Discussion avec Aude Hesbert

Discussion avec Aude Hesbert

Cette année, le Festival Paris Cinéma fête ses 10 ans, et FilmDeCulte sera à nouveau de la partie ! Nous avons souhaité rencontrer à nouveau Aude Hesbert, déléguée générale et directrice artistique, afin de revenir plus en détails sur le programme riche en surprises de cette édition anniversaire (qui se déroule du 29 juin au 10 juillet).

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FilmdeCulte: Est-ce que le festival correspond à ce que vous imaginiez quand vous êtes arrivée à sa tête ?

Aude Hesbert: Pas du tout ! En fait c’est un festival un peu particulier, il s’est monté de manière extrêmement rapide. Le maire a décidé d’initier Paris Cinéma et on a eu 6 mois pour monter la première édition. Au départ c’était vraiment hyper ambitieux, d’ailleurs ce n’était pas un festival mais une manifestation qui devait irriguer tout le territoire parisien, avec 37 salles la première année. C’était vraiment l’idée généreuse d’offrir le meilleur du cinéma à tous les Parisiens, et d’offrir une vitrine à tous les genres de cinéma. C’était une très belle idée sur le papier mais très mauvaise, je pense, en termes d’événementiel. Il aurait fallu des moyens énormes pour arriver à ce résultat-là. Petit à petit, on a inventé le festival, année après année, de façon extrêmement pragmatique. On regardait ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas, on a commencé à se faire confiance sur la programmation en se disant que le public aimait ce qu’on aimait, ce qu’on avait envie de défendre. Paris offre tellement en matière de cinéma qu’il faut être encore plus pointu, offrir des choses encore plus différentes pour se démarquer de ce qui se fait tout au long de l’année. On a gardé les valeurs fondatrices du festival, d’éclectisme, de générosité, d’ouverture au public, mais dans la forme, le festival a énormément évolué. On a vraiment réduit le parc de salles, on a réduit le nombre de films… mais personne ne s’en rend compte, chaque année on me dit « Vous faites toujours plus » et en fait... on en fait moins ! Cette année il n’y a plus que 5 salles qui travaillent avec nous pendant toute la durée du festival.

FdC: J’imagine que vous avez déjà plein d’idées pour l’avenir?

AH: On a des idées, plein ! On a l’impression de ne jamais y arriver parce qu'on est un festival qui se fait avec trois bouts de ficelle, à Paris où tout coûte cher, mais on a une équipe super motivée, c’est pour ça qu’on y arrive. On a plein d’idées mais on n’a pas toujours les moyens. Ce qui est difficile à Paris, c’est de trouver un vrai lieu de festival, un vrai cœur fédérateur. On a mis du temps à le trouver, et on l’a trouvé au MK2 Bibliothèque qui a l’avantage d’être une boite lumineuse, contrairement à tous les multiplexes qui sont des boites noires. Pour un festival d’été c’est quand même mieux ! Au départ on a d’abord été vers des lieux naturellement cinéphiles comme les Champs Élysées, ou le Quartier Latin, mais ça ne fonctionnait pas. Parce que les Champs Élysées ça n’est plus un lieu de cinéphilie, c’est surtout un lieu où on fait des événements, des coups médiatiques mais sur la durée d’un festival ça ne marche pas. Et le Quartier Latin c’est bien pour des rétrospectives mais ce sont des petites salles qui ne sont plus fonctionnelles pour accueillir des invités : c’est petit, la programmation est compliquée quand ce sont des mono-écrans, ce sont des salles hyper charmantes mais ce n’était pas du tout pratique pour organiser un festival. Le MK2 Bibliothèque a cet avantage d’être un lieu moderne, très fonctionnel, avec beaucoup de vie, d’espace, ce qui permet aux professionnels et au public de se rencontrer.

FdC: Combien de films voyez-vous par an pour préparer ce festival ?

AH: L’année dernière on avait vu un peu plus de 1000 films. Une bonne partie d’entre eux sont reçus en dvd, et on voit les autres dans des festivals. Il y a quelques festivals où on essaie d’aller chaque année, dans la mesure de nos moyens. J’aime énormément le Festival de Busan parce qu’on y rencontre tous les jeunes réalisateurs de toute l’Asie. Tous les soirs, on peut discuter avec eux, prendre connaissance de leurs projets. Busan a aussi un marché de projets comme Paris Project. C’est un marché moins important que celui de Hong Kong, mais en termes de festival, c’est vraiment le plus agréable.

