Entretien avec Akihiko Shiota

Entretien avec Akihiko Shiota

Alors que 2016 touche bientôt à sa fin, nous avons décidé de vous proposer une série d'entretiens inédits avec des révélations de l'année ou des cinéastes qui ont signé des films hors du commun. Premier invité: le Japonais Akihiko Shiota, qui ressuscite le genre du roman porno avec son étonnant Wet Woman in the Wind. Ce long métrage, dévoilé l'été dernier à Locarno, sort dans quelques jours au Japon. Akihiko Shiota nous parle de son tournage homérique et vous livre son top 10 des meilleurs films roman porno...

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Wet Woman in the Wind est une commande de la Nikkatsu. Pouvez-vous nous en dire plus sur les règles que vous deviez suivre – et celles que vous avez brisées ?

Le scénario devait être rédigé par le réalisateur lui-même. La durée devait être inférieure à 80 minutes (cela a été modifié en « plus ou moins 80 minutes » plus tard). Une scène de nudité devait être insérée toutes les 10 minutes. Le film devait être du porno soft interdit aux moins de 18 ans, obéissant aux règles de la censure japonaise (par exemple, un plan d’ensemble du couple fesses nues était impossible, mais ce plan devenait possible en jouant sur la présence de certains vêtements). Le tournage ne devait pas excéder 7 jours (ceci et un même budget s’appliquaient à tous les réalisateurs). Les réalisateurs étaient autorisés à choisir librement leurs acteurs, de mon côté j’ai procédé à des auditions. Si la règle sur la durée a sensiblement évolué, j’imagine que c’est parce que certains réalisateurs ont brisé cette condition. Mais celles-ci, personnellement, m’ont tout à fait convenu. J’ai la conviction qu’on peut avoir des idées imprévues tout en suivant scrupuleusement des règles dans ce type de petite production.

Le titre de votre film est à la fois surprenant, érotique et poétique. Comment l’avez-vous choisi ?

A l’époque, les films roman porno de la Nikkatsu employaient le mot « wet » (« nureta » en japonais) comme un cliché érotique et ont adopté cette expression pour de nombreux films, même s’il n’y avait pas de rapport direct avec l’intrigue. « Wet » ( »mouillé, humide », ndlr) est devenu un terme symbolique du genre en quelque sorte. Tatsumi Kumashiro, un des réalisateurs que j’admire, l’employait souvent dans ses titres. Lovers are Wet par exemple. Wet Woman in the Wind est très inspiré par ce film, et je voulais utiliser ce terme en hommage à Kumashiro. Au moment du choix du titre, Wet Woman in the Rain était une option. Mais c’était trop ordinaire, « rainpluie », ndlr) a été changé en « wind » (« vent », ndlr). C’est aussi le moment où j’ai eu cette idée claire d’une héroïne sauvage, séductrice et érotique. Je suis très satisfait de ce titre également.

Le film est visuellement superbe, alors qu’il s’agit d’un petit budget et qu’il a été tourné rapidement. Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie sur le style visuel de Wet Woman in the Wind ?

Wet Woman in the Wind n’a pas été tourné en studio mais dans les bois. Cela a posé quelques problèmes. Par exemple, comment obtient-on la lumière que l’on souhaite dans un cottage, la nuit ? J’ai eu en tête l’image d’une ampoule pendue au plafond mais mon directeur de la photographie, Hidetoshi Shinomiya, a suggéré une autre option car cela aurait limité le mouvement directionnel de la lumière principale. J’ai discuté avec Shinomiya ainsi que notre éclairagiste Aguru Miyanaga et on s’est mis d’accord sur une lumière assez maniable, le type de lumière qu’on peut utiliser sur des chantiers de construction ou dans des usines de réparation de voitures. Cette lumière principale pouvait être installée partout. Parfois, c’était les acteurs eux-mêmes qui tenaient cette lumière et la dirigeaient. J’espérais que cela apporterait une dynamique intéressante car cette lumière est très mobile dans le cadre.

Le second problème est celui de la lumière dans une forêt sombre, la nuit. Ça n’est déjà pas aisé d’éclairer des bois sombres sans autre lumière que celle de la lune. L’idée la plus simple et la plus rapide était d’éclairer les bois en utilisant un réflecteur. Mais l’image devient rapidement plate. On a plutôt décidé d’installer des plus petites lumières partout dans les bois, en étant attentif à leur luminosité et leur couleur afin d’obtenir le plus de contraste possible. Cela nous a pris en revanche beaucoup plus de temps.

