Vipère au poing

Vipère au poing
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En rentrant un soir chez lui, l’écrivain Jean Rezeau découvre une vieille dame mourante dans le canapé de son salon. Cette dame, c’est sa mère; le jeune homme ne l’a pas revue depuis 28 ans. Immédiatement, les souvenirs affluent: Jean Rezeau, aussi appelé Brasse-Bouillon, n’a pas onze ans lorsque sa grand-mère paternelle alors en charge de lui et de son frère aîné Frédie succombe de vieillesse.

ROMAN AMER

Déjà adapté pour le petit écran en 1971 par Pierre Cardinal (avec la grande Alice Sapritch), Vipère au poing est à l’origine le roman autobiographique d’Hervé Bazin, retentissant succès littéraire de la fin des années 40. Portrait cynique de son enfance gâchée, Bazin avait stupéfait le public par la férocité et l’amertume de son récit, crachant une incommensurable haine à sa détestée (et détestable) mère, dite la "Folcoche" - contraction de "folle" et "cochonne" - qui a su privé l’enfant de toute affection dès son retour d’Indochine. Eternel blessé, Bazin n’a jamais pu considérer cette femme froide et sans amour comme sa propre mère, la "Folcoche" distribuant volontiers coups et brimades à ses enfants et n’osant jamais montrer la moindre tendresse. Ayant été obligé à grandir trop vite, l’auteur rendit ainsi Folcoche responsable de tous ses maux d’adulte et de son caractère associable. Une tardive déclaration de haine, une expiation du mal qui le rongeait, un exutoire… par la suite devenu œuvre culte, au même titre que Poil de Carotte et L’Enfant, Vipère au poing posait le problème - délicat - de l’adaptation. Que devait-il rester du roman? Si le téléfilm de 1971 a su volontairement gardé intacte la rage amère du récit (Alice Sapritch, glaciale et détestable à souhait), De Broca et Vincent ont prit le parti trente ans plus tard de nuancer légèrement le propos. Le film oscille sans cesse entre l’amertume originelle du roman et le ton léger de la comédie propre à De Broca. De la confrontation des deux styles naissent les défauts comme les qualités de cette adaptation cinématographique assez bancale mais pourtant touchante du roman de Bazin.

ADAPTATION

Etrange idée que de confier une adaptation de Vipère au poing au réalisateur de Cartouche et de L’Homme de Rio. A première vue en effet, le ton du roman se situe à des années lumière de celui des films de De Broca, où les joyeuses tribulations du héros combattent la morosité du spectateur en l’emmenant aux quatre coins du monde. Vipère au poing est un roman sombre et amer qui se déroule quasiment en huis-clos. Fallait-il donc que De Broca se détache de sa filmographie pour aborder l’adaptation? C’est là que les puristes grincent des dents: Olga Vincent, à l’origine du projet, a voulu au contraire laisser le réalisateur amener son propre point de vue sur l’adaptation du roman. Il en résulte, avouons-le, que le film s’en éloigne sensiblement: d’amer à doux-amer, le ton du récit change. Le cynisme se teinte de bons sentiments et la déclaration de haine se charge de morale. Scandale! crieront les nostalgiques du téléfilm, tandis que les autres essaieront simplement d’avoir une approche différente. On est parfois plus dans la comédie que dans le drame, disons alors dans cette catégorie très imprécise appelée "comédie dramatique". L’enfance de Brasse-Bouillon n’est pas morte mais contenue; justification à quelques scènes, alors que la mère vaque ailleurs, de bêtises infantiles, de jeux dans les bois ou d’escapades qui permettent aux enfants de souffler un peu. Faites aussi pour rire, ces scènes se raréfieront par la suite, ou prendront une telle force qu’elles en deviendront plus outrancières que drôles (scène du saccage de l’église). Là où le bât blesse cependant, c’est lorsque De Broca reprend les relations mère-fils. A l’évidence plus à l’aise dans les scènes qui font sourire, le réalisateur peine à nous faire ressentir la haine immédiate entre Folcoche et Brasse-Bouillon, notamment lors des dîners où la tension est sans cesse relâchée par un élément comique qui, à notre grand dam, vient adoucir le ton. Et si Catherine Frot arrive à nous surprendre agréablement en Folcoche, à la fois détestable et touchante, le jeune Jules Sitruk, malgré ses efforts, offre une interprétation en demi-teinte, tantôt forçant un peu trop le jeu à des endroits où la contenance prévalait, tantôt capable de nous toucher dans les moments cruciaux, mais en fin de compte n’arrivant pas tout à fait à convaincre. Entre les deux, Jacques Villeret, parfait, doit s’effacer pour incarner ce père très attaché à ses enfants mais trop lâche pour tenir tête à sa femme, véritable autorité de la maison.

