Entretien avec Alessandro Comodin
Nous avions rencontré l'Italien Alessandro Comodin une première fois à Locarno où il a été révélé avec son beau premier film, L'Eté de Giacomo. Il confirme avec le déroutant Bientôt les jours heureux, en salles ce mercredi 3 mai, et qui raconte une histoire d'amour impossible qui défie le temps. Entretien avec l'un des espoirs du cinéma transalpin.
Bientôt les jours heureux mélange plusieurs genres et éléments de récits. Quel a été le point de départ de ce film imprévisible ?
Je voulais filmer de gens qui courent. Cette image originelle, que j'avais en tête, vient de deux plan-séquences qui m'ont marqué: l'ouverture des Diamants de la nuit, un film tchèque de 1968, que j'ai essayé de citer presque tel quel, et la fin du Dieu noir et le Diable blond de Glauber Rocha, où un personnage court dans le désert. C'est un film excellent, c'est à la fois un documentaire, avec des acteurs non professionnels filmés de manière très très physique, et en même temps ça raconte l'histoire de paysans qu voient débarquer Saint Sebastien et toute une mythologie. La course, ça me plaît. Enfin je ne cours pas mais j'aime filmer des gens qui courent. D'ailleurs c'est moi qui suis cameraman sur le tournage, je filme moi-même. J'aime la course parce qu’immédiatement ça place le spectateur dans la position que j'aime: tu as une image, tu ne sais rien sur ce qui s'est passé juste avant, mais tu rentres dedans.
Quelles questions se sont posées en termes d'écriture, pour concilier les genres tout en faisait naitre du suspens?
J'aime les films qui ont des ruptures, c'est vrai. J'aime aussi déplacer le spectateur: lui donner une histoire, la couper et lui en donner une autre. En tant que spectateur, j'adore ces moments où l'on est perdu, pour moi c'est du grand cinéma. Il y avait cette volonté de rupture, ça c'est sûr, mais l'histoire est arrivée a posteriori, et j'ai essayé de trouver la cohérence après ça. Après les garçons qui courent, j'ai eu envie de filmer une actrice professionnelle, et je me suis demandé comment j’allais bien pouvoir la faire rentrer dans le film que j'avais en tête ! Je n'allais pas la mélanger avec les non-professionels, ou lui demander de jouer une paysanne. C'est donc devenu une créature qui vient d'ailleurs. Puis est venue l'idée de sa maladie, je voulais l'affaiblir, la démunir et on sait dès le début qu'elle va mourir.
J’aime bien les histoires qui mélangent les époques, qui se déplacent dans le temps, qui ont un souffle romanesque. C'est mon premier film de fiction, du moins de fiction assumée, donc je me suis dit que quitte à m'en approcher, il fallait l'assumer jusqu'au bout. J'aime bien l'artifice quand il est assumé en tant que tel. Je déteste les films qui font semblant d’être réels. Soit c'est vrai, soit c'est pas vrai (rires). Le spectateur est habitué, par le magma visuel et sonore de notre époque (rires) à partir du cerveau pour aller aux émotions. Ici c’est l’inverse, on part de quelque chose de très physique, des bribes de réel, et l'histoire doit être déduite. Toute la difficulté consiste à trouver des spectateurs disposés à atteindre un peu leur cerveau pour juste écouter et regarder. Mais finalement, cette histoire, même si elle est venue après, est tellement simple qu'elle est désarmante.
Malgré l'originalité du film, cette histoire d'amants séparés par le temps, c'est presque une formule classique de récits mélodramatiques.
Ah oui, l'histoire est très simple, au final. Elle utilise des lieux communs de la littérature mondiale comme le loup ou les grottes. C'était délibéré de ma part, je cherchais moins à être original à tout prix qu'à travailler avec des archétypes universels, ou en tout cas reconnaissables chez nous. Je voulais trouver une forme personnelle à coller sur une structure accessible. J'ai remarqué que les spectateurs étaient très concentrés devant le film (rires). Le film te prend la main et t'amène quelque part, même si tu ne sais pas où. J'ai l’impression d'avoir réalisé un film qui agrippe, un film d'aventure, je suis très fier de moi (rires). C'est presque un film d'action ! Bon enfin, pas action au sens de baston, bien sûr. Mais les gens courent, font des choses, vont quelque part, et il faut les suivre.
Les spectateurs sont trop habitués à devoir chercher un message dans un film. Ici, le message est tellement banal qu'il ne faudrait même pas le dire: l'amour de ces deux personnages résiste au temps, c'est un amour absolu, par delà le temps et l'espace. Je suis un grand romantique au fond !
Dirais-tu alors que Bientôt les jours heureux est, paradoxalement, un film réaliste ?
Je m'embrouille toujours avec ces thèmes... disons que non, je déteste le réalisme au cinéma (rires). Mais tout provient du réel c'est sûr. C'est ce que j'adore avec la réalité, on peut tout y trouver, tout y puiser. Tout ce qu'on peut imaginer trouve sa source dans quelque chose que l'on connaît du réel. Mêmes les créatures fantastiques de L'Odyssée, elles ont été inventées parce qu'elles ressemblaient à des créatures marines qui y avaient été entraperçues, ça partait du réel.
Le film est presque entièrement tourné en pleine forêt, comment as-tu travaillé avec ton chef opérateur dans ces conditions ?
C'est vraiment très simple: il n'y a aucune lumière artificielle. Il n'y a qu'un projecteur, dans la scène de la prison, parce que c'était trop sombre sans. Le reste du temps, on se fie à la lumière naturelle: si elle nous convient on filme, sinon on attend. Comme dans la vraie vie: si tu vas dans la foret dans la nuit, tu ne verras rien! C'est ça que j'aime, travailler avec le moins d'effets possibles, avec l'image la plus pure possible.
Entretien réalisé le 16 mai 2016