Entretien avec Anna Biller
Dévoilé en France lors du récent Festival du Film de Fesses, The Love Witch est une drôle de curiosité féministe rendant hommage au cinéma en Technicolor. Ce récit d’une sorcière amoureuse est signé Anna Biller, qui fait preuve d’une personnalité tout à fait singulière. Rencontre avec la réalisatrice américaine.
Pouvez-vous nous parler du point de départ de The Witch ? Pourquoi désiriez-vous raconter cette histoire ?
Les films que je réalise sont ma façon d’expliquer au monde ce que ça fait d’être dans la peau d’une femme, le tout teinté de fantasmes de cinéma et de littérature. Il s’agit de bâtir un personnage féminin qui soit une combinaison de moi et des constructions glamour du cinéma classique. La vérité sur ce que signifie être une femme se situe, pour moi, quelque part là-dedans. Et ça peut être un endroit terrorisant, où l’on se regarde extérieurement tout en ayant à négocier intérieurement avec soi-même. C’est ce qui fait de The Love Witch un film d’horreur. La figure de la sorcière est particulièrement connotée et permet de discuter de l’identité de genre et de l’hystérie entourant la sexualité et le pouvoir des femmes.
The Love Witch est toujours au bord de la parodie tout en étant toujours parfaitement sérieux. Pouvez-vous nous parler de ce surprenant équilibre ?
Je suis tout à fait intéressée par la manière dont l’usage subjectif des couleurs, des textures, de la lumière rappelle au spectateur que ce qu’il regarde est le fruit d’une construction. Toute forme artistique est subjective, et j’ai le sentiment que révéler la composition intrinsèque de la mise en scène est plus « honnête » d’une manière certes paradoxale que de tenter de faire croire à une construction invisible. Alors ce n’est pas de la parodie, mais je peux comprendre que l’utilisation de dispositifs cinématographiques familiers venus du passé passe pour de la parodie.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos choix esthétiques sur ce film ? Aviez-vous des références précises en tête ?
Les choix esthétiques ont été déterminés par la vie intérieure du personnage principal, Elaine, qui a ces fantasmes de princesse emprisonnée, de sorcière puissante, de sirène sexuelle, etc. Son monde intime est extravagant et psychédélique, rempli de beauté, et c’est ainsi qu’elle aime concevoir l’existence. Je me suis inspirée des couleurs du tarot Thot et sa combinaison mystique de couleurs. Ses fantasmes de princesse se matérialisent en rose, blanc et dentelles comme dans le salon de thé, tandis que ses fantasmes de mariée s’expriment lors de la foire magique façon Renaissance. Au-delà de ça, j’ai également puisé dans les décors, costumes et éclairages des films en Technicolor, dont j’admire encore aujourd’hui la beauté.
Vous avez déclaré que pour vous, le style est la substance. C’est une chose qui est souvent oubliée dans le cinéma d’aujourd’hui, malheureusement.
Le cinéma est un medium visuel et les images sont son langage. On ne parlerait pas d’un morceau de musique sans considérer sa forme, alors pourquoi devrions-nous limiter les films à leur histoire ? Un film est fait de deux choses : d’images et de sons. Le contenu de ces images et ces sons a autant voire plus d’effet sur le spectateur que l’histoire seule ou l’interprétation. C’est un simple fait.
Quel est votre film de sorcellerie préféré ?
Selon mon humeur, ce serait soit L’Adorable voisine de Richard Quine, The Wicker Man de Robin Hardy ou Jour de colère de Carl Dreyer. J’ai aussi une affection particulière pour La Strega in amore de Damiano Damiani ou Horror Hotel de John Llewellyn Moxey.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Je travaille sur un scénario inspire de Barbe bleue.
Quel est votre film d'horreur préféré ? Anna Biller répond dans notre dossier spécial
Entretien réalisé le 19 juillet 2016.