Entretien avec Alessandro Comodin
Lauréat du Léopard d'or dans la catégorie Cinéastes du présent au dernier Festival de Locarno, l'Italien Alessandro Comodin, 29 ans, se distingue comme un réalisateur à suivre avec son très beau L'Eté de Giacomo, sorte de paradis perdu à l'ombre de Weerasethakul. Le film sort en France le 4 juillet. Le jeune cinéaste a répondu à nos questions.
FilmdeCulte: Quel a été ton parcours avant la réalisation de L'Eté de Giacomo ?
Alessandro Comodin: L'Eté de Giacomo est mon premier long-métrage. Avant j’ai étudié à l’université en Italie dans une fac de cinéma, ensuite j’ai fait un Erasmus à Paris où j’ai regardé plein de films et puis j’ai étudié la réalisation dans une école de cinéma en Belgique, l’INSAS.
Je suis sorti de cette école en 2008 avec un film de diplôme Jagdfieber – La fièvre de la chasse qui a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2009. C’est avec ce court-métrage que j’ai commencé à réfléchir à une démarche personnelle et à une façon de faire du cinéma que j’ai développée avec L'Eté de Giacomo.
FdC: La structure du film est très particulière. Est-ce que tu l'avais à l'esprit dès l'écriture du scénario ?
AC: Non. Au début le film était un documentaire sur Giacomo. C’est le petit frère sourd de mon meilleur ami au lycée. A dix-huit ans, de sa propre initiative, il a décidé de subir une opération qui lui aurait donné l’ouïe. J’avais vu en cette histoire et en ce garçon, non seulement une sorte d’étrange passage à l’âge adulte à travers les sens, la sensation, mais aussi un écho très fort avec le souvenir du moi adolescent, dans ma région natale. J’étais aussi, je crois, une sorte d’ « handicapé » maladroit ayant un problème évident avec ce qui m’entourait, la campagne chiante, de mauvais goût et très berlusconienne du nord de l’Italie. Un mec qui ne rêvait que d’embrasser les filles et de partir le plus loin possible. J’ai filmé pendant deux ans, en accompagnant Giacomo à la fois dans sa démarche médicale (opération chirurgicale et orthophonie) et à la fois en suivant le quotidien de Giacomo pendant l’été. Je voulais, en fait, mettre en parallèle un documentaire « frontal » sur Giacomo et sa recherche d’un « sens » avec son errance ennuyée dans cette campagne pendant l’été, saison qui depuis la nuit des temps est très appropriée pour raconter le passage à l’âge adulte.
C’est donc au montage qu’on a décidé avec João Nicolau, le monteur du film (réalisateur portugais et monteur aussi de Va et vient de Monteiro), de laisser tomber les images « médicales » et ce parallèle lourd un peu trop « intellectuel » et de faire un film beaucoup plus simple, avec les seules images de l’été. La structure vient des bribes de vie qu’on a pu filmer dans les lieux que j’avais choisis. Le scénario n’était pas plus qu’une liste de lieux.
FdC: Comment as-tu envisagé la direction d'acteurs? Y'a t-il eu de la place laissée à l'improvisation ?
AC: Comme il n’y avait rien d’écrit, tout était improvisé dans les dialogues et les actions. Comme je faisais la caméra, mes directions se limitaient à des indications simples de « ne pas regarder la caméra » ou de direction dans l’espace : « prendre des chemins inconnus » etc etc. Stefania étant la seule entendante, et Giacomo le personnage central qu’on cherchait à décrire, je pouvais avoir la complicité de l’une et les réactions complètement inattendues de l’autre. Les longs plans-séquences, l’insistance, l’entêtement, la patience ou, si tu veux, la croyance qu’à un moment donné il se serait produit quelque chose d’intéressant, ce sont toutes les conditions qui ont fait en sorte qu’effectivement à la fin quelque chose a fini par se produire. Nous, on était là pour le filmer au bon endroit et au bon moment, on sentait qu’il allait se passer un truc et on y allait. Parfois on se trompait d’endroit et démarche, parfois on n’y croyait pas assez et ça ne donnait rien, mais pour les scènes du fleuve, toutes les conditions étaient réunies, aussi bien pour l’équipe que pour les jeunes.
