Vent nous emportera (Le)

Vent nous emportera (Le)
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Motivés par une mystérieuse mission, des citadins se rendent dans le petit village de Siah Dareh au Kurdistan.

Emprunté à la poétesse Forough Farrokhzad, le titre est une première invitation au voyage. Sur une route en forme de zigzags, une voiture soulève derrière elle une traînée de poussière. Une équipe désorientée se perd dans de multiples détours avant de trouver sa destination, un village immaculé perché sur les flancs d’une montagne. Conte philosophique placé sous le sceau du secret, Le Vent nous emportera propose une succession d’énigmes. Qui sont ces visiteurs venus troubler la tranquillité des villageois? Que renferme le trésor qu’ils prétendent chercher? Liant amitié avec un enfant, tantôt guide tantôt confident, Behzad –surnommé l’ingénieur- s’aventure en territoire inconnu. Un nouveau labyrinthe se présente à lui. Insaisissable et déconcertant, Le Vent nous emportera ne donne à voir qu’une réalité parcellaire. Les deux compagnons du citadin ne montreront jamais leur visage, de même que la plupart des seconds rôles: madame Godarzi, l’interlocutrice de l’ingénieur au téléphone, Youssef le terrassier creusant un trou, Zeynab sa fiancée venant lui apporter du lait ou les villageois tenus à distance. Behzad ne franchit qu’une seule fois le seuil de leur maison.

Filmé entièrement de jour (à une exception près) sous un ciel éclatant, Le Vent nous emportera reste néanmoins attaché à ses zones d’ombres. Appelé "la vallée noire" malgré ses ruelles ensoleillées, le village suggère déjà cette dualité entre la lumière et l’obscurité, l’ignorance et le savoir. La narration alambiquée ne mène nulle part. Du moins, le croit-on. Par un comique de répétition, Behzad effectue d’incessants allers-retours entre le village et le sommet d’une colline pour mieux capter ses appels. Sautant dans sa jeep dès la sonnerie de son portable, il disparaît aussitôt à travers champs. Mais son attente est déçue en permanence. Impatient et curieux, l’ingénieur peine à déchiffrer les signes qui lui sont soumis. Cherchant obstinément à voir, il reste insensible à la beauté offerte du monde, incapable d’affûter son regard malgré ses lunettes et son appareil photo. L’amoureuse du terrassier se dérobe à sa vue. Elle s’enfuit avant qu’il n’ait pu la rejoindre. Il la retrouve un peu plus tard dans une grotte, dans une obscurité semi-fantastique, et lui demande en vain de découvrir son visage. Dans la pénombre, il lui récite un poème à l’érotisme diffus et fait l’apprentissage d’une autre manière –détournée- de voir.

Double négatif de Kiarostami, l’ingénieur aveuglé se libère de ses mauvaises habitudes et redevient l’espace d’un voyage excentrique, un apprenti. L’atmosphère s’y prête aisément; élève studieux, l’enfant-guide est en pleine période d’examens, Behzad sympathise avec un instituteur. En passant par des chemins sinueux, Le Vent nous emportera exalte continuellement l’imagination de son héros et fait l’éloge du vagabondage. Behzad élargit son champ de vision grâce à des événements parasites, en marge de l’action: une tortue et un insecte surgissent dans le cadre, un coq ou un troupeau de chèvres ponctuent la fin d’une séquence. Retranchés derrière un pare-brise poussiéreux, Behzad et ses collègues ignorent la nature luxuriante qui les accueille. A l’arrivée, la jeep manque de tomber en panne, obligeant ses passagers à quitter leur carapace. En perpétuelle activité, mais servant des intérêts douteux, l’ingénieur s’adapte progressivement au rythme des villageois et prend le temps de réajuster sa vue. D’une simplicité toute enfantine, la leçon du Vent nous emportera se révèle plus complexe au fur et à mesure. L’enfant-guide en saura d’ailleurs toujours plus que l’adulte.

Promenade sereine et voluptueuse, le dixième film de Abbas Kiarostami n’est pas seulement une fable poétique et printanière sur l’éveil artistique d’un technicien (le metteur en scène en devenir), mais une réflexion inépuisable sur le retour à la nature, le cinéma et son inspiration, la naissance et le deuil. Le travail minutieux sur le son et la lumière ajoutent au plaisir de la découverte. D’une beauté étourdissante, Le Vent nous emportera n’a pas fini de livrer tous ses secrets.

par Danielle Chou

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Interactivité :

En suppléments, une bande-annonce et deux documentaires nous sont proposés. D’une durée de 52 minutes, La Leçon de cinéma de Abbas Kiarostami, est le compte-rendu d’un entretien ludique et captivant réalisé par Mojdeh Famili. Devant un poste de télévision, le cinéaste y commente, télécommande à la main, quelques séquences du Vent nous emportera et revient plus longuement sur le processus de création. Divisé en quatre chapitres, le documentaire pose des questions simples et pertinentes: Comment trouver le chemin?, Comment habiter le village?, Comment construire la réalité cinématographique?, Comment trouver les liens? A partir d’anecdotes amusantes, Kiarostami explique avec clarté les difficultés rencontrées lors du tournage. Où l’on découvre qu’une simple pomme peut retarder la mise en place d’une séquence. Et qu’un coq s’avère un excellent acteur. Brassant des thèmes variés, cette leçon de cinéma livre les principales clés du film. On regrette simplement qu’elle ne dure pas plus longtemps.

D’une facture plus classique, A Week with Kiarostami (92 minutes) est un documentaire japonais réalisé par Yuji Mohara. Caméra à l’épaule, une équipe accompagne Kiarostami et ses techniciens durant le tournage du Vent nous emportera en juillet 1998. D’un intérêt moindre par rapport à La Leçon de cinéma, le document reste précieux. Pour la première fois, le cinéaste accepte d’être suivi sur le tournage de l’un de ses films. Pendant une semaine, Mohara observe à distance respectueuse les préparatifs, les réunions improvisées, parfois même les revendications d’une villageoise mécontente. Les acteurs Behzad Dourani (l’ingénieur) et Farzad Sohrabi (l’enfant) répondent brièvement à quelques questions (dont l’inévitable "As-tu un message à faire passer aux enfants japonais?"). Découpé en sept parties (pomme, jour ensoleillé, règle, zigzag, repérages, préparation, prise), le documentaire s’attarde les trois derniers jours sur la séquence dans la forêt. Dommage que le sous-titrage quelque peu succinct gêne par moments la compréhension.

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