Entretien avec Axel Koenzen

Entretien avec Axel Koenzen

Suite de nos entretiens avec les découvertes de la Berlinale ! Notre nouvel invité est l'Allemand Axel Koenzen qui, avec son premier long métrage Deadweight (présenté au Forum), signe un singulier portrait d'homme perdu, capitaine de navire en proie à la culpabilité...

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Quel a été le point de départ de Deadweight, qu'est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

Il se trouve que mon oncle était justement capitaine de navire, et qu'il a ensuite travaillé dans le port de Hambourg. Il lui arrivait de faire le tour du monde, et quand j'étais petit je me disais qu'il ne devait y avoir personne au monde de plus libre que lui. Mais en faisant des recherches pour ce film, je me suis rendu compte que cette impression de liberté n'est pas du tout ce qu'on croit. La mer, c'est le royaume de l'illusion. En réalité, cette infinité peut être menaçante. Avant, voguer sur les mers me faisait rêver, mais faire ce film a mis à sac à cette utopie personnelle. Toutes les règles à bord, toutes ces contraintes factuelles, dépassent parfois ce que l'on appellerait le bon sens dans la vie de tous les jours. Le film pose d'ailleurs la question : est-on obligé d'accepter ces conditions? C'est cette interrogation qui m'a donné envie de raconter l'histoire d'Ahti.

Quasiment tout le film se déroule en haute mer. Concrètement, comment dirige t-on un tournage sur un navire qui possède évidemment sa propre équipe, sa propre organisation contraignante, son propre parcours et emploi du temps? Pour dire les choses sans détour: était-ce un enfer à organiser ?

Sur un navire de commerce tel que celui-ci, c'est effectivement l'organisation à bord qui détermine tout le planning de tournage. Une fois qu'on est monté à bord, c'est plutôt simple. L'enfer, c'était quand il fallait faire embarquer (puis débarquer) des personnes extérieures pour un court laps de temps, comme ce fut le cas pour Jeanne Balibar et Frank Lammers. La plupart du temps, nous n'étions que huit: l'équipe de tournage, les comédiens et moi-même. Mais on avait parfois l'impression d'être des intrus et de semer le doute chez l'équipage, puisqu'on finissait par faire partie de leur vie quotidienne. Par exemple, les pilotes, qui se trouvaient sur le pont avec le vrai capitaine du navire, se sont beaucoup énervés quand on est arrivés pour tourner au même endroit avec notre acteur-capitaine. L'uniforme fait tout dans ces cas-là. C'est l’indicateur ultime, à l'intérieur de ce système. Lorsque nous avons tourné à l'Académie maritime aux Philippines, tout le monde pensait que Tommi Korpela était un vrai professeur, les élèves n’arrêtaient pas de le saluer d'un « Yes sir, good morning sir ». Ça a fini par rendre Tommi complètement parano.

A plus d'un titre, Deadweight est un film qui semble abolir les frontières : le casting est international, les acteurs parlent tous une langue différente, ou s'expriment en anglais avec chacun leur propre accent. Cela participe à une perte de repère à la fois pour Ahti et les spectateurs. Pouvez-vous nous parler de cette dimension particulière du film ?

Une perte de repère, c'est bien formulé. Je dirais que c'est avant tout la conséquence d'un monde globalisé. C'est une sensation très intense lorsque l'on voyage à bord d'un navire marchand. Les ports à conteneurs se ressemblent tous, et une fois à bord, il y a peu de chance qu'on vous autorise à descendre pour une escale. La vie quotidienne à bord se déroule donc sans aucune interaction avec le monde extérieur, et ça manque. On finit par vivre reclus, si l'on peut dire, on finit par se refermer sur soi-même, prisonnier d'une intimité qui n'a pas vraiment d'équivalent sur la terre ferme. C'est particulièrement vrai dans le cas du capitaine. Quant aux langues parlées dans le film, elles correspondent tout simplement aux nationalités des vrais membres de l'équipage. Ces hommes et ces femmes sont souvent engagés pour des raisons économiques, et viennent d'un peu partout. Par conséquent, l'anglais qui est parlé à bord finit par ressembler à une sorte de gloubiboulga, une langue sans réelle origine.