Ce type de tournage se base sur une certaine façon de faire très japonaise dans une industrie sans syndicat. Peu importe le nombre d’heures travaillées en une journée, cela restera du travail non payé. Dans les bois, nous ne pouvions pas filmer après 3 heures du matin parce que les grands arbres finissaient par bloquer la lumière. Par conséquent, nous commencions à tourner à 6 heures du matin jusqu’à 1 heure du matin voire parfois de 2 ou 3 heures du matin à minuit. Nous avions parfois besoin de quelques heures de sommeil dans la journée. On ne peut pas vraiment s’enorgueillir de ce type de condition de travail. Les producteurs à la Nikkatsu réfléchissent également à une amélioration. Néanmoins, ce sont les conditions de travail d’un film au budget extrêmement limité, ce n’est pas représentatif d’un standard général dans l’industrie. Le défi ici était assez rude. Mais nous avons accepté ces conditions en échange d’une liberté de création.

Après le tournage est venu le travail sur les couleurs. Avec quel éclat doit-on rendre le vert de la nature ? Quelle profondeur donner à sa noirceur ? Nous nous sommes également souciés de la couleur de la peau de nos acteurs, plus particulièrement celle de Yuki Mamiya.

Justement, votre actrice est formidable. Comment l’avez-vous choisie et comment avez-vous travaillé avec elle sur un personnage aussi étonnant ?

Yuki Mamiya a été sélectionnée à travers une audition comme je l’ai mentionné. Je lui ai demandé de jouer une scène de dispute entre un homme et une femme (comme à toutes les candidates). Elle l’a jouée deux fois ; je lui ai demandé de jouer la même scène en n’étant pas sérieuse, en s’amusant à rendre fou l’homme en question. Yuki Mamiya l’a joué exactement comme je le souhaitais. Sa légèreté, sa spontanéité m’ont impressionné. Et en même temps, elle peut avoir ce visage furieux qui est à la fois sexy et érotique.

Nous avons fait des répétitions dans les studios de la Nikkatsu avant le tournage. Comme Tasuku Nagaoka (qui joue le rôle de Kosuke) avait davantage d’expérience dans la façon de se mouvoir à l’écran (notamment dans le cinéma d’action), nous avons créé différents mouvements qui pouvaient s’insérer naturellement dans une discussion. Habituellement, je ne fais pas de telles répétitions mais ici c’était indispensable. Mon idée pour Wet Woman in the Wind était de tourner toutes les scènes comme s’il s’agissait d’un film d’action. C'est-à-dire que ce qui se passe à l’écran devait être physique avant d’être verbal. C’était très important.

Mamiya a beaucoup apprécié ce cadre et a construit ses scènes avec Nagaoka, quitte à se faire des bleus sur tout le corps. Comme elle l’a dit : « Les bleus sont ma médaille d’or ».

Etiez-vous familier avec le genre du roman porno ? Avez-vous un film ou un réalisateur favori dans ce genre ?

L’appellation roman porno remonte à 1971, et j’ai commencé à voir ces films à partir de 1980. J’étais ensuite étudiant à l’université de Rikkyo et j’ai vu un grand nombre de films, du roman porno au cinéma de Yasujiro Ozu tandis que je commençais à faire des films en 8mm.

Tatsumi Kumashiro, Noboru Tanaka, Chusei Sone, Masaru Konuma et Kazunari Takeda sont mes réalisateurs favoris dans le roman porno. Je citerais également les scénaristes Akio Ido et Yozo Tanaka. Mes 10 films préférés seraient quant à eux Lovers Are Wet de Tatsumi Kumashiro (1973), Prostitute Torture Hell de Noboru Tanaka (1973), Black Rose Ascension de Tatsumi Kumashiro (1975), Tattooed Flower Vase de Masaru Konuma (1976), Street of Joy de Tatsumi Kumashiro (1975), The Oldest Profession de Noboru Tanaka (1974), Beauty's Exotic Dance: Torture! de Noboru Tanaka (1977), Woman's Trail: Wet Path de Kazunari Takeda (1980), My Sex Report: Intensities de Chusei Sone (1976) et Angel Guts: Red Classroom de Chusei Sone (1979).

Entretien réalisé le 20 octobre 2016. Un grand merci à Mami Furukawa.

par Nicolas Bardot

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Notre critique de Wet Woman in the Wind

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