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Eté 2003: sur la rampe des blockbusters standardisés est lancée une curiosité de 150 millions de dollars. Hulk, à travers le parti pris esthétique de son réalisateur, Ang Lee, a en partie dérouté le grand public. Le comic de papier trouve ici son jumeau de grand écran, sa version filmée et quelque peu dégénérée. Point d'orgue de cette représentation, l'affrontement final entre Hulk et son créateur, où la culture pop du comic se fraye un chemin vers le récit mythologique.
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A travers Hulk, les intentions formelles d'Ang Lee se dessinent assez rapidement: son film collera autant que possible à une esthétique "comics". Les collages lors de scènes de dialogues, le split-screen lors d'un assaut de l'armée, apportent une perspective particulière à chacune de ces scènes customisées. La scène des retrouvailles entre Bruce Banner (Eric Bana) et son père (Nick Nolte) obéit à un même principe et s'ouvre sur un split-screen qui fragmente l'action (photo 1), la disperse en trois parties de l'écran (le regard de Nolte, un soldat qui vient le chercher, Nolte qui sort de sa cellule), se joue de la temporalité (la première image est figée, les deux autres apparais- sent conjointement alors |
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qu'elles se suivent tempo- rellement), mais se concentre malgré tout sur la seule portion importante à l'image: le regard de Nick Nolte, qui surplombe le reste de l'action et reste imprimé à l'écran tandis qu'un paysage de nuit apparaît sous ses yeux (photo 2). Après un plan de situation en plongée sur une base militaire (et qui campe l'opposition Hulk Vs l'armée, l'un des enjeux du film - photo 3), Lee met littéralement en scène le dialogue entre les deux personnages. Le décor stylisé (un grand hangar vide, une grande scène surexposée à la lumière, photo 4) fait en sorte que toute l'attention soit portée sur l'échange verbal entre les deux hommes. Les deux acteurs s'opposent par leurs postures (Bruce au premier plan, assis sur sa chaise, son père en second |
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plan, debout et marchant vers lui, photo 6), leur lumière (claire pour l'un, sombre pour l'autre), leurs sièges étant légèrement espacés, face à face, sur les planches de ce théâtre. Le dialogue s'établit d'abord par la mise en scène: écran divisé en deux avec d'un côté Bruce de face et son père filmé latéralement. Lee abolit le champ/contre- champ et expose simultanément celui qui énonce ("Je l'ai vue cette nuit. J'ai vu son visage") et celui qui écoute (photo 7). Le lien de l'un à l'autre est renforcé par un travelling qui fait glisser le split-screen jusqu'à ce qu'il disparaisse, créant un impact plus fort quand Ang Lee revient sur le père qui réagit aux propos de son fils. |
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La mise en scène devient alors plus conventionnelle: travelling entre l'un et l'autre, champ/contre champ lors des échanges, gros plan lorsque les deux corps se rejoignent (photo 8). L'enjeu d'une esthétique "comics", qui divise l'écran en plusieurs cases, est ici de se concentrer sur la partie essentielle du discours et de l'image, en l'occurrence les mots échangés par les deux hommes et le lien ténu entre eux deux, dans un hangar immense, dans une immense base militaire, alors même que les points |
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de vue semblent multipliés, soit par l'écran (photo 5), soit par un plan réunissant (tout comme il les sépare) Betty (Jennifer Connelly) et son père (Sam Elliott), (photo 9). La troisième fois que l'écran se divise, lors de cette séquence, rappelle le principe de la scène du désert, où l'omnipotence de l'armée était multipliée à l'écran par autant de cases montrant les nombreux hélicoptères et les couloirs de la base cachée. Cette profusion d'infor- mations, cette démonstration de puissance, est reprise lors de la dernière transformation de Bruce en Hulk, et confronte |
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la rage du monstre (l'œil vert, le bras tremblant) à une armée en pleine panique (photo 10). Lee compose en un plan les différents enjeux tout en accentuant leur dynamique, à travers un écran comme brisé en trois par la colère de Hulk. Le split-screen devient alors un véhicule du fantastique, et accompagne ses créatures fabuleuses jusque dans les cieux, abandonnant Betty et son père, simples spectateurs (photo 11). |
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Place désormais au combat des dieux. Dès le générique de début, Hulk se fait le lien entre l'infiniment petit (une molécule divisée en deux) et l'infiniment grand (une ouverture sur l'univers), concentré thématique de la confrontation schizophrène Bruce Banner / Hulk. L'histoire est celle d'une tragédie, avec ses liens du sang maudits, ses meurtres familiaux, ses figures farouchement opposées au reste de monde et à toutes ses lois et, enfin, ses surhommes, ses dieux ou demi-dieux. Bruce Banner transformé en Hulk et son père créateur qui tutoie l'Olympe (photo 13). Ce |
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dernier se transforme en une sorte de Zeus (photo 12), le dieu des dieux, maître de la foudre, emportant sous son bras un fils impuissant dans une stupéfiante scène aérienne (photo 14). Zeus n'a plus qu'un but, dévorer sa progéniture, comme son père Cronos a lui-même tenté de le faire à son égard. Il se métamorphose selon les éléments, devient terre (photo 15) ou eau (photo 18), et figure un adversaire grandiose pour un Hulk qui, quelques scènes auparavant, arborait une toute puissance en lançant des tanks dans les airs ou en détruisant une ville. Le choc des titans (photo 16), lui, signe le retour aux |
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sources. D'abord en établissant un lien évident entre les super-héros d'aujourd'hui et les dieux mythologiques des grandes tragédies, mais aussi en confrontant l'homme à ses origines. Hulk et son double brouillé dans l'eau (photo 17), mais également Bruce Banner, renvoyé lors d'une image subliminale à son propre ADN (photo 19), puis à son enfance (photo 21), l'espace d'une projection en flash-back, enchaînée à un Bruce Banner baignant sans un mouvement dans un liquide aux reflets verts (photo 20)... |
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Ainsi, dans toute sa débauche d'effets a priori tape-à-l'œil, Ang Lee s'inscrit dans un retour aux fondements: humains pour un Bruce Banner et son image enfantine et origi- |
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nelle, mythologiques pour
les super-héros contemporains, ou graphiques pour une mise en scène qui tire vers le comic et pose un pont entre le support du cinéma et de la bande dessinée. Hulk impose |
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sa patte visuelle et son sens du grandiose à grands coups de Danny Elfman déchaîné et de tonnerre qui gronde comme le cœur du grand poupon vert. |
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