FdC: Justement il y a à nouveau beaucoup de films asiatiques cette année à Paris Cinéma. Au-delà de la rétro HK, il y a également 3 films asiatiques en compétition. Est-ce que vous notez un décalage entre la qualité de certaines cinématographies d’Asie et leur diffusion en France ?

AH: Ce n'est plus l’âge d’or que ça a pu être. C’est extrêmement difficile de sortir des films asiatiques aujourd’hui. C’est aussi lié à la qualité du cinéma asiatique qui n’est plus si fort qu’avant. Même si on trouve toujours des perles. Par exemple dans notre programme sur le cinéma hongkongais, il n’y a pas tant de films récents. Il y a bien sûr A Simple Life d'Ann Hui, qu’on a sélectionné en compétition. C'est un film magnifique, mais ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un aussi beau film à Hong Kong. C’est un peu une exception. Même le cinéma coréen, auquel on a rendu hommage il y a 5-6 ans, n’est plus aussi fort. Parfois, il y a un film qui émerge, on a des coups de cœur, mais de manière globale on est loin de l’âge d’or. Mais la diffusion en France de ces films reste très difficile, non seulement parce qu’il y a une inflation de sorties sur le marché français et que ça devient plus difficile pour tout le monde, mais aussi parce que le cinéma asiatique a un peu changé ces dernières années. Le cinéma hongkongais qui était un cinéma très populaire et très créatif est resté un cinéma commercial mais moins créatif, dépossédé de son identité et de son originalité par les contraintes économiques liées à la nécessité de produire pour le marché chinois. On a donc de plus en plus de blockbusters locaux qui ne peuvent absolument pas voyager en Europe. Hong Kong traverse une vraie crise d’identité aujourd’hui.

FdC: Quels sont les films à ne pas rater dans la rétrospective Hong Kong ?

AH: Oh il y en a plein ! Ce ne sont que des incontournables ! Les vraies raretés ce sont les téléfilms des jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague qui sont tous passés par la télé, un peu comme Stephen Frears, Ken Loach et d'autres réalisateurs britanniques passés par la BBC dans les années 70. Ils ont faits leurs armes à la télé en y réalisant parfois leurs meilleurs films. Ce sont des œuvres rares, jamais vues en France. Il y aura notamment des films d’Ann Hui, Allen Fong (qui sera là) et Patrick Tam. On a vraiment travaillé sur le côté inédit de la programmation et aussi sur des films incontournables. Donc c’est difficile d’en choisir quelques-uns !

FdC: Tout à l’heure on parlait de la difficulté d’organiser un festival à Paris. Et justement à Paris il y a énormément de petits festivals, il y a deux festivals chinois, un festival coréen, un festival allemand etc. Quelles relations entretenez-vous avec ces festivals ?

AH: Oh, bonnes ! Et l’esprit de Paris Cinéma, ce n’est vraiment pas d’entrer en concurrence avec les autres. Le paysage actuel est un paysage d’inflation, de films, de festivals… Donc si on veut faire un festival à Paris, il faut qu’il soit utile sinon ce n’est pas la peine. Un festival est conçu avec de l’argent public, on a un devoir de service public à la fois vis-à-vis des spectateurs et aussi des professionnels du cinéma. Alors comment faire ça ? L’idée c’est d’ajuster le tir chaque année. Quand on a débuté avec 37 écrans tous les programmateurs de salles nous ont dit « vous êtes dingues, tout le monde va vous détester, nous on peut plus sortir nos films si vous occupez 37 écrans ». Donc on a resserré, c’était une bonne idée. Après il y a aussi Paris Project qui est notre plateforme de coproduction. Cette partie du festival se voit moins, mais c’est une partie extrêmement importante de Paris Cinéma parce qu’elle lui donne vraiment son identité, sa force, son ancrage à Paris. Parce que Paris c’est le paradis de la coproduction, c’est sûrement la ville au monde où il y a le plus de sociétés de production, de vente. C’est la ville au monde où il y a le plus d’opportunités en termes de coproduction, d’accès à des fonds de soutien… Il fallait donc un marché de coproduction qui corresponde à cette spécificité et qui cible le marché français. On a donc choisi d’offrir aux professionnels français une sélection de projets étrangers à la recherche de financements français et près de la moitié d’entre eux parvient à trouver un partenaire à l’issue de leur sélection. La qualité de la sélection et ces résultats encourageants nous ont vraiment garanti une crédibilité auprès des professionnels, et aussi à l’international. C’est pour ça qu’on est connu jusqu’en Malaisie, au Mexique, ou à Singapour. Paris reste tellement important pour les artistes étrangers ; la France a encore cette tradition d’être une terre d’accueil et on a vraiment voulu développer cet aspect-là. Côté programmation, l’utilité c’est que le public soit dans les salles, qu’on apporte quelque chose de différent, d’avoir un équilibre cinéma d’auteur et cinéma populaire. La section des avant-premières offertes au public, après l’éclairage médiatique de Cannes, le ciné-karaoké, la brocante cinéma sont autant d’événements qui participent à créer une fête du cinéma originale et unique en son genre. On tient à faire un festival populaire, qui ait du sens, en essayant de ne pas faire ce qui se fait tout le reste de l’année, pour mieux exister.

