Cannes 2014: Entretien avec Charles Tesson
Délégué Général de la Semaine de la Critique, Charles Tesson nous présente en détails son éclectique et alléchante sélection 2014, reprise du 4 au 9 juin à la Cinémathèque Française à Paris.
Quel bilan tirez-vous des précédentes éditions de la Semaine de la Critique dont vous avez été le délégué général ? Quelle est votre ambition pour cette nouvelle édition ?
Étant confucéen de nature, je vous répondrai en usant d’un mot cher à Confucius : apprendre. On a toujours à apprendre, ce qui motive, permet de rester toujours exigeant, d’être en permanence en éveil. En l’occurrence, lorsqu’on vient de la critique, il s’agit notamment d’apprendre à programmer et à composer une sélection. Lorsqu’on se retrouve devant plusieurs films à qualités égales, pourquoi montrer celui-ci plutôt qu’un autre, et pour quelles raisons ? Qu’est-ce que le film peut apporter à la Semaine, et surtout, qu’est ce que nous pouvons lui apporter en le sélectionnant ?
L’ambition pour cette édition ? Parvenir à un équilibre tout en allant dans la diversité, avec des propositions de cinéma différentes, mais qui dialoguent entre elles, se complètent. Une sélection fonctionne lorsqu’elle orchestre des correspondances entre les films qui nous ont échappées.
Vous avez évoqué, au sujet de The Tribe, une "sensation de cinéma incomparable". Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Pour la première fois, le spectateur se trouve confronté à un groupe de personnages dans un pensionnat pour sourds-muets, qui parlent le langage des signes, que nous ne comprenons pas, car le film ne sous-titre pas ce qu’ils se disent. Ce choix du réalisateur, qui peut surprendre de prime abord, car il nous prive de toute compréhension verbale, alors qu’il se parlent beaucoup, instaure une relation autre. Le spectateur, en observant la gestuelle des mains et les expressions des visages, tente de décrypter, non ce qu’ils se disent, mais la nature de leur relation, relation de pouvoir ou d’autorité, quand l’un commande et l’autre obéit, relation de rébellion, quand l’un conteste ou s’oppose à l’autre, relation amoureuse aussi, etc. Le spectateur se transforme en détective des faits et gestes pour comprendre le récit, tout en étant plongé au cœur de ce qui fonde une relation humaine. C’est tout simplement magnifique, grâce au sens de la mise en scène, qui nous met au cœur de cette aventure singulière.
Dans votre compétition dont le nombre de films est plutôt réduit, on trouve deux films fantastiques, un genre généralement peu représenté à Cannes. Ces deux films, When Animals Dream et It Follows ont l'air, de plus, très différents. Pouvez-vous nous parler de ces deux longs métrages ?
La Semaine propose en effet une compétition avec un nombre de films en adéquation avec une semaine, en durée et en nombre : 7 films, en 7 jours. Deux films fantastiques bien différents, oui. Le Danois, When Animals Dream, tout de rigueur protestante, au sens religieux et littéral aussi (protester), est un film fantastique pour le moins original. La forme qu’il prend, avec cette histoire de femme qui se métamorphose en loup-garou, est inséparable du récit et de son propos : quand la communauté des hommes se tient mal, l’héroïne, lassée de subir, a une réaction pour le moins épidermique. Dreyer a filmé des femmes victimes, accusées de sorcellerie (Dies Irae), juste coupables d’avoir aimé un homme, mais les temps ont changé et elles ne se laissent plus faire.
It Follows de David Robert Mitchell, dont la Semaine avait montré en 2010 The Myth of the American Sleepover, est à la fois plus familier tout en restant singulier au regard du genre dans le contexte du cinéma américain de genre. Le film ne s’impose pas de défis, en termes de savoir faire. Il n’a rien à prouver, il respire juste à son rythme, à l’élégance subtile. Il ne cherche pas à instaurer un jeu de cache-cache avec le spectateur sur le plan de la peur, ce rapport ludique ne l’intéressant pas. Il s’agit d’un film d’atmosphère, une histoire de transformation intérieure, quand l’héroïne, à l’issue d’un rapport sexuel, a des visions, des images qui la hantent, la poursuivent. Si tout film fantastique est une métaphore du cinéma, celui-ci l’est de manière limpide et mémorable.
Comment avez-vous choisi la présidente du jury, Andrea Arnold ?
Nous avions pensé à elle il y a deux ans. Pour une raison simple, parce qu’elle avait présenté son 1er film court à la Semaine, Milk, en 1998. Elle n’avait pas pu donner suite à cette invitation, car Thierry Frémaux a eu aussi la bonne idée de lui proposer d’être dans le jury de la compétition officielle, après avoir pris en compétition deux de ses films, couronnés de succès. Elle a pu accepter notre invitation cette année et nous en sommes ravis.
L'affiche 2014 reprend une illustration des Rencontres d'après minuit et il s'agit à nouveau d'un jeune cinéaste français après les affiches de Augustine ou de My Little Princess. Comment s'est effectué le choix du Yann Gonzalez pour ce poster, qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
On ne choisit pas un film en particulier pour élaborer une affiche car tous les films de l’année précédente sont éligibles. L’alchimie opère lorsqu’une image évoque quelque chose du film tout en disant quelque chose de la Semaine. Cette année, avec Kate Moran, l’égérie de Yann Gonzalez, l’idée de souffle et d’élan, d’aventure et de voyage, dans sa dimension festive, onirique, magique aussi, avec ce mélange de charnel et d’irréel. Ce qui définit assez bien, il me semble, les pouvoirs du cinéma.
Avez-vous eu l'occasion de voir des films qui vous ont plu et qui sont finalement allés dans d'autres sections du festival ?
Il est heureux, voire rassurant, que des films considérés par la Semaine le soient aussi par les autres sections, l’officielle, un Certain Regard et la Quinzaine des réalisateurs. Il est tout aussi souhaitable que certains films, que nos considérons très hauts, ne le soient pas par les autres sections, ce solitude de goût n’étant ni un frein ni un accélérateur pour sélectionner un film. Par conséquent, chaque responsable de section pourra vous dire que des films, considérés par eux, sont allés ailleurs, non par ce qu’il y a entente et répartition, mais parce que la frontière, mince, entre aimer un film et l’inviter, fait le plus souvent la différence. Et puis, quand on commence à construire une programmation, sitôt les premiers invités, les autres s’imposent d’eux-mêmes, compte tenu du visage ou du tableau qu’on souhaite composer. L’essentiel, au final, dans la mesure du possible, est que les films trouvent leur place au sein de Cannes. Donc, au final, la répartition, compte tenu de la personnalité de chaque section, se fait de façon harmonieuse.
Entretien réalisé le 12 mai 2014. Un grand merci à Dany de Seille.
Semaine de la Critique: la sélection
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