Comment Jeanne Balibar s'est elle retrouvée impliquée dans le projet ?

Je la connaissais déjà car mon amie Pia Marais l'avait engagée il y a quelques années pour l'un de ses films (A l'age d'Ellen, ndlr). Je pensais qu'elle serait parfaite pour jouer ce personnage qui, le temps d'une parenthèse, engrange une sous-intrigue quelque peu artificielle, mais qui reste entièrement étrangère à la vie quotidienne à bord du navire. De plus, je voulais que les conséquences de le mort de James soit prises en charge par deux femmes, et qu'une rivalité sous-jacente naisse de la situation. Bien qu'elle constitue un pivot important dans le récit, la scène d'entretien de Jeanne a été entièrement improvisée, ce que j'ai adoré faire. Jeanne est vraiment douée en impro, elle avait d'emblée une connaissance très intuitive de son personnage.

Ahti n'a pas la liberté d'exprimer ses sentiments, et la sobriété générale du film semble épouser son incapacité à se laisser aller. Or, il y a quelque chose de très émouvant dans son parcours. Comment avez-vous envisagé l'équilibre idéal ?

C'est le résultat d'une réflexion intense de la part de moi-même et Benjamin Mirguet, le monteur du film. Le scénario contenait bien davantage de scènes où les sentiments de Ahti remontaient clairement à la surface, mais on s'est rendu compte que cela nuisait à l'équilibre entre fiction et documentaire sur lequel repose le film. De plus, ces scènes ne faisaient qu'illustrer trop clairement son état d'esprit. En conséquence, il n'y avait plus de tension. Et puis je me suis rendu compte que Tommi excellait quand il s'agissait de jouer l'intériorité, de garder les conflits sous la surface. C'est peut-être dû à son tempérament finlandais. C'est pour moi la traduction idéale de l'incapacité du capitaine à agir librement. De par sa fonction, il n'est qu'un rouage dans une machine économique complexe. Je trouve aussi intéressant que ses motivations doivent être devinées, que le spectateur doive faire sa propre interprétation de ce que peut bien ressentir le personnage.

Pourquoi avoir choisi la chanson « A Horse With No Name » pour la scène de karaoké ?

Tout simplement par ce que c'est une chanson que je chantais moi-même à bord. Les Philippins l'aimaient beaucoup. J'aime bien les paroles surréalistes, qui offrent un écho à l'état d'esprit du protagoniste sans en dévoiler trop non plus. L'une des interprétations possibles de cette chanson est qu'elle parle en réalité d'addiction à l’héroïne, ce qui permet d'imaginer un passé intéressant au personnage d'Ahti, et cela fait d'autant plus sens quand on regarde son visage en gros plan. Cet aspect évocateur m'a permis d'ouvrir un peu mon imagination, au-delà de ce qui était strictement écrit dans le scénario. Il était inutile d'écrire noir sur blanc si oui ou non Ahti avait eu des problèmes de cet ordre.

Quels sont vos projets ?

Je suis en train de terminer le montage d'un long métrage documentaire intitulé « Patara », qui raconte la reconstitution de l'un des tous premiers parlements au monde. Celui-ci date de 50 ans avant JC et se trouvait en Lycie, au sud de la Turquie. Ce film est un essai sur l'état de la démocratie en Turquie et ailleurs, qui aborde également la dimension politique de telles reconstructions. Et puis cela fait un bout de temps que la nouvelle de Thomas Mann Sang réservé traîne chez moi. C'est sur l’intégration des juifs en Allemagne à la fin du siècle dernier.

Entretien réalisé le 13 mars 2016.

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par Gregory Coutaut

En savoir plus

Notre critique de Deadweight. Deadweight sera diffusé à Paris dans le cadre de La Berlinale à Paris du 4 au 15 avril. Plus d'informations à venir sur le site du Goethe Institut.

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