FdC: Comment avez-vous mis en place cette énorme rétrospective Hong Kong ?

AH: C’est un projet qui date d’il y a un moment et c’est une histoire vraiment marrante. C’est l’histoire d’un jeune garçon très cinéphile, Aurélien Dirler, qui a été juré dans notre jury étudiants il y a quelques années. Ensuite il a postulé pour être stagiaire à la régie des copies et s’est révélé un excellent stagiaire ! L’année d’après la régisseuse copies est partie donc on l’a recruté pour la remplacer. Ensuite il est parti comme attaché audiovisuel à Hong Kong. On est resté en contact bien sûr, il est resté amoureux de Paris Cinéma et rêvait de revenir dans l’équipe. Il connaissait très bien tous les dispositifs de soutien, les institutions à Hong Kong, il m’en a parlé et est allé les démarcher pour voir si on pouvait faire quelque chose. On a approché le directeur du Festival de Hong Kong, le gouvernement, et on a commencé à mettre en place les choses comme ça. J’y suis allée une fois mais lui est resté 6 mois à Hong Kong, il a eu accès aux archives, avec des films dont il n’existait même pas de liste de dialogues en anglais. Il a visionné des films en cantonais avec quelqu’un à côté qui lui traduisait, donc des films super rares, et on a eu la chance qu’il soit là-bas, qu’il fasse ce travail de défrichage et de montage du projet. On a trouvé de l’argent à Hong Kong, à Bruxelles… Ce programme est devenu un projet monumental ! Une success story ! Une grosse machine de guerre !

FilmdeCulte: Comme se décide le choix du pays à l’honneur ?

Aude Hesbert: Ce sont avant tout les opportunités. Il faut évidemment qu’il y ait la matière, on ne peut pas faire ça sur tous les pays. Il faut qu’il y ait une volonté des gouvernements des paysen question. Quand on a travaillé surles Philippines, ça nous a pris deux ans. Parce que ce sont des projets uniques, ça ne rentre pas dans les cadres traditionnels d’aides aux festivals. Nous avions choisi le Mexique parce qu’il y avait la saison mexicaine, bon c’était pas une bonne idée (rires). [suite aux frictions diplomatiques entre la France et le Mexique l'an passé, le programme de Paris Cinéma a été amputé de nombreux films mexicains, ndlr]

FdC: Comment décririez-vous les films choisis en compétition, est-ce qu’il y a une tendance qui se dégage ?

AH: Évidemment ce ne sont pas des critères de sélection, on se rend compte des tendances après. Cette année on observe qu’il y a un certain nombre de films assez politiques, avec une mise en scène à portées politique et sociale. Le film d’Ann Hui par exemple a un sujet très humain mais qui dit beaucoup de choses sur la société hongkongaise d’aujourd’hui, qui est très matérialiste, où les personnes âgées sont complètement laissées à l’abandon. Le film Rebelle porte sur les enfants soldats en Afrique, c’est très violent et très dur mais en même temps c’est un conte fantastique et onirique. Ce sont des films où la mise en scène dépasse le propos proprement politique. Il y a le film hongrois Just the Wind qui est pour moi comme un film d’horreur, sur la situation des Tsiganes aujourd’hui. Ce n'est pas un film de genre et ça dit là encore beaucoup de choses sur la Hongrie d’aujourd’hui, où le gouvernement a, d’ailleurs, coupé toutes les aides au cinéma. Il y a le film japonais Our Homeland que j’ai beaucoup aimé, par une réalisatrice que j’ai beaucoup suivie à travers son travail documentaire sur sa famille qui est d’origine nord-coréenne. Sa famille est très fidèle au gouvernement, son père est en relation avec tous les officiels nord-coréens et elle est en révolte contre sa famille parce qu’elle se rend bien compte que le régime ne laisse pas sortir ses frères qui sont en train de mourir de faim et de dépression en Corée du nord. Là c’est un film basé sur son histoire personnelle avec le frère de l’héroïne qui est atteint d’une tumeur au cerveau et qui vient au Japon pour faire des visites médicales. Il est suivi par un agent nord-coréen qui le surveille. Le film fait comprendre ce que peut être la Corée du nord aujourd’hui, le poids du silence et du mensonge. Là encore c’est un film qui parle beaucoup du monde contemporain.

