HUIS CLOS
Un aquarium, huit occupants, une seule obsession: fuir. Le timbre noble, la nageoire rusée et solennelle, Gill trône sur une communauté de captifs multicolores. Junior d'une société secrète avec ses rites et ses messes basses, Nemo noue amitié avec Bubbles le collectionneur de bulles, Gargouille l'éternel froussard, Boule le paquet de nerfs, Deb (et Flo) la schizophrène, Astride l'étoile informatrice et Jacques la crevette la plus propre au monde - la french touch du film -. Véritable père de substitution, Gill enseigne à Nemo les mauvaises manières et lui donne l'opportunité de surmonter ses peurs. Présence magnétique et essentielle à la cohésion du groupe, Gill porte des cicatrices plus impressionnantes que son protégé: une balafre à l'œil, des écorchures de-ci de-là, restes d'un passé tumultueux et mystérieux.
Dépressifs reclus dans un milieu aseptisé, les huit internés respectent une hiérarchie bien établie. Les plus fragiles vaquent à leurs taches ménagères, les plus créatifs (Gill en tête) concoctent des plans d'évasion aussi périlleux que rocambolesques. Le sentiment d'oppression est exacerbé par les traumatismes et les névroses de chacun. Les poissons tropicaux (idole maure, poisson-globe, gramma royal, chirurgien jaune ou demoiselle à queue blanche) n'ont connu que la vie sous étroite surveillance. Stanton et Unkrich inversent malicieusement les rôles. Ce sont les otages qui observent avec intérêt les faits et gestes de leur cerbère. Vol au-dessus d'un nid de coucou en miniature, la communauté de l'aquarium dispose d'une vue imprenable sur la fraise du dentiste. La candeur de Nemo vient égayer la tristesse des lieux.
COURRIER DU CŒUR
Des fonds marins au cabinet d'un orthodontiste, le bouche-à-oreille fonctionne à merveille. Pélican gauche, l'Amiral vient régulièrement colporter les dernières nouvelles aux comploteurs de l'aquarium. Parmi elles, une exclusivité: un poisson-clown du nom de Marin brave tous les dangers de l'océan pour retrouver son fils à Sydney. Le mythe prend forme. Les deux volets de
Toy Story et
1001 Pattes l'ont démontré: Pixar excelle dans les séquences aériennes. Entre une opération de sauvetage, l'envol simulé d'un oiseau, un cosmonaute sûr de ses talents d'acrobate, un avion prêt à décoller et un porte-à-porte bondissant, les numéros de voltige se succèdent avec virtuosité. Têtes de linotte incapables de jacasser autrement que par monosyllabes, les mouettes hilarantes rendent hommage au pingouin fourbe du deuxième épisode de
Wallace et Gromit.
PSYCHOSE
L'animation en 3D ne remplacera jamais totalement l'homme. John Lasseter en est convaincu. Pourquoi s'escrimer à reproduire des traits humains, quand on dispose d'acteurs talentueux? Les infographistes de Pixar ne visent pas la copie conforme à l'instar d'un
Final Fantaisy. Même si le travail sur la texture de la peau et des cheveux a réalisé des progrès stupéfiants, Al (
Toy Story 2), Darla ou le dentiste héritent de visages et de silhouettes simplifiés, à la limite de la caricature. Une constante amusante: grands méchants loups ou tortionnaires sans scrupule, les humains (Sid, Al) servent de geôliers aux petites créatures innocentes. Réponse démoniaque à l'adorable Bouh (
Monstres & Cie), Darla fait une apparition spectaculaire sur les stridences de
Psychose. Le cabinet du dentiste symbolise lui toutes les phobies de l'enfance.
Danielle Chou