Entretien avec Andrew Desmond (The Sonata)

Entretien avec Andrew Desmond (The Sonata)

Andrew Desmond est un réalisateur franco-anglais qui vient de signer son premier long-métrage, The Sonata, un thriller fantastique gothique et rétro avec Freya Tingley, Simon Abkarian et Rutger Hauer. A quelques jours de la sortie VOD et Blu-ray de son film, Andrew a eu la gentillesse de revenir sur la création de ce premier film sobre et stylé.

  • Entretien avec Andrew Desmond (The Sonata)
  • Entretien avec Andrew Desmond (The Sonata)

Tu as réalisé le court-métrage Entity en 2014. Le film a eu du succès. Comment ça t’as amené à réaliser The Sonata ?

Entity était un court-métrage de science-fiction qui a fait une soixantaine de festivals. Ça avait attisé la curiosité de pas mal de prods U.S. avec des questions comme « C’est quoi la suite ? Est-ce que tu veux faire un long-métrage ? Convertir ton court en long ? » C’était l’époque où les producteurs américains se jetaient sur tous les jeunes réalisateurs qui avaient fait un court-métrage à leurs yeux impressionnant. Mais c’était assez frustrant car j’ai reçu pas mal de scénarios pas très bons, ou bien des scénarios chouettes… mais où il y avait déjà dix réals plus expérimentés que moi dessus. Donc c’était une expérience assez futile. Sortant de Entity, l’étape logique aurait été de faire un film de S.F., j’en ai donc écrit un avec Arthur Morin qui deviendra mon co-scénariste sur The Sonata, mais le projet était considéré comme trop cher pour un premier film. Tout le monde nous disait « Est-ce que vous ne pourriez pas nous proposer un truc un peu plus petit, moins risqué ? » Du coup j’ai ressorti une idée de court-métrage que m’avais proposé Arthur : ça s’appelait Rose, l’histoire d’une violoniste qui découvrait l’existence du père qu’elle n’avait jamais connu, qui lui avait légué un grand manoir où elle découvrait un enfant difforme enchaîné dans une cave. C’était une idée que je voulais creuser sous la forme d’un film de quinze minutes, mais je voulais pousser l’aspect musical. En discutant avec Arthur, on se disait qu’on n’avait jamais vu un long-métrage de genre qui traite de la musique comme le catalyseur fantastique, la source de surnaturel. On a donc réécrit ce court sous cet angle-là, mais il a grossi jusqu’à devenir un synopsis de long-métrage. On en a parlé avec mon producteur Laurent Fumeron, qui venait de monter sa société The Project, et il nous disait qu’il y avait matière à faire un premier petit long avant de passer à un projet plus gros.

Comment c’est passé le financement et le casting ?

On a envisagé le film en français au tout début, ça devait même se passer dans un château breton. Mais on a vu que c’était difficile de financer un thriller fantastique gothique en langue française. Laurent avait déjà un associé qui collaborait avec une boîte de prod russe, CTB Films, qui produisent beaucoup de longs, des gros longs. Eux voulaient s’ouvrir à l’international avec des petits films en langue anglaise. On avait donc ce point de départ financier. Le casting a suivi rapidement derrière. On a contacté une directrice de casting anglaise, Gail Stevens, qui avait bossé sur les Danny Boyle et elle nous a ouvert des portes et permis de trouver l’actrice principale, Freya Tingley, mais surtout Rutger Hauer qui a été le premier à dire oui. Avoir ces deux comédiens-là a débloqué tout le reste.

De combien était le budget ?

J’ai pas le chiffre exact, mais c’est un budget entre 1.5M€ et 2M€.

En argent français t’as pas grand-chose, je crois.

On n’a même rien.

Et tu n’as pas tourné en France ?

Non, en Lettonie.

Du coup, pourquoi avoir pris un acteur français comme Simon Abkarian, et as-tu pensé déménager le décor du film de la France vers un autre pays plus angoissant ?

Une fois que le film a basculé en langue anglaise, on s’est quand même demandé si on ne pouvait pas avoir quelques financements français, tourner en France. C’était le souhait initial. Le rôle de Charles avait été initialement proposé à des comédiens anglais, certains qui ont hésité à le faire, d’autres qui ont dû renoncer à cause du planning. On coinçait sur ce rôle. Du coup, toujours dans cette optique d’avoir des financements français, on s’est dit pourquoi ne pas avoir un casting mixte ? Mon agent Christel Grossenbacher m’a parlé de Simon Abkarian qu’elle représente. C’est un acteur que j’aime beaucoup, il est bilingue, je me suis dit « Pourquoi pas ? ». Il a dit oui tout de suite, il a vraiment adoré le projet. Bon, au final on a quand même eu zéro financements français, mais je suis très content du choix de Simon.

Quelle référence as-tu montré à ton chef opérateur ?