ALLO MAMAN, BOBO…

Si l’on peut regretter cette omniscience de la comédie dans une histoire qui n’en avait pas tant besoin, nous nous rattrapons sur l’un des gros points forts du film, à savoir l’intérêt apporté aux raisons qui mènent à la haine mère-fils (ou plutôt fils-mère). C’est cette dernière qui, malgré son total décalage avec le roman, justifie tout l’intérêt de l’adaptation. Dans Vipère au poing en effet, Bazin ne trouvait jamais d’excuse au comportement intolérable de sa mère vis-à-vis de lui et ses frères: il ne s’agissait que de condamner ouvertement Folcoche, archange du mal et de la haine. A la suite d’une interview de Bazin dans les années 90 (dont nous retrouvons un extrait dans les bonus), le film décide de prendre une tournure différente: après la longue exposition de l’histoire et le récit de la haine mère-fils, qui – dans la forme plus que dans le fond – est en phase avec le roman, De Broca décide de fouiller un peu plus du côté de la mère en envoyant son jeune héros à Paris (on retrouve le goût des périples cher à De Broca) à la rencontre des parents de "Folcoche". C’est là-bas que Brasse-Bouillon, en quête d’une solution, va découvrir les véritables "responsables": ce grand-père et cette grand-mère sans cesse affairés, égoïstes, qui n’ont jamais existé pour leur fille autrement que comme deux noms au bas d’un chèque. Phénomène bien connu, les enfants qui n’ont jamais été élevés sont à leur tour incapable d’élever correctement. Ayant compris cela, de retour à la "Belle Angerie" le fils devra confesser à sa mère endormie qu’il ne lui tient plus rigueur de sa dureté. Le roman s’achevant sur une déclaration de haine éternelle, le film se nuance et préfère donc conclure sur une séparation douloureuse, et enfin, plusieurs années plus tard, sur un pardon confus que scelle le décès de la mère dans l’appartement du fils, comme si le film, hommage posthume, voulait aussi pardonner à Bazin la dureté de son récit contre sa mère qu’il n’a jamais comprise. L’émotion se trouve là – non pas dans la tristesse, ni dans la compassion – mais en fin de compte dans cette absence de dialogue entre l’enfant qui ne voulait pas pardonner à sa mère et la mère qui n’a jamais su aimer son enfant. En cela, le film touche juste et pour sa dernière œuvre, De Broca montre qu’il peut aussi être poète et parvient à nous faire verser une larme. On lui en est reconnaissant…

par Yannick Vély

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Interactivité :

IMAGE ET SON

Deux pistes sonores (VF de surcroît) pour cette édition: la première encodée 5.1 DD, d’excellente qualité, permet d’apprécier équitablement musique et dialogues; la seconde en stéréo, peut être utilisée avec ou sans sous-titres malentendants. L’image n’est pas en reste non plus: bénéficiant d’une restitution de qualité, la photographie d’Yves Lafaye est parfaitement mise en valeur. Les couleurs sont belles, les contrastes appuyés pour un éclairage le plus souvent naturel. Le format d’origine en 2.35 est respecté.

BONUS

Pas de commentaire audio pour ce dernier film de De Broca, décédé peu après sa sortie. A la place, nous trouvons deux documentaires assez succincts, le premier revenant sur le roman, l’œuvre et la vie d’Hervé Bazin, le second – un reportage pour l’édition du 19/20 de France 3 – nous montre le tournage du film et la manière dont réalisateur et interprètes ont abordé l’adaptation. Suivent une filmographie détaillée de De Broca, permettant de revenir sur la carrière prolifique du cinéaste, et une scène coupée qui lui est dédiée, ainsi qu’à Jacques Villeret, décédé il y a peu. La scène dite les montre tous deux discutant lors du bal donné à la "Belle Angerie", Villeret jouant le père de Brasse-Bouillon et De Broca un autre membre de la famille. La scène peut se lire telle quelle ou doublée du magnifique hommage rendu par Jean-Paul Rappeneau au cinéaste, lu par Catherine Frot.

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