Entretien avec Ben Wheatley

Après l'excellent Kill List, film hybride et bonne claque en salles l'été dernier, c'est au tour de la comédie noire Touristes de débarquer au cinéma le 26 décembre. Entretien avec Ben Wheatley, cinéaste qui monte.

FilmDeCulte : On a beaucoup parlé du mélange de genres proposé par Kill List. Mais avant même que les scènes de thriller ou d’horreur ne débutent, la tension dans le film s’installe dès les scènes de couple, les discussions sur le jacuzzi, des choses banales. Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous avez abordé ces scènes réalistes qui sont le socle du film ?

Ben Wheatley: Je les ai abordées de la même façon que le reste du film. Je voulais que les acteurs jouent de façon réaliste. Il n'y a pas 36 façons de s'y prendre : avec un peu d'improvisation, en gardant une approche documentaire et en laissant les comédiens prendre possession de l’espace. Je pense que la tension vient plus de la juxtaposition des scènes que des scènes elles-mêmes. Très rapidement dans le film on va de disputes en scènes d'harmonie, avant de revenir aux disputes façon staccato. Ce qui peut être plus déconcertant pour le public qu'une approche plus linéaire.

FdC : Quelle importance a pour vous le fait que le film laisse un large espace à l’interprétation du spectateur, à travers des ellipses, du non-dit, des mystères ?

BW: Le mystère est important parce qu'il laisse au public la liberté de penser. Le mystère force le public à remplir les trous laissés par les ellipses, à utiliser leur imagination. L'idée, c'est que le public projette ainsi ses propres idées, ses propres peurs.

FdC : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Laurie Rose au sujet du traitement visuel que vous souhaitiez apporter au film ?

BW: Pour moi Laurie est comme un acteur supplémentaire. Il joue l'œil ! Son job c'est d'être "le regard". J'aime utiliser la caméra comme on le ferait pour un documentaire, cette façon de ressentir et d'explorer l'action.

FdC : Kill List est un film d’horreur très singulier. Quels sont vos films d’horreur préférés parmi ceux produits ces dernières années ?

BW: Coraline est probablement le truc le plus effrayant que j'aie vu depuis des années. Parmi les autres films d'horreur que j'ai aimés, il y a L'Orphelinat, L'Armée des morts et The Descent. Cette liste en dit en fait davantage sur ce qui me fait peur, c'est à dire les enfants morts, les gens morts, me retrouver sous la terre et mourir.

FdC : D'autres choses qui vous feraient peur ?

BW: Les scies circulaires.

FdC : Dans Kill List, même la nudité fait peur – si l’on peut dire ! Pouvez-vous nous parler du tournage de cette étrange scène d’assaut à poil ?

BW: L'idée de la nudité, c'était de confisquer leur pouvoir aux tueurs. Même chose quand les victimes disent "merci". Être nu est censé vous rendre plus vulnérable. Qu'est-ce qui vous pousse à courir droit vers un homme armé alors que vous êtes à poil ? Cette idée était assez flippante.

FdC : Kill List est un film à la structure complexe, sophistiquée, qui ressemble à un labyrinthe. Touristes est tout le contraire : c’est un film qui file tout droit, dont l’histoire est très simple. Avez-vous eu le sentiment de faire Touristes en réaction à Kill List ?

BW: Touristes a bien était fait en réaction à Kill List, dans le sens où il s'agit d'une comédie. Le but était de faire un film plus libre et plus léger.

FdC : Est-ce que la méchanceté de Touristes, le fait d’avoir des personnages horribles et irrécupérables, vous ont servi d’exutoire ?

BW: Ha ! Je ne les trouve ni horribles ni irrécupérables. Je les aime bien. Ils sont créatifs et anarchistes. Hélas ce sont aussi des assassins, et ça ce n’est pas bien.

FdC : Que retenez-vous de votre expérience à Cannes où Touristes a été sélectionné ?

BW: C'était une expérience hallucinante, dont je me remets peu à peu.

FdC : Pouvez-vous nous parler de votre implication dans le film ABC’s of Death ?

BW: C'est très violent. Et on y retrouve certains de mes acteurs préférés.

FdC : Quels sont vos projets ?

BW: Je travaille sur deux films actuellement. L'un se déroule durant la Première Révolution anglaise. L'autre s'appelle Freakshift, c'est un film d'action qui se déroule dans un futur proche.