Le chef op’ est letton et s’appelle Janis Eglitis. Il avait fait pas mal de courts-métrages là-bas mais dans un style naturaliste, gritty, lumière blafarde. Mais il avait également fait une cinquantaine de pubs qui étaient beaucoup plus stylisées, esthétisantes. Il n’avait jamais fait un entre deux où on pouvait s’éclater sur le visuel tout en restant au service d’une histoire. J’ai beaucoup parlé avec lui en amont, on s’était envoyé pas mal de réfs : des moodboards avec des images de films, des photos, des tableaux. Du Caravage, du Rembrandt… Mon approche c’était : pour les intérieurs nuit une sorte de cocon avec des feux de cheminée, des bougies, très chaud et très sombre ; que les extérieurs soient froids et désaturés ; et les intérieurs jours blafards, fantomatiques et grisâtres. Trouver un équilibre entre unelumière naturaliste et des cadrages et des mouvements plus stylisés. Avec Janis on a parlé de Darius Khondji, c’est une référence pour lui en termes de contraste, de couleurs pour certaines séquences. La Neuvième porte, Seven… J’ai parlé des Autres de Amenabar. Tout ça pour trouver cette esthétique gothique mi-stylisée mi-naturaliste.

T’as eu combien de jours de tournage ?

C’était un tournage assez court, 28 jours.

Comment tu te sentais le premier jour de tournage ?

J’étais mais comme un gamin dans un Toys “R” Us, excité. Du bon stress, de l’anticipation, le plaisir de me dire que je suis en train de faire ce que je veux faire. Ce jour-là on a tourné la scène de l’arrivée au manoir.

Quand t’arrives sur le plateau le matin, qu’est-ce que tu fais en premier ?

Tous les matins à l’hôtel je prenais 10-15 minutes tout seul pour relire les séquences du jour, revoir mon découpage et mes storyboards. En arrivant, je dis bonjour à tout le monde (très important), je prends un café, et généralement je parlais en premier à mon assistant – qui était français – et mon chef opérateur. Au niveau de la méthode, le découpage était relativement fixé en amont. Je ne veux pas me jeter des fleurs, mais des techniciens m’ont dit qu’ils ont apprécié que je sois de nature plutôt calme, et précis. En fait j’avais beaucoup préparé en amont. La prépa était presque plus intense que le tournage. Beaucoup de découpage et des grosses réunions avec les chefs de poste pour dépouiller chaque aspect de chaque scène et gagner du temps sur le plateau.

Comment c’était de travailler avec Ruger Hauer ?

Il était avec nous qu’une poignée de jours mais c’était un plaisir de travailler avec lui. Il est passionné de musique et il n’avait jamais joué un rôle de compositeur. Il aimait le genre du film. Il aimait que ce soit un personnage qui s’est perdu en cours de route. Il avait ce côté fou-fou. On parlait de cinéma et il me fait (avec l’accent de Rutger Hauer – NDLR) « I’ve just done this French movie with this French director. What’s his name? Jack…? » Moi je lui fais « Jacques… Audiard ? » « That’s the one ! » (rires) Il venait de faire Les Frères Sisters. « Great actor ! The guy with the thing here… » et il montre sa lèvre supérieure. Il pensait à Joaquin Phoenix ! « Great actor, great guy ! »

J’imagine que vous avez dû composer la sonate qui donne son titre au film avant le tournage ?

Oui, c’est Alexis Maingaud le compositeur qui s’en est chargé. C’était une pression. J’étais en prépa en Lettonie et Alexis m’envoyait des maquettes. On est arrivés au morceau définitif deux-trois semaines avant le tournage.

Comment tu as géré les scènes de violon ?

Freya avait des bases de violon, ce qui a pesé dans la balance lorsque je l’ai choisie. Du coup elle savait bouger ses bras avec l’archet, mais elle a dû prendre des cours avec une coach qui servait aussi de doublure. C’est Freya qui joue sur les plans serrés et les plans très larges. Tous les autres, les plans de trois-quart, les mains, les plans de dos, c’est la doublure. Elle a la même morphologie, les mêmes cheveux que Freya.

Donc vous n’avez jamais remplacé son visage numériquement ?

Non. De toute façon ça aurait été trop cher.

Est-ce que tu peux nous parler de la carrière du film ?

Le film a tourné dans une bonne quinzaine de festivals internationaux où il a été plutôt apprécié, notamment au BIFFF où on a eu une grosse première réaction d’un gros public, 500 personnes. Ça a permis de faire parler du film à l’étranger, à le vendre également. Il est sorti en aux Etats-Unis dans une dizaine de villes, au Japon, dans les Emirats… Il n’y a qu’en France où le film sort directement en digital.

Que vous ont dit les distributeurs français ?

On a fait la tournée des distributeurs français mais c’est un film qui est difficile à vendre en salles car c’est un petit film, un premier long, de genre, du fantastique, pas de grosse star dedans… C’est ni un film d’horreur, ni un thriller, c’est un peu entre les deux. C’est pas dans les codes du James Wan ou du Blumhouse, donc c’est pas calibré pour le public actuel. On est plus dans ce qu’on faisait dans les années 90. Mais il sort quand même en Blu-ray en France le 17 février.

T’as pu faire un commentaire audio ?

Non, mais on a un making-of de quinze minutes qui est très sympa, et mon court-métrage Entity.

Et la suite ?

Je travaille sur plusieurs projets dont ce fameux projet de S.F. que j’avais écrit avant The Sonata et qui s’appelle Lemnos. C’est toujours produit par Laurent Fumeron. L’idée c’est de faire une co-prod entre pluiieurs pays, peut-être tourner dans les pays de l’est ou au Canada, avec un casting anglo-saxon. C’est dans l’esprit de films comme Moon ou Ex Machina.

Merci Andrew !

Merci à toi !

Propos recueillis le 6 février 2020

par Liam Engle

Commentaires

Partenaires