FdC: Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Tristan Bordmann, ton directeur photo ?
AC: Tristan est avant tout un ami. C’est une personne très sensible et généreuse. La première année, je lui avais confié la caméra. J’étais très frustré parce que j’adore filmer, et j’ai compris que je ne pouvais pas la confier à quelqu’un d’autre que moi-même. C’est une question de ressenti.
L’année d’après, Tristan préparait la caméra, parce qu’il sait le faire et moi pas du tout, il mesurait la lumière, il faisait le point et il me conduisait, comme on fait avec un aveugle, pour ne pas tomber ou glisser. Ensuite c’était rassurant de l’avoir à côté, on pouvait partager le ressenti du plan et même s’il ne comprenait pas l’italien (comme le reste de l’équipe d’ailleurs) on se regardait à la fin et on se disait un peu émus « wow, c’est beau ».
FdC: Le film m'a évoqué une version plus légère, plus drôle, de Blissfully Yours d'Apichatpong Weerasethakul. Est-ce que c'est une référence que tu avais en tête? Y'a t-il eu des cinéastes en particulier qui t'ont inspiré pour ce film ?
AC: J’adore les films d’Apichatpong Weerasethakul, et en particulier Blissfully Yours. C’est une référence pour moi, sa liberté, ses cadrages et ses constructions narratives inattendues. Tout le monde me dit que cela ressemble à Blissfully Yours, je suis honoré, ça ne me dérange pas du tout, d’autant plus qu’en tournant on se le disait aussi. Comme autres références il y a forcément la nouvelle vague, Rouch, Rozier, Rohmer, Rossellini, Pialat ou Eustache. Et puis il y a le cinéma asiatique d’Apichatpong, Hong Sang-soo, Naomi Kawase et Edward Yang.
FdC: Quel est ton point de vue sur la production cinématographique italienne actuelle ?
AC: (sourire) Il n’y a pas vraiment des films italiens qui m’aient retourné à part les vieux. Il faut dire que je ne connais pas vraiment la vraie production cinématographique italienne, c’est-à-dire celle que l’on ne voit pas. J’ai aimé Le quattro volte l’année dernière et La pivellina. J’attends de voir Corpo celeste qui était à la Quinzaine cette année.
De mon point de vue, pour généraliser, le cinéma italien contemporain que l’on voit n’est pas intéressant formellement, esthétiquement, c’est ce qui me dérange le plus. J’ai beaucoup de respect pour Moretti et pour Bellocchio : ils m’ont tous les deux procuré énormément d’émotions, même récemment. Il paraît qu’il y a un autre réalisateur italien contemporain qui vaut le coup. Il s’appelait Corso Salani, il est mort très jeune, mais il a eu le temps de faire de très beaux films.
FdC: Sais-tu si le film va être distribué en salles en France ? (cette interview a été réalisée avant que le film ne trouve un distributeur français)
AC: Pas pour l’instant, mais je suis confiant. Je ne serai content que quand il sera sorti en salle. Si j’ai fait un film c’est pour qu’il soit vu au cinéma. J’attends qu’un distributeur courageux ait un coup de cœur. Pour l’instant pas de coup de cœur donc.
FdC: Quels sont tes projets ?
AC: Comme je n’avais même pas prévu de faire un long-métrage pour de vrai et que j’ai mis toutes mes énergies pour que le film existe (j’en ai pas parlé, mais ce n’était pas évident) je n’ai pas calculé la suite. J’attends donc d’être surpris par quelqu’un ou quelque chose et j’irai. Ça va vite après tout de faire un film, mais c’est vrai que cette période d’attente est un peu étrange, après deux ans d’occupation et invention.