Entretien avec Benoît Dalle
Benoît Dalle est responsable des éditions Potemkine. Potemkine était d'abord une boutique de dvd avant de devenir éditeur vidéo et de se lancer dans l'aventure de la distribution en salles. A l'occasion du Salon de l'édition DVD indépendante qui a lieu ce weekend à Paris, nous avons voulu rencontrer Benoît qui, avec Potemkine, fait le choix d'un cinéma singulier, audacieux et passionnant. Comment éditer des dvd dans un contexte de crise ? Comment se faire une place dans les salles de cinéma ? Entretien.
La branche édition de Potemkine existe depuis 2007. Quel bilan tirez-vous de ces six années ?
Le bilan est positif. D’abord centrés sur les films de patrimoine, nous avons étendu notre activité aux films de nouveautés comme Melancholia de Lars von Trier ou Holy Motors de Leos Carax, et le modèle « patrimoine – nouveautés » fonctionne. Cela nous permet de défendre des talents émergents (Guillaume Brac, Lisandro Alonso, Yann Gonzalez…) et de continuer à défendre le cinéma que l’on aime sans contraintes de pays ou d’époque : Tarkovski, Rozier, Angelopoulos, Clarke… et plus récemment Rohmer (lire notre dossier ici).
Vos choix éditoriaux ne vont pas sur des films évidents. Quels ont été vos plus grandes réussites commerciales ? Avez-vous eu des déceptions et si oui lesquelles ?
Nos plus grands succès sont le coffret intégrale Andrei Tarkovski et Melancholia. Notre plus grande fierté éditoriale: probablement la toute récente intégrale Rohmer et plus anciennement le coffret Jacques Rozier dont les films étaient totalement inédits et avaient été un peu oubliés. Les déceptions : Mind Game, un film d’animation japonais détonant ou Walkabout de Nicolas Roeg, un très beau film sur la rencontre entre un frère et une sœur perdus dans l’Outback australien et un aborigène. Les Français ont une dent contre Roeg, dont les films n’ont pas du tout marché en France malgré des castings énormes.
Votre coffret Rohmer est exceptionnel et extrêmement riche. Comment avez-vous réalisé ce coffret et réuni autant de matériel rare voire inédit ?
Ce coffret c’est un partenariat au long cours avec Les Films du Losange, la société de production créée par Barbet Schroeder et Eric Rohmer au début des années 60. Nous nous sommes répartis le travail, ils ont « clearé » les droits, pris en charge toutes les acquisitions de programmes (INA, CNDP…), nous ont livré tout le matériel (tous les films sortant d’une magnifique restauration en 2K) et nous nous sommes occupés de la partie éditoriale avec la collaboration précieuse de Noël Herpe (dont une biographie de Rohmer sortira chez Stock en janvier) et des aspects marketing.
Vous avez réussi à réunir quasiment toute la galaxie Rohmer à travers des courts métrages ou entretiens en bonus, en plus de ses films. Mais il y a une absente notable: Béatrice Romand. Est-ce qu'elle n'a pas souhaité participer aux bonus du coffret ?
Non, en effet.
A l'heure où le marché dvd est en crise, est-ce que ce type d'éditions exceptionnelles est une solution ?
L’édition collector de La Nuit du chasseur sortie chez Wild Side a rencontré un grand succès, viennent de sortir Gun Crazy ou La Porte du Paradis dans des éditions très luxueuses, qui je l’espère rencontreront le public. C’est vrai que l’on sent une scissure entre des éditions « cheap » : un boitier amaray et le film seul (parfois avec des masters très moches) et des éditions d’une grande richesse... Je pense en effet que c’est le seul modèle viable pour pérenniser le support vidéo, les éditions de mauvaise qualité pouvant être remplacées facilement par une location VOD (ou pire).
Depuis 2012, Potemkine s'est lancé dans la distribution de films en salles. Là encore vos choix se portent sur du cinéma singulier, qu'il s'agisse de Meteora ou tout récemment Les Rencontres d'après minuit. On dit souvent qu'il y a trop de films qui sortent chaque semaine (et pas forcément les bons). A t-il été facile de trouver votre place dans ce contexte ?
Je suis d’accord, mais c’est un problème sans fond. Quels sont les bons films, les mauvais films ? Les aides du CNC peuvent un peu tronquer la donne, certaines démarches étant vouées à l’échec. Il y a peut-être des solutions à imaginer de ce côté. Évidemment lorsque l’on sort Meteora ou Les Rencontres d’après-minuit, on y croit à 100%, les deux films étant deux propositions de cinéma très fortes et singulières. La programmation (le rapport avec les exploitants) est très compliquée, mais je pense que l’on réussit tout de même à trouver une place, et un line-up ça se construit, il va nous falloir un peu de temps pour s’installer comme distributeur dans la tête de tous les exploitants et de tous nos partenaires.
Les Rencontres d'après minuit est sorti depuis 3 semaines. Êtes-vous satisfait de l'accueil qui lui a été réservé, malgré son nombre de salles restreint ?
Non, je suis triste, déçu et un peu en colère. Les exploitants sont terriblement conservateurs. Heureusement que la presse nous a fortement soutenus, on vient tout de même de passer les 10000 entrées et certains spectateurs sont curieux.
Quel est l'enjeu pour vous d'un salon comme celui de l'édition DVD indépendante auquel vous participez ?
Il n’y a pas vraiment d’enjeu, c’est l’occasion de partager avec le public, de leur parler de notre métier et de cinéma.
Quelles sont les prochaines sorties sur lesquelles vous travaillez ?
Il y en a beaucoup, attention, je vous les cite toutes dans l’ordre : Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez, Die Andere Heimat d’Edgar Reitz, un coffret Jean Epstein (avec le magnifique La Chute de la maison Usher), Nymphomaniac de Lars von Trier, Artemis cœur d’artichaut d’Hubert Viel, coffrets Gleb Panfilov, Kenneth Anger, Shirley Clarke et Alan Clarke (vol2), 1001 grammes de Bent Hamer et côté documentaire un coffret Dominique Cabrera.
Entretien réalisé le 6 décembre 2013. Un grand merci à Aurélie Dard et Isabelle Buron.
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