Vivre me tue

Vivre me tue
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Français d’origine marocaine, Paul se rend en Allemagne au chevet de Daniel. Entre l’hôpital et les quais de Hambourg, des épisodes de sa vie parisienne lui reviennent en mémoire. Ses entretiens d’embauche infructueux, son amour pour Myriam, thésarde supportrice de Lens, et les rêves de body-builder de Daniel, le petit frère qu’il chérit.

HAUT LES CŒURS

L’oxymore a de quoi faire sourciller, mais le malentendu est vite dissipé. Vivre me tue n'est pas le sermon étouffe-chrétien sur les galères d'une famille d'expatriés. L’en-tête sentencieux illustre pourtant bien les désillusions de deux frères prêts à faire leur nid, mais sans cesse repoussés au large. Paul rêve tout bas d'exercer sa plume, Daniel clame tout haut son ambition d’être le prochain Monsieur Univers. Entre les deux, une reconnaissance fraternelle qui résiste aux vexations, aux lendemains cafardeux et fait front aux tempêtes les plus houleuses. L’aîné collectionne les diplômes, mais tarde à promouvoir sa carrière professionnelle. Son planning d'éternel indécis se résume à deux activités: livraison de pizzas le jour et gardiennage la nuit. Déclaré inapte aux études, le cadet n’a plus qu’une seule obsession. Durcir ses mollets, sculpter ses pectoraux. Faire de son corps l’image même de sa réussite sociale. S’insérer, être respecté. Vivre me tue fredonne les maîtres mots de tout bon couplet militant. On ne s’étonnera donc pas que le film soit épaulé par le F.A.S.I.L.D. (Fond d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations).

PETIT FRERE

Jean-Pierre Sinapi quadrille le parcours du combattant: patronyme étranger, entretiens dissonants, morgue des DRH, sans omettre de mentionner le sempiternel "vendez-moi ce yaourt" du commercial pressant. Voilà pour le rappel convenu de la vie en col blanc. Le meilleur est à venir. Le film ne convainc pas tant sur le constat d'échec des personnages que sur la justesse de ses interprètes et la poignante complicité des deux frères. Mourir pour ses rêves ou vivre sans eux. Le dilemme de Sinapi se situe là, entre la rage enfantine de Daniel dopé aux anabolisants ou la renonciation douloureuse de Paul resté à quai. Pour l'écrivain en berne: une vocation insatisfaite, un engagement amoureux lourd à assumer. Pour le compétiteur né: la courbe ascensionnelle - dealers, stéroïdes, peep-show et protecteur allemand à la clé. Menacé de surchauffe dramatique, le portrait de Daniel ne se laisse jamais griser par la complainte. Les situations épineuses pourraient prêter à sourire, si Jalil Lespert, carrure d'athlète et aplomb fiévreux, ne dégageait une telle force de conviction. Impossible de passer sous silence son personnage de petit frère buté, hargneux, fanfaron et désemparé.

APRES LA PLUIE

L'estime et l'affection que se portent Daniel et Paul, au-delà de leurs divergences, constituent la réussite la plus éloquente de Vivre me tue. Le regard chaleureux de Jean-Pierre Sinapi ignore la complaisance miséreuse. La famille - aussi bien le club de Lens que les retraités de la SNCF -, l'entente communautaire, ne sont pas sans évoquer le récent Les Lundis au soleil. Le cadre n'y est pas étranger. Paul, Myriam et Diop le taxi, se donnent quotidiennement rendez-vous dans un même bar. Entraîné par Myriam, Paul se retrouve logé dans les tribunes survoltées d'un stade. Une dernière couronne de fleurs adressée à un collègue ferme la parenthèse comparative. Ce qui différencie Vivre me tue de son prédécesseur tient dans l’énergie communicative des deux frères et l’espoir d’une rémission possible. Bye Bye, Nid de guêpes, Drôle de Félix, Couvre-feu, Embrassez qui vous voudrez… Sami Bouajila sème une nouvelle fois la zizanie et fait valser les étiquettes. Tempérant la nervosité de Jalil Lespert, évacuant son stress sur un ring, ou séduisant la mignonnette Sylvie Testud par des badinages sur l’amour courtois, il livre ici l'une de ses plus belles prestations en adorateur de Moby Dick.

par Danielle Chou

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Interactivité :

De facture classique et assez austère, les bonus du DVD n'offrent aucune réelle surprise, si ce n'est l'absence d'un véritable making-of. Parmi les suppléments attendus - biographies en mode défilement automatique et filmographies de bon aloi -, on jettera un œil attentif sur les bandes-annonces de la collection Ciné Talents, puis on tendra l'oreille aux commentaires de la journaliste Ariane Warlin (13'14 min). Pendant que défilent des extraits du film, celle-ci analyse les principaux thèmes du long métrage de Jean-Pierre Sinapi, en mettant l'accent sur la portée symbolique et les enjeux politiques de Vivre me tue, sans oublier de saluer les performances de ses trois interprètes, Sami Bouajila, Jalil Lespert et Sylvie Testud.

Un document superflu revient sur la préparation physique de Jalil Lespert, soumis à neuf mois de musculation et de régimes intensifs. Commenté par Sinapi lui-même, cet aparté de 4'16 min tente de donner un peu de peps à ces suppléments modestes. La vraie bonne surprise vient du traditionnel court métrage offert par One Plus One. Sur fond de revendications féministes, Cousines de Lyes Salem (31'29 min) raconte le bref séjour de Driss à Alger, après quatre années d'absence. Plutôt que de s'appesantir sur les disparités entre la France et l'Algérie, Salem choisit de regarder les femmes qui entourent le jeune homme, ces cousines à la fois proches et lointaines qui veulent s'émanciper et s'éveillent à la vie politique. Driss les emmène à la plage, recueille leurs confidences et tente en vain de les arracher aux mains de leurs frères despotiques. Un joli portrait qui s'ouvre sur le point de vue d'un expatrié et emporte le souvenir d'un visage décidé, celui d'une manifestante.

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