Entretien avec Carles Torrens
Grâce à l'excellent Emergo, l'Espagnol Carles Torrens est l'un des buzz de ces derniers mois. Ce premier long métrage qui raconte une histoire de maison hantée a été présenté au Festival de Gérardmer. Interview d'un réalisateur prometteur.
FilmdeCulte: Quel a été votre parcours avant la réalisation d'Emergo ?
Carles Torrens: Je suis né à Barcelone dans les années 80, et comme plein de gosses de ma génération qui ont eu des parents indulgents et qui se sont intéressés au cinéma, j’ai grandi avec Tarantino, les frères Coen, Kevin Smith et Robert Rodriguez. Je me rappelle que j’imitais mes idoles avec quelques amis, grâce à la caméra de mon père, c’est le genre de souvenirs que je partage probablement avec des milliers de personnes de mon âge travaillant dans cette industrie. Au moment où je suis parti à Los Angeles pour aller dans une école, j’étais déjà un énorme fan de cinéma. J’y ai réalisé quelques courts métrages qui ont plutôt bien tourné en festivals, puis après mon diplôme j’ai travaillé sur quelques projets à petits budgets pour la télé. On peut dire qu’Emergo est mon premier « vrai » film.
FdC: Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Rodrigo Cortes ?
CT: Je suis un grand fan des films de Rodrigo, alors travailler avec lui était à la fois un honneur et une expérience très enrichissante. C’est un producteur très impliqué, et il était toujours là quand j’avais besoin de lui. De la même manière, son apport dans la salle de montage était très précieux, il m’a beaucoup appris sur l’importance du timing pour renforcer le suspense.
FdC: La mise en scène d'Emergo exploite différents supports (caméra à l'épaule, caméras accrochées à la tête des personnages, caméras surveillance). Comment l'avez-vous pensée et conçue ?
CT: L’idée, pour Emergo, c’était de prendre une histoire de fantômes assez classique, avec des situations qui soient déjà familières pour le public, et de traiter tout ça avec une approche narrative différente. Contrairement à la majorité des found footages, dont le tournage se fait sur des ébauches de scénario d’une vingtaine pages avant d’improviser le reste, j’avais un scénario cadenassé qui aurait pu en fait être tourné comme un film « normal ». Et en effet, si on avait filmé Emergo « normalement », avec une grue ou une steady-cam, cela aurait quand même fonctionné.
Du coup, le défi était de remplacer ce système traditionnel par un langage filmique expérimental qui soit aussi efficace pour transmettre de la tension et des émotions. C’est pourquoi chaque mouvement de caméra, chaque texture, chaque angle et panoramique dans les moments de caméra portée, servent un but narratif. C’est pour coller à chaque pic de tension du film. L’arrivée du jeune garçon a par exemple été filmée avec une camera VHS pour évoquer un film de famille inoffensif. Par contre on s’est servi des caméras accrochées aux têtes des acteurs pour la scène des stroboscopes, afin qu’elles suggèrent le chaos et la perte de repères.
FdC: Emergo laisse une place pour l'humour, tout en étant un vrai film de peur. Ce sont des respirations, qui rendent aussi les personnages plus riches. Pouvez-vous nous parler de ces ruptures de ton ?
CT: Dans un film minimaliste comme Emergo, où le but est de faire que les spectateurs soient accrochés à leur siège avec seulement de rares éléments d’histoire, il est important de ne pas tomber dans la saturation. Si vous empilez les cinq scènes d’horreur les plus flippantes de tous les temps les unes derrière les autres, les dernières n’auront pas l’impact voulu parce que les spectateurs y seront moins sensibles. Toutefois, si après les avoir effrayés une première fois, vous leur laissez un moment pour respirer afin qu’ils baissent leur garde, vous pourrez les reprendre par surprise aussi efficacement que la première fois parce qu’ils ne s’y attendaient pas.
De plus, Emergo tente de fournir une explication tangible et rigoureuse sur la parapsychologie et traite de la place de celle-ci dans notre société, où le surnaturel peut être vu comme un symptôme de nos problèmes psychologiques les plus profonds. Par conséquent il était important que les personnages aient l’air vrai, avec des peurs et des problèmes auxquels on puisse se relier.
FdC: L'une des scènes marquantes du film est la longue confession du père, en plan séquence, et la façon dont elle s'achève. Pouvez-vous nous parler de la mise en place de cette séquence en particulier ?
CT: Oui, on n’a jamais reculé devant cette scène, bien qu’elle fasse déjà quatre pages de long dans le scenario. Il n’a jamais été question de la raccourcir au montage et nous savions tous que, idéalement, il fallait la tourner en plan-séquence. Kai Lennox, l’acteur qui joue Alan, a énormément travaillé chaque détail du monologue, en s’assurant notamment que chaque sentiment qu’il y exprimait fasse écho a d’autres scènes du début du film.
Notre but était en effet de bâtir peu à peu l’angoisse d’Alan au fil des deux premiers actes, pour justifier et rendre crédible des émotions aussi brutes pendant aussi longtemps. Mais l’élément-clé de la réussite de cette scène, c’était Kai, un acteur splendide, capable de porter sur ses seules épaules toute la portée émotionnelle du film. Il a parfaitement réussi cette scène dès la première prise. C’est d’ailleurs celle-ci que l’on a gardée au montage.
FdC: On a le sentiment qu'après un réel essor il y a quelques années, le fantastique espagnol peine un peu à se renouveler. Partagez-vous cette opinion ?
CT: Pas du tout ! Je dirais que le cinéma fantastique espagnol a encore beaucoup de temps devant lui et de marge avant de commencer à décliner. Certains films ont des idées très novatrices, tandis que d’autres, comme Emergo, choisissent de revisiter le genre en expérimentant à la fois formellement ou narrativement.
FdC: A quel moment avez-vous pris la décision de tourner votre premier film en anglais ?
CT: J’ai fait mes études de cinéma aux États-Unis, c’est ici que je vis maintenant et tous mes courts métrages d’école étaient en anglais, alors ça aurait bizarre de faire mon premier film dans une autre langue !
FdC: Quels sont vos films de maison hantée préférés ?
CT: La Maison du diable, Les Innocents, L’Orphelinat, Les Autres, et particulièrement Alien, bien qu’ils utilisent un vaisseau à la place de la maison.
FdC: De quoi avez-vous peur ?
CT: Des mst.
FdC: Quels sont vos projets ?
CT: Il y a différentes choses qui se préparent, mais comme rien n’est sûr dans la vie, je préfère ne pas en parler avant d’être certain que ça se concrétise.