prépare beaucoup. Dès l’écriture je pense à la mise en scène, à l’univers sonore. J’ai en tête ce que je veux faire, comment, sur quel rythme. Sur le tournage, mon plaisir de réalisatrice c’est d’incarner mon obsession, amener toute l’équipe à incarner concrètement le truc comme je l’imagine. Après, il y a forcément des imprévus donc il faut savoir changer son fusil d’épaule rapidement.
Tu pars plutôt de tes axes ?
J’ai mon découpage en tête, et surtout je pense à la scène montée. C’est ça qui guide. Je n’arrête pas de dire « Les raccords je m’en fous » car je sais quels raccords sont importants et lesquels je ne vais pas utiliser. C’est faire comprendre à l’équipe qu’il y a des choses dont je me tape et c’est pas grave. Sur des deuxième ou troisième films c’est plus simple, mais sur le premier il faut vraiment faire passer comment tu fonctionnes. Dans la scène du couloir ensanglanté par exemple, on glissait de partout, il y avait juste le chef op, les deux comédiens et moi, personne ne savait exactement ce qu’on faisait, donc je téléguidais tout le monde : « Là, il faut me faire confiance. »
Quel était le budget, et tu as eu combien de jours de tournage ?
On a eu 2.2M€ et on a eu 32 jours de tournage.
La bande-annonce en montre beaucoup. Tu as été impliquée ?
La question s’est posée de ce qu’il fallait montrer ou pas. Je sais qu’en tant que spectatrice, ça m’énerve aussi quand on en montre trop. Après, le vrai intérêt du film c’est pas tant son histoire, on sait assez vite ce qui va se passer, la trame narrative est assez linéaire et pas spécialement novatrice. L’essentiel est surtout dans la manière dont elle est racontée, l’esthétique, la spécificité de la mise en scène. On a donc essayé de faire une bande-annonce qui envoyait, qui déboîtait bien et qui surtout donnait envie aux gens de venir, quitte à montrer un peu beaucoup. C’est toujours des arbitrages. C’est mon premier film, j’ai pas de stars… Je pense que c’était le bon choix au final.
Tu as pas mal voyagé avec le film, peux-tu nous dire comment il est perçu à l’étranger ?
Ça dépend. On voit à quel point certains pays ont plus de facilités à s’affranchir du réalisme, à rentrer dans un univers symbolique, fantasmagorique : les Américains acceptent ces codes là et plongent dedans avec plaisir. Et en ce moment ils sont très sensibles à la thématique du film, qui fait vraiment réagir. Les Européens sont plus mélangés sur le réalisme, certains publics passent ce cap du réalisme avec plus de mal, ou du moins sont surpris, surtout quand on pense « cinéma français ». Après, le fait que je sois une réalisatrice dans cet univers-là ça créé de l’attention sur le film.
Tu as dû être pas mal contactée depuis que le film a commencé à tourner en festivals. As-tu constaté des différences entre les approches des producteurs américains et français ?
Le film commence tout juste à démarrer ici en France donc c’est encore tôt pour juger la réaction des professionnels, même si ça a déjà suscité de la curiosité. Mais c’est vrai que les États-Unis ont ce côté pionnier, où on va chercher les gens avant même qu’ils réussissent, quand on sent qu’il y a un potentiel. Dès que t’est annoncé dans le moindre festival, tu reçois quinze mails de producteurs, d’agents. Nous, on est plutôt dans une tradition où on vient un peu plus tard, une fois que les choses se sont déjà un peu concrétisées. Mais ce qui est génial c’est qu’il y a de plus en plus de possibilités de produire à l’international : produire en France à l’échelle européenne, avec du cast anglo-saxon… C’est super car ça permet de s’affranchir des habitudes françaises. Ça ouvre le champ des possibles.
Entretien réalisé 15 janvier 2018.