FdC: Vous étiez à Cannes cette année. Quels sont les films que vous avez aimés ?

AH: On a aimé le film de Leos Carax, on a décidé d’ouvrir le festival avec, c’est tout dire. Il y a aussi The King of Pigs qui était à la Quinzaine mais qu’on avait vu avant à Busan. En général, on essaie de ne pas trop prendre de films de Cannes en compétition parce qu’on essaie de privilégier la découverte mais on ne l’a pas enlevé de la sélection quand on a appris qu’il était à la Quinzaine ! J’ai beaucoup aimé un film iranien qu’on n’a pas retenu parce qu’il sortira plus tard en France, Une famille respectable. Et Amour, la Palme d’or que nous aurons le plaisir de partager avec le public pendant Paris Cinéma.

FdC: Est-ce qu’il y a des choses dans le cinéma que vous n’aimez pas ? Des genres, des cinématographies qui vous laissent de marbre…

AH: Non, on a des domaines de prédilection mais c’est aussi pour ça qu’on a une équipe. Moi il n’y a rien que je déteste vraiment parce que je me réserve toujours le plaisir de la surprise. J’essaie d’avoir le moins d’à priori, mais on en a toujours. J’aime encore plus être surprise là où je ne m’y attends pas.

FdC: Quelle est la personnalité rencontrée par Paris Cinéma qui vous a le plus marquée ? A part Charlotte Rampling !

AH: C’est vrai que Charlotte Rampling c’est une belle rencontre parce que c’est rare d’avoir l’occasion de rencontrer quelqu’un comme elle, en profondeur, dans la durée. Quelqu’un de véritablement dévouée au cinéma, généreuse, courageuse et drôle. Une présidente qui est à nos côtés, engagée et toujours disponible, depuis plus de 6 ans maintenant, c’est inestimable ! A Paris Cinéma, ça va très très vite, on est tellement peu nombreux qu’on a l’impression de ne pas vraiment avoir le temps d’échanger avec les invités. On a l’impression que les spectateurs et les journalistes en profitent plus que nous ! Et c’est tant mieux !

FdC: Comment voyez-vous le festival dans 10 ans ?

AH: Ça c’est une question piège (rires). Je ne le vois pas ! J’essaie toujours de me projeter dans l’avenir mais chaque année est un tel combat, chaque année on a l’impression d’être des survivants, de surmonter des obstacles insurmontables… Déjà fêter les 10 ans c’est extraordinaire ! J’ai des modèles de festivals, j’adorerais que le festival devienne encore plus public, qu’il y ait encore plus de monde, comme à Rotterdam ou Toronto, et que Paris Project puisse se renforcer. Mon rêve c’est de pouvoir développer tout ce que je sens être un vrai potentiel pour le festival : le public, le marché de coproduction, le fait que Paris soit une terre d’accueil pour le cinéma indépendant… Ça reste ce rêve-là, Paris: on est tous un peu blasé, les Français se plaignent tout le temps mais la France continue d’attirer les stars comme les jeunes réalisateurs qui ont envie de venir à Paris parce que c’est l’endroit où on montre le plus de films, avec le plus de diversité. On est hyper chanceux, au niveau des salles, des distributeurs, de la presse, du public… Après c’est difficile, il y a certes matière à faire évoluer le festival, lui donner un peu plus d’ampleur chaque année, mais c’est aussi une question de moyens. Nous avons parfois l’impression parfois de faire des miracles avec un budget modeste par rapports aux grands festivals! On a la chance d’avoir trouvé des partenaires qui nous aident beaucoup, d’avoir un extraordinaire plan de communication grâce à la Ville. Si on veut être libre en termes de programmation, il faut être libre financièrement aussi. Voilà les enjeux pour les années à venir : conquérir la possibilité de voir à long terme.

FdC: Pour finir, vous n’en avez pas marre de ne jamais pouvoir partir en vacances en juillet ?

AH: J’en peux plus (rires). Surtout en mai quand arrivent les beaux jours. Mais ça vaut le coup !

Entretien réalisé par Nicolas Bardot et Gregory Coutaut, le 12 juin 2012

par Nicolas Bardot

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